Une leçon avec Chopin transcende Pascal Amoyel (Théâtre du Ranelagh)

Après Beethoven et Cziffra, Pascal Amoyel approfondit la dynamique de son « récit récital musical » tout en sachant qu’il danse sur un fil paradoxal : parler de l’ineffable alors que le piano suffirait !  Avec  « Une leçon avec Chopin » au Théâtre du Ranelagh jusqu’au 5 janvier 25, le comédien pianiste se rapproche sans s’y bruler pour Olivier Olgan de la flamme musicale, mais aussi du feu de sa vocation d’interprète. Avec une double réussite, nous émerveiller en faisant vivre au sens propre (la musique de) Chopin à travers son enseignement et « au fond passer de la pensée discursive, qui déprime nos vies, à la pensée perceptive » comme ce « passeur d’âme » et d’émotions nous le confiait lucidement.

Pourquoi faire de la musique ?

Dans son « carnet de lecture » Pascal Amoyel nous confie le paradoxe de la « leçon de musique » avec son maître.

Une leçon avec Chopin, de et avec Pascal Amoyel (Théâtre du Ranelagh) photo Philippe Escalier

« La première question du pédagogue au disciple ne devrait-elle pas être : pourquoi fais-tu de la musique? Cette question provoque alors un retournement de l’esprit jusqu’à son propre centre, comme un noyau qui irradie.
Plonger tête baissée dans le mystère du pourquoi – sans tenter d’y apporter une réponse à tout prix – c’est faire une chute en arrière. C’est tomber dans la non connaissance. Cette chute merveilleuse est le point de départ indispensable vers ce qu’on appelle l’inspiration. »

Pour le spectateur, mélomane ou pas, cette prise de risque lumineuse – ou plus exactement, compte tenu de sa virtuosité – cette exigence de « lâcher prise » par la narration introspective, est une magnifique entrée pour mieux percer le mystère de la musique.

Le paradoxe de l’interprète inspiré

Inspiré, le comédien pianiste l’est dès ses premiers pas sur scène. Il réussit à faire sourire, et dans une respiration à nous pointer les risques de sa quête : Oser parler de Chopin, c’est forcément oser parler de soi. Et réciproquement dans son cas précis, puisque depuis l’âge de 7 ans, Chopin a bousculé sa vie.

Le paradoxe de l’interprète, Pascal Amoyel le dédouble avec virtuosité : puisqu’il fait parler Chopin, joue du Chopin, et parle de lui.

Bien au-delà de la confidence

Une leçon avec Chopin, de et avec Pascal Amoyel (Théâtre du Ranelagh) photo Philippe Escalier

Mais si l’effet de miroir semble vertigineux, rassurez-vous rarement la dynamique risquée du « récit récital » n’a été aussi maitrisée, aussi accessible à chaque spectateur qu’il soit mélomane averti ou appréciant la musique. Chacun y puisera son miel d’émerveillements : pour l’interprétation des plus belles pages de Chopin, des mots à la fois profonds et poétiques que le pianiste pose doucement dessus, la mise en acte de la « méthode de piano » que Chopin a eu le temps de partager avec ses élèves enfin, le sentiment presque indiscret que l’interprète se confie sans artifice.

Chopin professeur, Chopin pédagogue

Pour tout amateur de Chopin, ce « récit récital » lui apprend beaucoup: sur son goût de l’enseignement, sur son besoin de transmettre et de balayer trop de stéréotypes sur un romantisme éthéré. D’un projet de « méthode », Chopin n’a laissé que des esquisses, « une douzaine de feuillets, rédigés en un français fort contestable » selon Alfred Cortot (Aspects de Chopin, Albin Michel). Chaque mot central du feuillet scande le récit, « du toucher » au « spirituel » en passant par le fameux « rubato ».  De chaque esquisse accumulée et retravaillée, Pascal Amoyel en fait à la fois une leçon de vie et un tremplin pour cerner l’essence de la musique, l’exigence de sa vocation d’interprète en respectant tout en les dépassant les conseils du Maitre.

« la parole indéfinie (indéterminée) de l’homme, c’est le son »
Chopin, Esquisses pour une méthode de piano (Flammarion)

Un pédagogue moderne

Une leçon avec Chopin, de et avec Pascal Amoyel (Théâtre du Ranelagh) photo Philippe Escalier

Loin des doutes de l’apprentissage et du déchiffrement o% s’affrontent « les savants et le sensibles », la « méthode » nous apprend beaucoup de Chopin, sur l’interprétation et sa conception de la musique : concentration auditive et décontraction musculaire, valorisation du qualitatif sur le quantitatif, l’importance de l’art du toucher qui prime sur la démonstration de virtuosité réduite à de la « mécanique », bref aller au-delà la qualité du son.

La « leçon de Chopin » tient plus de l’initiatique vers le spirituel,
ce qui oblige chaque interprète à se dépouiller de tout acquis, pour un « lâcher-prise », plus de naturel et rien que du « spirituel ».

Passeur d’âme

Dans cette plongée musicale et poétique, la magie de l’interprète opère, ayant intégrée depuis longtemps les conseils techniques : s’inspirer du legato cantabile des grands chanteurs lyriques, libérer la liaison avec les sons d’une même phrase, … Chanter, donc, avant toute chose. Et sans distorsion. Le mystère et l’exigence demeurent!

Pas facile de faire siennes certaines notes de Chopin : « le poignet : la respiration dans la voix ».

La quintessence du récit récital

Cette « leçon de piano » est aussi doublement une leçon de vie, tant le pianiste y met de lui-même, de ses doutes comme de ses motivations intimes à s’approcher du mystère de la musique. Il ne s’agit plus d’en « faire », mais à travers cette quête de vérité et de sincérité, de la faire littéralement « surgir » de soi.

C’est au fond passer de la pensée discursive, qui déprime nos vies, à la pensée perceptive. Dans cet état de vide mental, tout peut arriver, comme par exemple créer des moments musicaux dont on sent qu’il n’y a même plus lieu de se les approprier tant ce qui coule de nos doigts nous échappe, tout en provenant de notre intimité source.
Pascal Amoyel pour Singular’s

Personne n’en sort indemne. Chopin y gagne aussi de nouveaux adeptes.

Olivier Olgan