Culture

Week-end londonien – les richesses de la Tate : Bonnard, McCullin, Van Gogh, Tanning

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 12 avril 2019 à 12 h 29 min – Mis à jour le 12 avril 2019 à 16 h 19 min

L’offre muséale londonienne reste exceptionnelle. A elles seules les expositions actuellement à la Tate Modern et Tate Britain méritent rapidement un week-end. Au programme par ordre d’urgence : Pierre Bonnard « The colour of Memory » et Don McCullin (jusqu’au 6 mai), « Van Gogh and Britain » (11 août) et Dorothea Tanning (9 juin).

Pierre Bonnard travaillait sur des toiles non tendues à même le mur, ce qui lui permettait d’élargir son champs de vision au maximum. La Tate propose plusieurs toile, dont Le Bain de 1925, sans leur cadre pour que le visiteur puisse se rapprocher de cette réalité. Photo © Olivier Olgan

Pierre Bonnard « The colour of Memory », Tate Modern jusqu’au 6 mai 2019

Il n’est plus question aujourd’hui de réduire les oeuvres de Pierre Bonnard (1867-1947) à une peinture joyeuse et passéiste, ce qui était un lieu commun jusque dans les années 2000. D’ailleurs, le respect que lui portait Matisse était une preuve de sa dimension profonde et moderne. On doit à la grande rétrospective du Musée d’art moderne de la Ville de Paris de 2006 d’avoir contribué à réhabiliter sa modernité. L’exposition de la Tate « La couleur de la mémoire » poursuit le travail. En choisissant de débuter son accrochage chronologique à l’année 1910. La centaine d’œuvres exposées est un cheminement temporel et sensuel. L’exposition vise à « explorer la présence du temps et de la mémoire dans les images sensuelles de sa vie quotidienne », revendique le commissaire de l’exposition Matthew Gale dans le catalogue.

Bonnard ne travaillait pas sur le motif mais en atelier. Il « mûrissait » et reprenait longuement ses toiles pour révéler les sensations à travers les couleurs. Très judicieusement, la Tate tente de nous rapprocher au plus près du processus créatif du peintre, en retirant les cadres de certains tableaux, fidèle en cela à la manière que Bonnard avait de punaiser ses toiles à même les murs pour les travailler à sa guise, et les rouler le cas échéant pour les déplacer. L’effet est saisissant même si elles restent sur leur châssis et que le fonds gris béton adopté en étouffe l’éclat. Mais la démonstration saute aux yeux. Le tableau sans cadre, qui élargit le champs de vision du peintre, se révèle d’abord comme un champs de taches colorées immersives, sans limite, qui se lient entre elles et finissent par former un sujet, tel un tissu.

L’usage de la photographie, qui apparaît dès la seconde salle, tenait un rôle essentiel dans le travail du peintre. La pratique de celle-ci – même si les clichés sont informels – l’a aidé à s’éloigner des postures classiques des modèles d’artistes. Les peintures de sa muse, puis femme, Marthe de Méligny, qui capture des moments fortuits de la journée, notamment lorsqu’elle se baignait et s’habillait sont à la fois ces toiles les plus célèbres et les plus fascinantes tant par les angles de vue adoptés – souvent à travers un miroir – que par leur caractère idéalisé. Le corps de Marthe reste le même pendant trente ans !

Son aveu « La couleur m’avait certainement emporté. J’y ai sacrifié la forme presque inconsciemment » révèle qu’il a intégré la façon dont les images viennent à nous et se forment à nos yeux.  L’impression panoramique sans perspective qu’il reconstitue en atelier est conforme aux données des sens et de l’œil. Elle s’éloigne des principes mathématiques élaborés par l’art occidental depuis la Renaissance.

Bonnard annonce les principes d’une abstraction lumineuse des américains post 1945 de Sam Francis à Morris Louis, sans tomber, rappelle l’historien d’art et écrivain Jean Clair, « dans le risque où l’idée de la couleur se substitue au sens de la couleur. » La force de cet artiste discret à la vie dédiée à son art – comme son ami Matisse – est de n’avoir jamais sacrifié la vérité du visible.

Quel que soit le théâtre de guerre du XXe, le photoreporter Don McCullin fut au plus prés des victimes pour témoigner de la folie des hommes, ici à Beyrouth. Photo © Olivier Olgan

Don McCullin, Tate Modern jusqu’au 6 mai 2019

L’avertissement collé sur la vitrine à l’entrée, qui prévient de la présence d’images de cadavres ,peut surprendre à l’heure du jet continu de drames en tout genre rabâchés par les chaines d’informations. Mais il est nécessaire tant il n’est pas sûr que le visiteur, pourtant gavé d’écrans, soit si préparé aux chocs émotionnels qu’il va vivre à suivre cette rétrospective dédiée au photojournaliste britannique Don McCullin.

A 83 ans, celui qui a veillé à l’accrochage du travail d’une vie – près de 260 clichés qu’il a tirés lui-même – sait que personne ne peut sortir indemne « des images qui vous sautent à la figure » qu’il a produite pendant plus de soixante ans (premier cliché vendu à 23 ans). Crises de Berlin (61) et de Chypre (64), désastres du Biafra, de la République du Congo, du Cambodge et du Vietnam, de l’Irlande du Nord et de Beyrouth et, plus récemment, les destructions de Palmyr par Al-Qaeda… pas une guerre ni un drame du XXe et XXIe siècle naissant ne manque à l’appel. Un patrimoine glaçant d’une histoire violente et aveugle.

Chaque cliché est pris à hauteur d’homme, toujours à quelques mètres. Une proximité du journaliste avec les événements et leurs victimes qui mit sa vie en danger, comme au Vietnam où il reçut un balle. Le visiteur peut entendre les balles, les pleurs et percevoir la peur. Celui qu’Henri Cartier-Bresson a baptisé « le Goya des guerres modernes. » n’avait qu’une obsession : rendre au compte à ceux qui pouvaient arrêter ses massacres des désastres humains, humanitaires qui se déroulaient sous ses yeux. Les photos de Don McCullin et l’exposition de la Tate Modern interpellent, non pas sur la place donnée d’une telle œuvre visuelle, magistrale par son style, dans un musée, mais par la violence qui s’y exprime entre « obscurité et terreur » des Hommes. Les cadrages fascinants et les tirages très sombres révèlent l’intensité de ses instants dramatiques révélés.

Ses centaines d’arrêts sur image et ses portraits inoubliables vous hanteront longtemps, comme ils hantent leur auteur qui semble s’en détacher par instant en photographiant des paysages et des natures mortes.

La Ferme prés d’Anvers de 1890 est considéré être comme l’un des deux derniers tableaux de Van Gogh . Il a été exposé dés 1929 à la Royal Academy. Photo © Olivier Olgan

« Van Gogh and Britain », Tate Britain jusqu’au 11 août 2019

Comme Picasso, les thématiques autour de Van Gogh semblent infinies, utiles et versent parfois dans l’exercice d’admiration (–>Hockney-Van Gogh actuellement au Musée Van Gogh à Amsterdam).

Rien d’artificiel dans une exposition sur les liens entre Van Gogh et l’Angleterre. Aussi pédagogique que riche en œuvres de Vincent – plus d’une centaine – elle démontre à quel point ses trois années passées en Angleterre entre 1873 (20 ans) et 1876 ont participé à la maturité artistique du jeune marchand d’art. « Son amour de la culture britannique a duré toute sa vie et a contribué au style et au sujet de son art, rappelle la commissaire Carol Jacobi. Tout en complétant l’autre dimension du parcours. Comme il a contribué à nourrir la culture britannique. »

Une fusion intellectuelle et esthétique avec la culture anglaise d’autant plus aisée que van Gogh maîtrisait quatre langues, dont l’anglais, qu’il parlait et lisait bien. La première partie du parcours est convaincante. Elle aborde l’expérience de Van Gogh à Londres, sa fascination pour les romans victoriens de George Eliot ou de Christina Rossetti pour leur « réalité plus réelle que la réalité ». En admiration pour Dickens en particulier, il écrira « Toute ma vie a pour but de créer les choses de la vie quotidienne décrites par Dickens. »

Cette admiration pour les idées radicales participe de sa tentative (après avoir été licencié du marchand d’art Goupil) de faire carrière dans l’enseignement et la prédication à Ramsgate (Kent) et à Isleworth (ouest de Londres). Il quittera en décembre 1876 définitivement la Grande-Bretagne sur un constat d’échec, apportant avec lui plus de 2000 gravures de peintres anglais qui ont retenu son attention :  de Constable aux caricaturistes du The Graphic. Tous reviendront souvent dans ses lettres à son frère dans lesquelles il reconnaîtra sa dette envers eux dans son parcours d’artiste.

L’Hotel du Pavot, chambre 22, concentre la force du surréalisme de Dorothéa Tanning. Photo © olivier Olgan

Dorothea Tanning, Tate Modern jusqu’au 9 juin

Certaines réputations artistiques féminines s’éteignent pour avoir été la « femme de ». C’est le cas de Dorothea Tanning (1910-2012), connut surtout pour avoir été l’épouse du peintre allemand Max Ernst (de son arrivée aux Etats Unis en 1946, jusqu’à sa mort en 1976). Il faut dire que la peintre autodidacte avait tout pour séduire l’un des piliers du surréalisme. Elle avait embrassé de toute son âme les idées du mouvement pour en décupler la représentation de la féminité. Sa technique était solide, et son imaginaire propice à libérer l’inconscient.  Si les surréalistes ont souvent été accusés d’avoir transformé les femmes en objets, Tanning démontre que les femmes peuvent elles aussi révéler leur propre pouvoir.

L’exposition de la Tate met en lumière comment l’artiste poète a repoussé les limites masculines du surréalisme pour nourrir ensuite plus de sept décennies d’œuvres sensuelles et étranges. Dans les années soixante, Tanning joue avec des matériaux et sa machine à coudre pour créer de nouveaux types d’œuvres et d’installation. Ses sculptures en tissu élargissent la forme de nus à des figures douces et réalistes, mais parfois dotées d’épines dentelées. Au début des années soixante-dix, elle a créé  Hotel du PavotChambre 202, une pièce grandeur nature d’un hôtel parisien où les cauchemars s’échappent des murs en trois dimensions. L’installation confirme son originalité et son appétit pour le gothique proche des univers de Carson McCullers et Shirley Jackson. La reconnaissance dont elle fait l’objet l’inscrit désormais dans l’ histoire de la créativité féminine que la Tate ne cesse de resserrer.

Comment passer le week end à Londre ?

Comment y aller ?

par l’Eurostar (ne pas oublier de venir avec un passeport pour éviter la queue)

Nos conseils

  • Ne pas oublier de réserver un créneau horaire pour les expositions Bonnard et Van Gogh (les expositions McCullin…

Comment y aller ?

par l’Eurostar (ne pas oublier de venir avec un passeport pour éviter la queue)

Nos conseils

  • Ne pas oublier de réserver un créneau horaire pour les expositions Bonnard et Van Gogh (les expositions McCullin et Tanning sont associées) . Tous les jours, de 10 heures à 18 heures.

1er jour Commencer par la Tate Modern : Pierre Bonnard « The colour of Memory » & Dorothea Tanning –>Tate.org.uk/dorothea-tanning, puis revoir la collection permanente.

  • se rassasier au Hay Market à la sortie du métro London Bridge : toutes sortes de produits de bouche, de la pâtisserie aux kebabs
  • sur le chemin de la Tate : en profiter pour visiter The Globe le théatre de Shakespeare reconstruit à l’identique (15£)
  • Coucher au Citizen M Bankside à quelques mètres de la Tate : chambre spartiate mais impeccable, petit déjeuner copieux, ambiance chaleureuse, coût modique (115£)
  • pour dîner : l’embarras du choix dans ce quartier très gentrifié.  Se laisser tenter par  Vapiano, vaste restaurant où l’on choisit ses pâtes ou sa pizza confectionnées devant soi.

2eme jour Tate Britain  « Van Gogh and Britain »  – Don McCullin »

  • prendre la liaison par bateau devant la Tate qui se rend devant la Tate Britain toutes les demies heures (10£)
  • après le visite : arrêt au Pub White Swan, en face de la station Pimlico (direct vers St Pancras)
  • passage à la National Gallery pour découvrir : Sorolla: Spanish Master of Light jusqu’ 7 Juillet 2019 ou au British Museum (pour les vestiges de l’Acropole ou les dessins de Munch) à quelques encablures de la gare de St Pancras.

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