Culture

De la sérendipité du dictionnaire pour saisir le monde de demain

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 30 août 2018 à 16 h 06 min – Mis à jour le 1 septembre 2018 à 11 h 14 min

Le dictionnaire n’est plus un grenier où reposent des mots collés les uns aux autres sur des étagères poussiéreuses. C’est aussi pour Olivier Olgan, un instrument de sérendipité des mots « pour dire le monde de demain », ‘manquants’ ou ‘en trop’, un creuset d’idées et d’émotions : comme celui des « Théoriciens de l’art », enfin un tremplin pour le désir de culture et ce qu’il faut savoir lorsque l’on a tout oublié.

De Disruption à Prosommateur : 40 mots-clés pour le monde de demainSébastien Claeys [Éd. Le Pommier]

 

« Bien nommer les choses, c’est ouvrir une fenêtre pour faire advenir une réalité nouvelle. » Cette résilience permet aussi de sortir de cette fabrique de l’ignorance qui fait le miel des populistes ou intégrismes de tout poil. Avec ce dictionnaire de mots « qui savent de nous ce que nous ignorons d’eux », Sébastien Claeys appelle à la résistance, à bâtir un futur désirable démocratique au lieu de céder à l’ultime vérité du nombre et de la data.

Sans l’émergence de ces 40 nouveaux mots, encapsulant signaux faibles et pensées volontaires pour un monde vivable, pas de débat collectif, pas de reconnaissance de la différence de pensée, et surtout pas d’anticipation. L’ambition est stimulante : changer notre regard sur la complexité du réel et la gestation des possibles, donner chair verbale, densité aux idées et réflexions souvent complexes en cours, aux inspirations citoyennes, aux micro-innovations. Si certains de ces mots sont parfois rugueux : d’ ‘Accélérationisme’ (inventer un futur alternatif)  à ‘Zoopolitique’ (droit de l’animal), l’initiative trace un parcours engagé dans un monde de gestation qui demande autant un consensus sur une éthique d’actions qu’une traduction en actes. N’en déplaise à l’Académie Française qui n’a pas (encore) été consultée pour : ‘agnotologie‘ (science de l’ignorance), ‘exopédia’ (apprendre hors les murs) ou ‘surhistoricité’ (obsolescence culturelle) … mais il est temps de penser en dehors des chemins rebattus.

Dictionnaire des mots en tropDictionnaire des mots manquants, Collectif dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet [Éd. T. Marchaisse]

Ces deux dictionnaires ne sont évidemment pas comme les autres. Même s’ils proposent une liste de mots bien classés par ordre alphabétique. Qu’ils soient ‘manquants’ ou ‘en trop’, ils correspondent à « un certain état de langue », précisent les coordinateurs Belinda Cannone et Christian Doumet qui ont confié à une cinquantaine d’auteurs le soin de réfléchir librement sur l’essence même de l’écriture. Leur juxtaposition suffit à déclencher la curiosité, l’introspection ou la méditation. Le lecteur n’est jamais déçu par chaque « nouvelles » dans lequel il s’embarque. Tant l’amour de la langue – cernant le mot ‘absent’ ou au contraire ‘antipathique’ – cisèle autant d’expériences littéraires et humaines.

Ne cherchez pas de définition au sens propre du terme, mais plutôt des actes de résistance à trop de banalité (l’excès d’« évidemment » ou « je gère »,  par exemple) ou à une absence verbale parfois douloureuse « pour exprimer un parent qui perd son enfant »…. Chaque entrée à sa manière déclenche une liberté de ton tout simplement jouissive (ouf ! le mot n’est pas en trop). Le manque d’exhaustivité, ou l’excès de mauvaise foi est bien entendu assumé, ce qui rend ces deux ouvrages aussi précieux que libératoires. On attend avec impatience le troisième volume annoncé cet automne des mots ‘merveilleux’.

Les théoriciens de l’art, Sous la direction de Carole Talon-Hugon [PUF]

 

Si une œuvre d’art porte la trace du temps qui s’est écoulé entre sa production et sa réception actuelle, elle porte aussi « un temps mental », rappelait Daniel Arasse dans son « Histoire de peintures » (Denoël, 2012). « Ces autres regards. posés sur cette œuvre, depuis deux, trois, quatre siècles, contribuent à former et informer mon propre regard. » C’est au regard d’un « nous » collectif (John Searl) nourri de près d’une centaine de passeurs visionnaires (de A comme Adorno jusqu’à Z comme Zola), choisis pour leur « pensée théorique consistante, originale, influente ». Au fil des entrées, ces regards au gré des époques, des inventions et des artistes tentent de donner à voir et du sens à l’Art, entre ruptures esthétiques et/ou continuités historiques. La nécessité de cette somme unique et impressionnante (plus de 700 pages) tient qu’elle s’attache à faire comprendre toutes les idées et les concepts que l’art a pu engendrer, tiraillés par la volonté de lever le mystère artistique et d’évaluer la beauté.

Pour ceux qui craignent une approche trop « théorique », privilégiant plutôt l’affect immédiat, le Dictionnaire « Arts & Emotions », toujours sous la direction de Carole Talon-Hugon, associée à Mathilde Bernard, et Alexandre Gefen (Armand Collin, 2016, 480 p., 37€) se refuse à l’exclusion très contemporaine des émotions du champs de l’art (comme d’ailleurs de la connaissance) pour revendiquer, au contraire, de penser les arts dans leur dimension affective et les émotions dans le cadre de l’expérience artistique.

Culturissime, le grand récit de la culture généraleFlorence Braunstein et Jean-François Pépin [Éd. Gallimard]

Spécialistes de la démocratisation de la culture – notamment auteurs des bestsellers La Culture générale pour les Nuls, et 1 kilo de culture générale– le duo Florence Braunstein et Jean-François Pépin récidive pour notre plus grande édification, avec une ambition intacte et un plaisir communicatif. Ce nouveau pavé, foisonnant, retrace ni plus ni moins que toute l’Histoire de l’Humanité en 4 grandes périodes : l’Antiquité, le Moyen-Âge, le Monde moderne et l’Époque contemporaine, à travers trois angles : les Hommes, les Courants de pensée et les Monuments.
Au hasard de la lecture, les curieux découvriront la seule femme Empereur de Chine, Wu Zeitan (624-705) ; l’Haskala, un mouvement de pensée qui se développe dans les communautés juives d’Europe Centrale et Orientale entre la fin du XVIIIe et le XIXe ; le temple Borobudur à Java, un des monuments les plus impressionnants jamais créés par l’homme….

Enrichie d’une superbe iconographie, cet aiguillon de curiosités prouve que la ‘Culture générale’ notion hélas trop décriée, reste une corne d’abondance. De plus, le format papier, grâce à une maquette aérée et des accroches stimulantes, démontre qu’il peut aussi tenir tête à une version digitale.

Olivier Olgan

Informations pratiques

-De Disruption à Prosommateur : 40 mots-clés pour le monde de demain, Sébastien Claeys
Editions Le Pommier, 256 p., 22€

-Dictionnaire des mots manquantsCollectif dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet
Edition Thierry Marchaisse 2016, 195 p., 16,90 €

-Dictionnaire des mots en trop, Collectif
Editions Thierry Marchaisse 2017, 195 p., 16,90 €

-Les théoriciens de l’art, sous la direction de Carole Talon-Hugon
Editions PUF, 2017, 747 p., 35€

Dictionnaire « Arts et émotions », sous la direction de Carole Talon-Hugon, Mathilde Bernard et Alexandre Gefen
Armand Collin, 2016, 480 p., 37€

Culturissime, le grand récit de la culture généraleFlorence Braunstein & Jean-François Pépin
Editions Thierry Marchaisse 2016, 195 p., 16,90 €

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