En chinant chez Joseph Gibert, « Portraits sans retouches » de Françoise Giroud

Gibert Joseph n’est pas uniquement pour Patrice Gree une très bonne librairie, par l’immensité du choix qu’elle offre, et la qualité des vendeurs qui l’entretiennent, c’est aussi pour l’ancien libraire, une excellente école de librairie… C’est chez le vieux qu’il a appris son métier ! A chaque visite, sa curiosité est stimulée. Il cherchait du Gary, c’est avec « Portraits sans retouches (1945-1955) » de Françoise Giroud (Folio) qu’il est reparti ! et il s’est régalé de sa galerie de portraits, cruels ou tendres, croqués à charge ou à décharge, avec ou sans effets de manche. La femme de plume, féministe mais pas militante, ironise avec l’élégance de l’intelligence sur la vacuité des hommes.

Les trésors de Gibert, le vieux

Joseph Gibert, au 26 du boulevard Saint-Michel reste une librairie exemplaire Photo Patrice Gree

Lorsque je suis en panne de livres…et qu’il y a urgence, je vais chez Joseph Gibert, au 26 du boulevard Saint-Michel ! Joseph, c’est le vieux ! Le Jeune est mort et enterré sous un resto Italien de la Place Saint-Michel ! Le vieux, plus dur à cuire, contre le vent des ventes en ligne et les marées qui ont chassé en quantités, profs et étudiants du quartier latin…tient ! Tiens donc, et pourquoi ?

Tandis que la Fnac a enrichi le fond littéraire du pays des lumières, d’aspirateurs, de presse citrons, et de friteuses électriques, Gibert, ce monument de la vie parisienne, lui, ne bouge pas !

Ce n’est pas chez le vieux qu’on trouvera des presse-purée entre deux Pléiades !

Et ce qui ne bouge pas dans ce monde de fous furieux, rassure et apaise ! Il y a 40 ans, c’était le même ! Les étalages dehors où le pire, et parfois avec un peu de chance le meilleur, de la littérature se mélangent à des prix imbattables dans des bacs moches, servent de hors-d’œuvre aux dévoreurs de mots. Il paraît que Cavanna qui vivait à moitié dans le quartier, adorait fouiller dans ces bacs. Il invitait sa grande amie Virginie à « aller aux champignons »…

Si Joseph Gibert attire par l’occasion, c’est surtout grâce au neuf en surnuméraire qu’il fait tourner la grosse baraque.

Gibert Joseph n’est pas uniquement une très bonne librairie

Par l’immensité du choix qu’elle offre, et la qualité des vendeurs qui l’entretiennent, c’est aussi une excellente école de librairie… C’est chez le vieux que j’ai appris mon métier ! J’y suis rentré en 81 pour un boulot, j’en suis sorti en 86 avec un métier. Parents…si vos enfants veulent exercer ce métier très sympa qui payent mal, plutôt que de les inscrire dans une école d’éditions et de librairies onéreuse, pendant deux ou trois ans…faites les embaucher chez Gibert ! Ça ne vous coûtera rien, et eux seront payés ! Y a pas photo !

Le métier de libraire peut parfaitement s’apprendre sur le tas ! Tout le reste c’est du blabla littéraire à but lucratif !

Vive le tas !

Donc, la semaine dernière je passe chez Gibert à la recherche d’un poche déjà lu, aimé puis perdu, de Romain Gary, « La nuit sera calme ». Formidable bouquin comique de faux entretiens sur les tragédies humaines… Il n’y en avait plus aux lettres GA, je pousse alors mes recherches jusqu’aux GI – on ne sait jamais – et tombe sur un folio « Portraits sans retouches » de Françoise Giroud !

Journaliste scrupuleuse, femme de caractère, amoureuse fragile…

Cette série de portraits d’artistes, d’écrivains et de politiques est un véritable bonheur de lecture. Kessel, Perrier, Piaf, Trenet, Brassens, Prévert, Rossellini, Montand, Pagnol, Rostand, Orson Welles, Anouilh, Carné, mais aussi Mitterrand … et tant d’autres. Formidable portrait de Mendès France en économiste lucide, en résistant courageux et tourmenté, en politique intègre.

Formidable portrait de Michel Simon en épouvantable ogre sensible comme un bébé abandonné sur le parvis d’une église, mélange terrifiant de loup et de petit chaperon rouge à la fois !

Formidable portrait de Kessel dont Giroud dit « il est le type de l’homme qui aime mieux passer deux heures avec le camarade de régiment le plus obtus, qu’avec la femme de sa vie « …  Formidable portrait de Gérard Philipe, totalement à contre-courant de l’image iconique de l’acteur français.

Cruels ou tendres, à charge ou à décharge, avec ou sans effets de manche, les portraits de Françoise Giroud, féministe mais pas militante, qui ironise avec l’élégance de l’intelligence sur la vacuité des hommes, se lisent tout le long, un grand sourire aux lèvres..

À cheval sur sa plume, elle t’embarque loin du gris du moment.

Le portrait est un art difficile, qui peut facilement virer à l’autoportrait masqué. La révélation ou la justesse des traits de caractère du « modèle » ne pèse rien face au style de l’auteur. Entre le beau et le vrai, je choisis le beau…fût-il totalement faux ! En littérature toujours. Dans la vie…parfois !

Patrice Gree