Culture

En exposant ses aquarelles intimes, la réalisatrice Mary Clerté sort de sa zone de confort

Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro

Article publié le 14 septembre 2020

[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Recherchée pour ses clips vidéo déjantés sur la mode, le passage du film à l’image dessinée permet à Mary Clerté de se dévoiler en sortant de sa zone de confort. Les aquarelles qu’elle expose libèrent sans garde-fou une animalité enfouie. Ses ‘voies sauvages’ trouvent l’écrin et la bienveillance idéale de la Galerie Pixi, boudoir de Marie Victoire Poliakoff pour trouver l’intimité du public jusqu’au 21 octobre 2020.

Mary Clerté La partouze (50x36cm) © Mary Clerté

 

Vous avez dit, bizarre ?

Quand elle évoque son père, l’artiste Jean Clerté (1930), peintre à l’œuvre figurative ludique, Mary Clerté en parle toujours comme d’un éternel enfant. Si elle ne voit aucun héritage paternel dans son travail, elle cite néanmoins son adage qu’elle fait sien : « une bonne image se passe de discours et parle d’elle-même ».

Au départ, cette série d’aquarelles présentées chez Pixi n’avait pas pour vocation à être exposées. C’est en les postant sur son compte instagram @maryclerte qu’elles furent repérées par Marie Victoire Poliakoff qui a tout de suite aimé ce quelque chose de « bizarre » de ces dessins. L’œuvre avait déjà parlé d’elle-même !

Révéler une autre image de soi-même

Mary Clerté Le chat (31×41 cm) © Mary Clerté

Loin de ses clips plutôt acidulés (sur vimeo), l’univers dessiné au fil des feuilles de Mary Clerté rattache des réalités intimes à des enfouissements nostalgiques. Cette mise à nu s’avère insinuante, déconcertante voire dérangeante, d’une phantasmagorique intime baroque tout en brossant de l’artiste une autre image d’elle-même.  Il y a entre autres correspondances du Louise Bourgeois dans ses aquarelles qui assument et traduisent le refoulé du subconscient.

Ses dessins explorent à vif des thèmes tels que l’onirisme féminin et domestique, la corporalité et le sang mais surtout l’animalité. En les découvrant, l’araignée souriante d’Odilon Redon vous vient en tête ou encore le Saturne dévorant un de ses fils peint par Goya.

Mary Clerté Biches siamoises (50x36cm) © Mary Clerté

Tout un bestiaire mis en scène

Jouant des multiples possibilités d’identification de l’animal, Mary Clerté brouille avec de ‘gentilles’ diableries les frontières. L’humanité et l’animalité se croisent ou s’absorbent, rejoignant les métamorphoses d’un Jérôme Bosch, ou d’un Pieter Brueghel l’Ancien ou plus récemment les surréalistes… Peu de paysages dans ses aquarelles croquant plutôt au plus près hommes ou femmes et/ou animaux avec quelques très rares accessoires. Peut être parfois apparaît une maison solitaire découpée ‘à la Edward Hopper’….

A ceux qui auraient la tentation de verser dans un biais psychanalytique, ses références nous confie-t-elle, sont en fait plutôt cinématographiques : de Luis Buñuel à Yorgos Lanthimos et sa « favorite ».
A l’évidence, le fétichisme de la mise en scène du corps l’intéresse. Croit-elle en l’anthropomorphisme ? Ses dessins qu’elle assume comme ‘instantanés’ ouvre le champ. Comme réalisatrice, elle parle « d’image efficaces », sorte de composition en plan fixe. Quand Singular’s la pousse dans ses retranchements, elle évoque dans un rire timide ses « snack (pictures)». Ses ‘contenus’ courts faits pour casser l’indifférence lui permettent de gagner une visibilité très directe. C’est bizarre !

Mary Clerté Miam Miam (20x28cm) © Mary Clerté

La féminité, avec une présomption innocence ?

Au vu de ses compositions urgentes, sans repentir, animalières ou féminines qui s’interpénètrent, le regardeur saisit et s’émeut de la colère, entre rage et révolte que Mary a voulue libérer, avec sa part de mystère et de non-dit. Des bras sortent de la bouche de perroquets et de poissons. Une biche semble vouloir rentrer dans le ventre d’une femme. Enfants, lapins semblent toujours saigner… Quelle signifie la part de l’animal que chacun porte en soi ? demande-t-elle.
Elle parle aussi « d’un travail sur les mains ‘invasives ». C’est sa manière à elle de se manifester #Me Too.

Mary Clerté Premier baiser (50x36cm) © Mary Clerté

Explorer ses ‘voies sauvages’ 

A l’évidence, toutes les dimensions de la féminité sont explorées. « Les voies sauvages », titre de l’exposition, en ouvre les multiples mystères :  de l’identité (versus animalité/masculinité) à la maternité (gêne ou désir) … « Une bonne image parle d’elle-même ». Si tout innocence peut être aussi perverse, Mary Clerté invoque que c’est au regardeur de s’y confronter. Pour avertir, dans une pirouette enfantine : « comme j’aime bien qu’il y ait toujours une touche de second degré et de légèreté, ces « voies sauvages » me permettaient aussi de faire un clin d’œil à la chanson de Michel Delpech « Le chasseur », oui j’ai un côté un peu désuet assumé !! ».

L’artiste bénéficiera-t-elle ici d’une nécessaire présomption d’innocence ? L’avenir nous apprendra si c’était à tort ou raison après cette première exposition qui lui permettra de confirmer sa voix.

Suivre Mary Clerté

Instagram : @maryclerte

Actualité :

Jusqu’au 21 octobre 2020 Exposition ‘Les voies sauvages’ Galerie Pixi, la galerie boudoir de Marie Victoire Poliakoff. 95 rue de Seine 75006 Paris

« Pourquoi j’aime tant ce mot (boudoir) qui évoque la discrétion, le mystère et l’élégance ? revendique Marie Victoire Poliakoff sur son site. Ne tenait qu’aux définitions, je ne saurais laquelle choisir. Un salon féminin ? Un salon de conversation ? Un espace à soi ? Un endroit où l’on se retire. Certes mon boudoir est un lieu qui appelle à la bouderie. A la bouderie d’un certains monde … Dans un sens, cette porte que l’on pousse et que l’on referme sur soi en ouvre une autre. Elle s’ouvre sur mon être intérieur. Elle s’ouvre sur tout ce que j’aime : l’Art, la Beauté, l’Elégance, la Fantaisie, l’Amitié … Oui, l’Amitié pourquoi pas ? Je crois aux belles rencontres … ».

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