Culture
Entre nuages et étoiles, il est libre Miró
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 11 janvier 2019 à 18 h 09 min – Mis à jour le 11 janvier 2019 à 19 h 41 min
Loin de l’infantilisme spontané ou du subconscient libéré où Joan Miró est souvent cantonné, l’exposition du Grand Palais (jusqu’au 4 février 2019) montre sa stimulante intranquillité. Elle se nourrit d’un émerveillement qui le rend à la fois familier et insaisissable. Et toujours moderne.
Géomètre de nos rêves
Son travail – en peinture mais aussi en sculpture – par sa légèreté poétique souvent ludique fuit toute théorie ou école. Les titres percutants ou déroutants de ses « Peintures-poèmes » comme « Une étoile caresse le sein d’une négresse » ou « Ceci est la couleur de mes rêves » (titre de l’exposition) ainsi que ses sculptures telle ‘La caresse d’un oiseau’ soulignent l’ indépendance de destin qu’il souhaite donner à chaque œuvre. Loin des mouvements ou des affiliations, Miró a gommé toutes les frontières, toutes les étiquettes. Pour être libre.
Même s’il flirta avec les ‘ismes’ de son époque : fauvisme et cubisme radicaux, surréalisme spontané et même l’abstraction expressionniste, Miro en fait toujours un point de départ. Ne s’y laissant jamais enfermer (au grand dam des chefs de file, André Breton en tête). Malgré la bienveillance pour les artistes qu’il admire – de Picasso à Pollock, d’André Masson à son compatriote Antonio Tapiès – il sait toujours garder une distance détachée dans tous les sens du terme.
La création d’un alphabet… ni figuratif ni abstrait
Privilégiant l’émotion directe, il libère son imagination à travers des outils en constante transformation : « Pour moi, un tableau doit être comme des étincelles. Il faut qu’il éblouisse comme la beauté d’une femme ou d’un poème » ou encore : « Un galet qui est un objet fini et immobile me suggère non seulement des mouvements, mais des mouvements sans fin. Cela se traduit, sur mes toiles, par des formes semblables à des étincelles sortant du cadre comme d’un volcan. » Chacune des 150 œuvres proposées au Grand Palais confirme cette liberté de « s’évader dans l’absolu de la nature » (Peinture, 1926).
La quête constante d’un ‘mouvement immobile’
Aussi l’oeuvre protéiforme de l’artiste Catalan, familière et toujours surprenante, échappe à toute analyse. Et ce sont les poètes et écrivains qu’il vénérait qui en parlent le mieux : « Ses sculptures possèdent une vie propre, un rythme puissant, une sombre violence, que nous avons déjà aperçus dans les vestiges de plusieurs civilisation primitives. » (André Pieyre de Mandiargues). « La blanchisseuse veuve qu’on appelle la nuit surgit sans bruit et dans le bleu de la lessive l’astre Miró l’étoile tardive… » (Jacques Prévert). « Dans l’univers de Miró, lorsque l’on vise juste, il n’est pas interdit de couronner d’un salut irrévérencieux l’histoire de l’art, même en tirant la langue. » (Tristan Tzara). « Ce qui, du point de vue esthétique, se joue de décisif dans les œuvres de Miró, c’est d’avoir institué au milieu de notre âge de plus en plus technique et à l’encontre de ses virtualités ¬inhérentes, un art dont les supports matériels sont destinés -à capter et à ¬retenir le merveilleux. » (Christian Zervos).
Une poésie visuelle devenue familière
Paradoxalement, ses inventions visuelles ont rendu son univers familière immédiatement abordable par un large public – des ‘Paysages imaginaires’ (1935) aux ‘Constellations’ (1939-1941), en passant les céramiques – non sans avoir recueillis de nombreux quolibets par leurs ‘excès’ apparents de simplicité ou de dépouillement. Pourtant dans cette dynamique de création, libérée apparemment de tout effort et virtuosité, Miró n’a de cesse d’affirmer sa volonté d’« assassiner la peinture » déclarant même essayer « chaque jour faire un peu moins bien ». Le visiteur ressent au fil des salles son imaginaire s’élargir, s’épanouir et constamment respirer un autre air.
Vers le dépouillement introspectif
Toujours de son temps, mais dessinant l’avenir, il a su « dépasser la peinture de chevalet » notamment par ses œuvres monumentales –des Bleus I,II, III (1961) à ‘L’espoir du condamné à mort I, II, III’ (1974) – et par l’univers scénique qui autorise une véritable immersion.
Le dispositif de salles qui leur sont dédiées au Grand palais autorise une introspection émouvante très proche de celle qu’a vécue leur auteur : « Le spectacle du ciel me bouleverse. Je suis bouleversé quand je vois, dans un ciel immense, le croissant de la lune ou le soleil. Il y a, d’ailleurs, dans mes tableaux, de toutes petites formes dans de grands espaces vides. Les espaces vides, les horizons vides, les plaines vides, tout ce qui est dépouillé m’a toujours beaucoup impressionné. » On regrettera seulement l’impossibilité de s’asseoir au cœur du triptyque ‘L’espoir du condamné à mort I. II. III’ pour se fondre dans cet espace pictural confondant.
Dans la dynamique privilégiant l’apesanteur proposée par le commissaire Jean-Louis Prat, c’est bien in fine la géographie de nos rêves que Miró a su cartographier, de la ‘Ferme’ (1921-1922) aux ‘Oiseaux de proie foncent sur nos ombres’ (1970) tout en nous montrant la voie, celle d’un émerveillement actif.
Informations pratiques
«Miró, ceci est la couleur de mes rêves », au Grand Palais. Jusqu’au 4 février
3, av. du Général-Eisenhower (Paris 8e).
Entrée square Jean Perrin
Du mer. au lun. de 10 h à 20 h – Nocturne le mercredi, vendredi et samedi de 10h à 22H
- L’indispensable catalogue : sous la dir. de Jean-Louis Prat (éditions RMN-Grand Palais, 304 p., 300 illustrations, 45 €.).
Non seulement l’objet est remarquablement édité (tranches colorées au choix, papier 130gr mat), mais pratiquement tous les tableaux sont enrichis de citations lumineuses du peintre catalan ou des poètes qu’il a tant aimés. Sans oublier la remarquable introduction du commissaire Jean-Louis Prat qui associe lectures de l’oeuvre et connaissances de l’homme.
Pour aller plus loin
- Joan Miró, Ceci est la couleur de mes rêves. Entretiens avec Georges Raillard, éditions Hermann.
- « Cahiers d’art » 176 p., 90 €. A voir au 14, rue du Dragon, Paris 6e, jusqu’au 31 janvier.
- Adrien Goetz, Les Constellations de Varengeville. RMN-GP, 14,90 €
- Jacques Dupin, Miro. Flammarion. 1961 – réed. 2012
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