Culture

Essais : La vie privée, parenthèse dans l’Histoire et du confinement ?

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 20 avril 2020 à 21 h 24 min – Mis à jour le 20 avril 2020 à 21 h 30 min

Alors que la généralisation d’outils numériques de traçage des contacts « coronavirus à risque » est présentée comme indispensable pour l’après confinement, les deux essais d’Olivier Tesquet et de Bernard E. Harcourt confirment que la dynamique technocratique d’une surveillance à outrance exige une technocritique renouvelée et des solutions encadrées.

Peut-on encore résister aux regards numériques ?

Dématérialisation de nos liens comme de nos biens, triomphe des plateformes culturelles, comme du télétravail, « la crise du coronavirus signale l’accélération d’un nouveau capitalisme, le capitalisme numérique » selon l’analyse pertinente de Daniel Cohen dans Le Monde du 2 avril non sans prédire « l’effondrement des promesses humanistes de la société postindustrielle ». Surtout quand la généralisation du traçage numérique s’annonce comme la nécessaire solution pour faciliter la sortie du confinement sur les modèles chinois et singapouriens.
Deux livres complémentaires par leur approche clinique une impuissance désabusée face à la banalisation de « la surveillance et de la marchandisation de notre vie privée » (Harcourt) dont nous sommes à la fois les contributeurs compulsifs et cibles consentantes.

Une nouvelle ère, l’addiction à la société d’exposition.

Associant érudition philosophique et technique, Bernard E. Harcourt s’empare de l’intuition fondatrice du Michel Foucauld de Surveiller et punir, forgée en 1975 pour élaborer le concept paradoxal de « Société d’exposition ». Son approche historique est stimulante notamment pour ceux que ne mettent la faute que sur les GAFA : c’est notre désir – inextinguible – de « reconnaissance » dans tous les sens du terme qui aboutit à une servitude volontaire assumée alors même que « tous nos mouvements, activités et déplacements quotidiens deviennent accessibles à ceux qui disposent des technologies les plus rudimentaires. » Avec notre consentement, « la propriété et l’usufruit de notre vie privée se démembrent pour être progressivement confisquées. »

Faire apparaitre les dispositifs du contrôle social en pleine lumière.

Avec un style plus tranché, l’angle d’attaque d’Olivier Tesquet est le plus critique sur la collusion opaque entre les pouvoirs publics et le secteur privé. D’autant que ces dispositifs de la surveillance qui ne cessent de se diversifier sont devenus ‘gazeux’ : soit ils organisent leur invisibilité, soit ils ne se présentent pas comme tels. L’intrusion massive de la reconnaissance faciale est, selon l’auteur exemplaire ; imposée aux citoyens sans concertation ni limite législative. Autre exemple ; connaissez-vous le ‘stalking’ (ou voir en étant vu) qui crée l’addiction des membres des réseaux sociaux ? « C’est un art divinatoire incertain aux conclusions contestables ce qui les rapprochent dans ce sens de la déduction algorithmique. La différence ? Au lieu d’entrainer la machine à détecter les signaux faibles, nous habituons notre cerveau à les identifier dans une boucle de rétroaction fonctionnelle. »

De l’évidence technocratique à la nécessaire technocritique

Résister à l’évidence technocratique qui s’impose au nom d’une sécurité toujours nécessaire, les conclusions des deux auteurs se complètent elles aussi même si elles ne cachent pas un certain scepticisme. Pour le journaliste, compte tenu des biais multiples des algorithmes, il faut d’urgence de développer une ‘technocritique’ pour sanctuariser notre vie privée.
Olivier Tesquet en appelle – sans trop y croire – à plus de régulation, à mobiliser les imaginaires tout en repolitisant les enjeux de ces dispositifs ubiquitaires. Le philosophe Bernard E. Harcourt compte lui sur une nécessaire « désobéissance numérique » à l’instar des lanceurs d’alerte dénonçant gouvernements, entreprises, algorithmes comme Julian Assange (Wikileaks), Christopher Wylie (Cambridge Analytica).
Seront-ils entendus alors qu’un traçage numérique peut accélérer un déconfinement rapide que tous espèrent légitimement ?

Références bibliographiques

  • Bernard E. Harcourt. La Société d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère du numérique. Seuil, 336 p., 23 €.
  • Olivier Tesquet. A la trace. Ed. Premier Parallèle. 260 p. 20€
  • Bernard E. Harcourt. La Société d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère du numérique. Seuil, 336 p., 23 €.
  • Olivier Tesquet. A la trace. Ed. Premier Parallèle. 260 p. 20€

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