Exposition : Amédée Ozenfant, AurelK. et Marie-Victoire Winckler [Galerie Granoff-Larock]

jusqu’au 8 juillet 21, Galerie Granoff- Larock 13 Quai Conti, 75006
Horaires : Mardi-Vendredi 11h – 17h Samedi – Dimanche 14h – 19h et sur rendez-vous

Habitué au jeu des correspondances, Edouard Larock,  directeur de la galerie Granoff- Larock fait coup double en rapprochant les œuvres d’Amédée Ozenfant (1886 – 1966), de celles de deux artistes d’aujourd’hui ; AurelK. (né en 1992) jeune diplômé de l’école Boule et Marie-Victoire Wrinckler, qui a lancé son studio de création en 2016. Le marchand-collectionneur réhabilite une figure négligée de l’école de Paris malgré son rôle déterminant dans le ‘purisme’ avec Le Corbusier, et souligne sa modernité, confrontée à deux créateurs eux aussi en quête d’essentiel.

Jouer des correspondances de formes pures

Amédée Ozenfant, Les Montagnes, 1961 Galerie Granoff- Larock Photo Régine Glass

Les créations d’Amédée Ozenfant (1886 – 1966), et AurelK. (né en 1992) forment une continuité de formes épurées issues de recherches intérieures, presque méditatives, pour y dessiner la cartographie de paysages et de formes rêvées. L’exposition nous plonge dans l’âme des inspirations gémellaires à travers le temps.

Pure, en clin d’œil au « purisme » qu’Ozenfant théorisa avec son ami et complice Le Corbusier, « pour nettoyer la langue plastique des termes parasites comme Mallarmé l’essaye pour la langue verbale », c’est le mouvement qu’Amédée souhaite maitriser jusqu’à le figer , il sera également  le compagnon de route de Léger, Matisse et Picasso auprès desquels il évolue.

AurelK. sans titre 2 Galerie Granoff- Larock

Les encres et aquarelles ondulatoires d’AurelK. y répondent dans des rythmes alternés de traits et de courbes.  “Mon travail, mes réflexions m’amènent à trouver un équilibre entre la parfaite abstraction et l’illusion du figuratif. confie le millennial Donner un caractère ordinaire à un matériau précieux et inversement révèle le précieux de techniques plus communes”. Ces aquarelles nous plongent dans un imaginaire contemporain aux airs japonisants et aux déclinaisons chromatiques allant de l’ocre au bleu profond et noir soulignées de fins traits à la feuille d’or.

Le travail d’AurelK. est comme un souffle qui vient contraster la rigueur et le trait pur d’Amédée Ozenfant. On reste médusé par sa rigueur qui sans austérité, impulse une force aux traits parfaits. Ce maitre du purisme enlève tout ce qui n’est pas essentiel et nous présente l’essence même du sujet ici un bateau, une montagne, des bols).

Ozenfant, artistecte trop longtemps dans l’ombre du Corbusier

Retour en arrière. Amédée Ozenfant designer avant l’heure, architecte de formation il se passionne de mécaniques au point qu’il contribute à redessiner l’Hispano-Suiza grand sport modèle 1911 en Hispano-Alphonse XIII. Son destin bascule avec la rencontre Charles-Édouard Jeanneret (1887-1965) qu’il appelle Le Corbusier chez Auguste Perret. Ils deviendront amis puis associés de 1920 à 1925. Au tout début de leur collaboration, ils écrivent « Le manifeste du purisme » qui fera date. Amédée Ozenfant est le théoricien génial et inspirant quand le Corbusier est l’homme de communication. Ils rayonnent chacun dans leur domaine. On retrouve cette approche dans l’esprit Bauhaus de Gropius et d’un Mies Van Der Rohe. « Less is more » s’applique si indubitablement à la peinture d’Amédée Ozenfant, qui se définit comme « artistecte » et dont la peinture évoluera jusque dans les années 60. « Sa conception du Purisme l’a conduit à élaborer un langage plastique et à formuler une nouvelle esthétique, en accord avec le développement de l’économie et de la culture industrielles, la mémoire des  » constantes  » universelles de l’art et le développement de l’architecture moderne.” rappelle sa biographe Françoise Ducros (2002, Editions du Cercle d’Art) qui n’oublie pas de mentionner que Le Corbusier a tout fait pour reléguer son complice dans son ombre, en s’attribuant seul le purisme…

Amédée Ozenfant, Autoportrait, Galerie Granoff- Larock Photo Régine Glass

« Quel peintre ! » C’est ainsi que Katia Granoff concluait de sa voix inimitable l’accrochage des œuvres de l’artiste dont elle était intime : « Plus qu’un compliment c’est une réalité. écrit-telle dans sa préface des Mémoires, écrites par Amédée Ozenfant  Au-delà du théoricien du purisme, du professeur à la Ozenfant School of Fine Art, c’est le peintre que j’admire le plus ; des paysages réalisés lors de son voyage en Russie en 1913 teintés de spiritualisme, aux œuvres ultimes de 1966 tendues vers un dépouillement absolu. La peinture d’Ozenfant est caractérisée par une grande unité, une constante évolution et une remise en question permanente et c’est ce qui fait qu’elle est si attachante.
Or ce cheminement de l’artiste peut dérouter certains esprits qui veulent à tout prix, enfermer Ozenfant dans sa période puriste et occulter l’ensemble de son travail d’avant 1916 et d’après 1925. »

Sur les tables, les compositions verrières de Marie-Victoire Winckler

Marie-Victoire Winckler, Vase Galerie Granoff Photo Régine Glass

Fidèle à l’esprit de continuation, Edouard Larock distille l’esprit de l’utile et du beau qui anime l’ère de l’architecture industrielle. Il a été inspiré par les magnifiques pièces d’artisanat d’art en verre soufflé, ces vases aux courbes épurées de l’artiste Marie-Victoire Winckler. Ici encore, les formes et les couleurs des pièces illuminent l’esprit de l’exposition, elles viennent réchauffer le décor avec une attention très « Maison de Famille » chère à l’endroit. On note l’originalité de ces vases aux formes emmanchés de différents cous de céramiques, qui leur donnent au gré de vos compositions des personnalités adaptées à vos envies. Cette touche créative réhausse le travail du verrier car ces bagues de blancs immaculés ou de noir vernissés donnent le ton à l’allure de l’objet. Merci encore pour ce regard contemporain qui mêlent peinture, aquarelle et artisanat d’art.

Cette exposition dont c’est le dernier weekend, revitalise, et sied à l’esprit de promenade, cher à ce temps enfin retrouvé. D’autant que pour apprivoiser ou stimuler les « correspondances » chères à Baudelaire, Edouard Larock la baigne d’ une bande-son aux vibrations douces, pour permettre que « formes, couleurs et matières se répondent » salle après salle.

#Régine Glass