Exposition : Bernard Moninot, Le Dessin élargi (Fondation Maeght)
- Jusqu’au 12 juin 22, Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 623, Chemin des Gardettes, 06570, Saint-Paul-de-Vence – Catalogue imprimé aux éditions IN FINE.
- Jusqu’au 18 septembre 22, Bernard Noël – Bernard Moninot, Un toucher aérien, Musée Départemental des Hautes-Alpes, 6 Av. Maréchal Foch, 05000 Gap – Ouvrage publié par les éditions ARTGO &cie.
- Prendre le temps de vitesse, Bernard Moninot, édition établie et préfacée par Renaud Ego, L’Atelier contemporain.
Artiste sidéral, plus que « contemporain », et qu’il fait bon de voir de plus en plus reconnu : Bernard Moninot ne s’excusa pas de dessiner quand dominait le conceptuel, pour l’excellente raison qu’il assuma les grandes audaces conceptuelles dont il héritait. A voir à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence (> 12 juin 22) et au Musée départemental des Hautes-Alpes (> 18 septembre 22).
Au commencement était « l’élevage de poussière »
« Elevage de poussière » : par cette formule malicieuse et tout à fait dans son esprit dadaïste, Marcel Duchamp désigna une zone de son légendaire totem de modernité à nulle autre œuvre comparable, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, élaborée sur verre en secret de 1915 à 1923. Eh bien, porté par les avant-gardes qui pulsaient comme jamais dans les sixties, un jeune artiste avait bien repéré cette zone de quatrième dimension, tout en apprenant aux Beaux-Arts tous les moyens de faire de sa main ce qu’il voudrait un jour créer, quoi qu’il veuille créer.
Comme souvent dans son parcours, un fait adjacent lui ouvre une perspective, qui réveille la poussière géométrisée par Duchamp : il remarque une équipe d’ouvriers du bâtiment traçant une ligne de plusieurs dizaines de mètres d’un seul coup de poudre bleutées sur du béton fraîchement décoffré, cela grâce à un cordeau technique qui tire tout en un instant, sans la durée du dessin à main levée. A partir de là, Bernard Moninot va réaliser une de ses premières séries, des vitrines qu’il baptisera Constructions, pour restituer l’ombre portée d’un élément, chose, ou même mot, « à la vitesse de la pensée »…
Puis il y eut les serres
Sa main avait suffisamment appris pour travailler le dessin avec une finesse extrême et qu’il tenait à étirer dans le temps. La série des serres à cet égard est fascinante de densité translucide, grâce à ses nuances du verre à l’ombre du verre, plongeant le regard sur ce qu’il y a dans une serre, à travers ses croisées transparentes et à peine embuées, le tout planant dans le vide de la feuille de papier.
Du coup, dans ce vide aveuglant, l’architecture pour être diaphane reste dense, mais dense de quoi ? De la durée qui se perçoit dans la manière de l’avoir dessinée. « Et si cette durée m’importe tellement, c’est qu’elle représente le travail mental dans son effort pour traverser le visible et atteindre le réel. Les œuvres sont des réflexions », répond-il au poète Bernard Noël avec qui les entretiens sont passionnants et accessibles dans les ouvrages de et sur Moninot qui se multiplient cette saison. Il faut dire que ce peintre pense, sensiblement ; Poussin disait veiller autant au « percept » qu’au « concept », déjà, au XVIIème siècle.
Jardins du ciel
Un autre poète, Renaud Ego (dont nous avons signalé l’œuvre dans Singulars), accompagne Bernard Moninot dans les conséquences qu’eut pour lui la découverte des jardins astronomiques indiens construits au XVIIIème siècle à Dehli et Jaipur. Le peintre a la révélation du mouvement des ombres portées, qui donnent spatialement la mesure du temps en haut comme en bas. Car là, le soleil dessine grâce à des formes abstraites. Moninot en tire des séries d’œuvres astronomiques, des Flammes solaires à la Lumière fossile en passant par la Baie sombre…
Les titres font rêver, tout au long de l’œuvre de cet artiste hypercontemporain donc hypertechnique, qui intègre à sa poésie très réfléchie ce que permettent les instruments de projections, les rayons lumineux, les surfaces d’installation à programmes cinétiques. N’est-il pas allé jusqu’à feuilleter les perles de rosée ?
Méditation à perte de vue ?
A la cour du Sultan d’Istanbul, l’apogée de carrière des peintres d’enluminures était de devenir aveugles pour encore mieux « copier » le point de vue de Dieu ; le romancier Orhan Pamuk nous décrit cette épopée artistique, authentique, dans un de ses grands romans, Mon nom est Rouge, que salua le Prix Nobel de littérature.
L’œuvre de Moninot le vouait à inventer Le Dessin élargi jusqu’au cosmos, jusqu’aux confins que l’œil ne voit mais que l’esprit peut donner à voir sensiblement. Il en est là de sa plus récente série d’œuvres. C’est dire la suite et ce qui l’y a amené.
Un artiste voyant, d’autant plus singulier qu’il n’est « pas là-dedans », dira le spectateur découvrant cette œuvre élémentaire, simple, infinie de polyvalence épurée.
Le roman Mon nom est Rouge, d’Orhan Pamuk, est reparu en Folio, Gallimard.