Culture
Parisiennes citoyennes! Engagements pour l’émancipation des femmes (1789-2000) (Musée Carnavalet)
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 16 janvier 2023
De 1789 à l’an 2000, l’exposition Parisiennes citoyennes au Musée Histoire de Paris Carnavalet jusqu’au 29 janvier 2023 retrace deux siècles d’engagements qui ont permis aux femmes de gagner leur émancipation. Un retour sur les luttes et les figures héroïques (d’Olympe de Gouges à Simone Veil) qui ont menés combats pour obtenir leurs droits fondamentaux, comme ceux de travailler, de voter, ou de disposer de leur corps (contraception – avortement). Une exposition coup de poings sur d’acquis fragiles qu’il faut renforcer plus que jamais. A Paris et ailleurs.
Tous ses droits ne sont jamais acquis et il faut lutter pour les conserver
Catherine Tambrun et Juliette Tanré-Szewczyk, commissaires
L’histoire des féminismes agissant dans l’espace parisien
L’exposition fait honneur aux parisiennes de toutes époques, entre les révolutionnaires de 1789, 1830 et 1848, les suffragettes, les résistantes, les femmes politiques ou syndicalistes, jusqu’aux artistes et intellectuelles engagées. Un parcours chronologique lourd de sens nourrit une dynamique d’émancipation encore et toujours en marche portées par une magnifique galeries d’icones, célèbres ou anonymes.
Parce que c’est une histoire où l’on s’exclame, où l’on crie, de rage ou de colère, où l’on scande,
où l’on chante ensemble ses espoirs – la révolution, la justice, la liberté, la république, la sororité –
encore et encore, pour ne pas finir dans les oubliettes de l’histoire.
Christine Bard
L’émancipation des femmes, une utopie républicaine
Nourri d’une vaste panoplie de documents multimédia, le parcours suit un fil chronologique à partir de la Révolution Française de 1789 avec le « droit de cité » (droits civiques) jusqu’à la loi sur la parité en l’an 2000. « Entre ces deux dates se déploie une dynamique qui voit s’imposer le droit à l’instruction, la création artistique et culturelle, l’égalité des droits civils et civiques, ainsi que la liberté de disposer de son corps. » rappellent en introduction les commissaires Catherine Tambrun et Juliette Tanré-Szewczyk.
Lors des révolutions françaises de 1789 à 1871, les Parisiennes sont des actrices fondamentales de tous les bouleversements qui chamboulent la capitale. Un horizon se distingue avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Quid des citoyennes à ce moment ?
Les femmes s’organisent pendant la révolution, elles animent des clubs et des salons, envisagent même une égalité politique complète. Le mariage civil et le divorce favorisent leur émancipation, mais le retour à l’ordre patriarcal en 1804 instauré par le Code civil napoléonien éteint leurs espoirs. Ce sont les premières braises d’un mouvement qui prendra son envol par la suite.
C’est tout un système politique, économique et social
qui s’est construit dans et par l’exclusion volontaire des femmes
en les considérant sans cesse comme une minorité,
alors qu’elles représentent… la moitié de la population.
Catherine Tambrun et Juliette Tanré-Szewczyk
Une indépendance qui passe d’abord par l’instruction
Acquérir des connaissances, grâce à la lecture et l’écriture, sont cruciales pour exercer sa citoyenneté. Les lois de Jules Ferry de 1881-1882 permettent aux filles d’accéder à l’école publique gratuite, laïque et obligatoire jusqu’à leurs 13 ans. Une évolution qui permet de combler le retard de l’alphabétisation des filles qui était alors criant.
« Sans connaissance il est impossible d’agir, que ce soit en politique ou dans la création de nouvelles lois » explique Catherine Tambrun. L’enseignement du latin par exemple, n’est pas autorisé aux femmes alors qu’il est indispensable pour accéder aux études supérieures.
La première femme en faculté en Médecine arrive en 1875 avec Madeleine Brest. « Elles vont essayer de rentrer dans les brèches juridiques, des réglementations, en rentrant en auditeurs libres » précise Catherine Tambrun.
Ce genre d’événement est énormément moqué, « les caricaturistes s’acharnent sur ce sujet, les femmes qui veulent accéder à des connaissances c’est considéré comme quelque chose de drôle » dévoile la commissaire de l’exposition. En 1914, les femmes sont 8 sur 1 500 personnes à être inscrites au barreau. Ce nombre archi minoritaire permet néanmoins aux femmes de défricher le terrain de l’éducation.
De Rosa Bonheur à Camille Claudel
L’accès à la création sous toutes ses formes est une dimension essentielle de l’émancipation des femmes, en particulier à Paris, considéré comme la capitale mondiale des arts. Défiant les interdits et les préjugés misogynes, de nombreuses femmes étrangères, provinciales et parisiennes deviennent des artistes accomplies, reliées entre elles par des
réseaux informels ou constitués.
La création d’une élite intellectuelle féminine
Les libertés de tenir des réunions, de presse, de manifestations puis d’associations permettent au féminisme de devenir un mouvement pérenne et bien organisé. Paris voit émerger une nouvelle vague d’associations féministes, aux sensibilités diverses. La ville accueille des conférences, des réunions et des congrès comme le congrès international du droit des femmes en 1878.
Même s’il faut rappeler que si la « femme nouvelle » rayonne dans les années 1900, des reculs existent aussi. La féminisation censée être impulsée par la reconnaissance de quelques -unes, n’est pas toujours au rendez-vous : « Toutes connaissent en leur temps la gloire, qui n’est pas incompatible avec les discriminations. » : Marie Curie, double prix Nobel, n’entrera pas à l’Académie des sciences, aucune autrice prix Goncourt avant 1944. Aucune à l’Académie française avant 1980. Et beaucoup de femmes artistes vivent le plafond de verre qui les jettent vite dans l’oubli : Bonheur, Valadon….
Paris est au cœur de toutes ces nouveautés, sociales, culturelles, politiques :
une modernité dont l’émancipation féminine est une dimension essentielle.
Du Front populaire à Mai 68
Les acquis sociaux obtenus en juin 1936 (40 heures par semaine, 15 jours de congés payés) bénéficient aux femmes comme aux hommes, mais l’écart salarial entre les sexes est maintenu : les ouvrières sans qualifications sont payées entre 25 à 40 % moins que leurs compères masculins.
Le gouvernement de Léon Blum nomme trois femmes secrétaires d’Etat : Irène Joliot-Curie, Suzanne Lacore et Cécile Brunschvicg. Elles sont pourtant privées de droits politiques en ayant pas le droit de vote. « Si leurs maris refusaient qu’elles soient secrétaires d’Etat, elles n’en n’auraient pas le droit » souligne Catherine Tambrun. Un geste symbolique mais comme dit Louise Weiss « trois hirondelles ne font pas le printemps », signifiant que le chemin est encore long et sinueux.
Du droit de vote au droit de disposer de son corps
Le droit de vote des femmes en 1945 est une étape fondamentale, promesse du Général de Gaule. En 1947,14 % des élus du Conseil de Paris sont des femmes, ce sont « des communistes ou des anciennes résistantes qui vont se présenter et être élus » précise Catherine Tambrun. Une représentation qui va fortement décliner par la suite où elles ne sont plus que 8% en 1953, puis 11% en 1959. Il faut attendre l’an 2000 où elles finiront par être 45% puis représenteront la moitié des élus à partir de 2008.
A partir de 1965, les revendications des femmes dans le monde professionnel se font ressentir au ministère du Travail. Vient ensuite mai 68, avec une contestation qui éclate dans les milieux étudiants, du travail et de la culture.
« Malgré les droits civiques qu’elles obtiennent auparavant, les femmes prennent conscience qu’elles ne comptent pas, chez les étudiants, dans les syndicats et les mouvements sociaux » révèle Catherine Tambrun. Nourries par cette effervescence culturelle et politique, les femmes vont se réunir en non-mixité pour parler des problèmes récurrents qu’elles rencontrent.
C’est le cas en 1972 par exemple où des femmes se rencontrent à la Mutualité autour de la violence qui leur ai faite. En 1976, elles se réunissent entre elles avec « 10 heures contre le viol », sujet délicat à aborder en la présence des hommes.
La parité et un combat pour l’égalité sur tous les plans
En l’an 2000, la loi sur « la parité » dans les assemblées d’élus est adoptée. « Elles sont désormais à égalité avec les hommes, ce qui va influencer de nombreuses choses comme dans les entreprises où de plus en plus de femmes vont faire parties du Comité de Direction » remarque Catherine Tambrun.L’égalité salariale reste un enjeu majeur dans l’égalité entre hommes et femmes. « C’est une revendication qui existe depuis toujours car les femmes ont toujours été sous-payées » rappelle la commissaire de Parisiennes citoyennes.
Une loi est votée en 1992 pour bénéficier du même salaire, mais l’écart reste encore marqué aujourd’hui. « En France, 80 % des personnes les plus précaires sont des femmes avec enfants » confie Catherine Tambrun.
Impossible de conclure
Devant les enjeux toujours d’actualité à Paris, mais surtout dans une grande partie des pays du monde, la commissaire admet : « nous avons voulu faire une exposition joyeuse avec beaucoup d’humour. Avec près de 2 heures d’extraits de films, des dessins de Lisa Mandel, racontant l’histoire des femmes connues comme inconnues ».
Malgré de nombreux destins héroïques et tragiques (guillotinées, fusillées, hôpital psychiatrique), les femmes parviennent à faire valoir leurs droits avec des moyens parfois dérisoires (jet de riz parfumé en manifestation), et beaucoup d’humour, soit la plus belle des manières.
Mais bien sûr, l’histoire des luttes pour l’émancipation ne s’achève donc, bien sûr, pas ici.
# Baptiste Le Guay
Pour aller plus loin sur les Parisiennes citoyennes
jusqu’au 29 janvier 2023, Musée Histoire de Paris Carnavalet, 23 rue de Sévigné, Paris 3e
Catalogue : signé de Christine Bard, historienne des féminismes. éd. Paris Musées, 460 p. 40 €.
Force est de constater que toutes les préoccupations contemporaines sont présentes dans ces conquêtes des Parisiennes citoyennes depuis le XVIIIe siècle : égalité salariale, féminisation de la langue, éducation des filles, droit des femmes à disposer de leur corps… « Mais elles ont été trop passés sous silence. Car l’Histoire a principalement été écrite par les hommes, qui considéraient ces événements comme mineurs » s’insurgent les commissaires. Ils réussissent à poser un jalon clé d’une histoire matérielle et visuelle de l’émancipation des femmes, qui reste en cours…
Très richement illustré d’archives exhumées pendant trois années, le catalogue recherche l’équilibre entre les pionnières, d’Olympe de Gouges à Julie-Victoire Daubié (en 1861), aux grandes figures, de Louise Michel à Gisèle Halimi, qui ont ouvert des voies, sans oublier des femmes ordinaires, « plutôt bourgeoises, figées dans des poses convenues où la fougue, le courage et l’anticonformisme dont elles ont témoigné n’apparaissent pas toujours. »
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