Exposition : Eva Jospin, Dessins pour un jardin (Beaux-Arts de Paris)
Du mercredi au dimanche, 13h-19h
Retour aux sources pour l’ancienne élève des Beaux-Arts, connue pour ses sculptures en carton, Eva Jospin y expose une sélection de dessins « pour un jardin » au Cabinet des dessins Jean Bonna jusqu’au 3 juillet. Son univers de forêts, grottes et folies imaginaires se nichent toujours dans la finesse de ses traits, ici en miroir avec les ruines croquées par de prestigieux ainés Prix de Rome, Fauvel, d’Espouy, Haffner, et Cassas. La démarche créative et mémorielle est magnifiquement éclairée par Pierre Wat, dans le Carnet d’études n°54 (Beaux Art de Paris éditions)
Un nouveau topos de sa « cartographie imaginaire »
Que se soient en sculptures ou en dessins (rarement exposées avant cette sélection pour le Cabinet des dessins Jean Bonna, le travail d’Eva Jospin garde une puissante cohérence ; l’enchevêtrement subtil de nature et de ruine imaginaires, « les sensations infinies offertes au spectateur prêt comme le suggérait Marc Pottier pour Singulars, à se risquer dans ses folies plongées dans la nature ou ses forêts frontales et immersives », l’infinie – voir fabuleuse précision du trait – à l’encre ou au graphite – qui semble arrêter ou pour le moins diluer le temps. Déjà à propos de ses sculptures fabuleuses, l’artiste expliquait à Singulars « que son « travail est lié à la lenteur et à la répétition du geste manuel ». Marc Pottier y perçoit « comme un mantra personnel d’une artiste qui sait faire entrer en communion les éléments – fictifs ou réels – qu’elle associe en de subtils supports de projection mentale. »
Le raffinement d’exécution suspend le temps
En quelques grands dessins, fascinant par le raffinement des faisceaux minutieux de traits, Eva Jospin joue sur la valorisation de la ligne et de la réserve, créant une vibration interne qui rappelle le scintillement de la forêt, nichant grottes et ruines sublimé parfois par le cadre, qu’elle compose en sculptures en carton.
Quelques œuvres suffisent à créer et nous plonger dans son « Jardin » inspiré de réminiscences d’une Renaissance italienne avec ses constructions qu’au XVIIIe siècle on appelait des « bâtiments d’effet », et une nature indomptée en symbiose. Lové dans le cabinet des dessins – qui invite le visiteur à traverser tous les bâtiments des Beaux-arts, à en partager le fourmillement, les expositions de ses étudiants, l’ancienne élève, fidèle à son éthique de présence inscrit ses dessins dans la topographie et « son » histoire du lieu, notamment avec un hommage bienveillant à l’enseignement de son professeur Pierre Caron.
Le refus de la rupture entre anciens et modernes
En revendiquant une approche contemporaine, d’un sujet universel, l’ancienne pensionnaire à la Villa Médicis à Rome en 2016 « associe deux imaginaires a priori antagoniques, souligne Pierre Watt dans son texte du catalogue : le jardin comme lieu cultivé, et la friche en tant que terrain abandonné par l’homme, que la nature vient reconquérir par une végétation spontanée. D’un côté il y a ce monde des « fabriques » et autres folies, belle façon de dire que l’on venait ajouter quelque chose à la nature, non seulement pour l’embellissement des jardins, mais aussi – le dit embellissement étant pensé en ce sens – à destination d’un visiteur ainsi transformé en Promeneur. (…) C’est aussi, un jardin-friche : un lieu où toute chose disposée est comme réactivée en un cycle nouveau, entre abandon et renaissance. »
L’obscurité vient de la densité du trait
La ligne qui envahit ses dessins-tissus rappelle la gravure tant elle se joue de la densité du trait. « Il y a du buriniste, dans la manière et la mémoire d’Eva Jospin. souligne avec précision Pierre Watt insistant sur l’importance du temps sédimenté de la technique. Celle qui a beaucoup regardé les gravures des anciens livres de fête, semble s’être fixé, à la façon d’une règle secrète, une forme d’interdit: ne jamais repasser sur une partie déjà dessinée, mais avancer par constitution et envahissement progressif d’un territoire, du centre vers la périphérie (de cela les bords des dessins portent les traces, qui prennent quelquefois l’allure de cette lisière que laisse une vague sur le sable au moment où, ayant atteint son plus haut niveau, elle se retire pour revenir bientôt), par juxtaposition de zones. »
Les mythologies du dessin architectural
L’artiste s’appuie sur ses réminiscences de ‘son’ Grand tour d’Italie et souhaite se rattacher à l’histoire du dessin architectural – entre construction et disparition – d’anciens Prix de Rome comme la représentation de Basilique de Constantin à Rome par Hector-Marie-Désiré d’Espouy en 1888 et par Jean-Jacques Haffner en 1901, la Coupe de la grotte Saint-Jean sur l’île d’Antiparos, par Louis-François-Sébastien Fauvel.
Ici la représentation de ruines s’ appréhende au sens où l’entendait le philosophe Georg Simmel, cité par Pierre Watt qui écrivait que « c’est tout l’attrait des ruines de permettre qu’une œuvre humaine soit presque perçue comme un produit de la nature. »
« Jusqu’au plus profond de notre nuit intérieure » Watt
C’est donc une tout autre expérience à laquelle nous invite Eva Jospin admirablement définie par Pierre Watt : « frustrante pour la vue, mais ouverte, du fait même de cette frustration, à un autre régime d’expérience et de sensation. « Ferme l’œil de ton corps pour d’abord voir ton tableau avec l’œil de l’esprit. Puis mets au jour ce que tu as vu dans cette nuit, afin que ta vision agisse en retour sur d’autres, de l’extérieur vers l’intérieur. » Le conseil est du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich, il pourrait être d’Eva Jospin, cette artiste qui, mettant au jour ce qu’elle a vu dans sa nuit, nous conduit, en retour, jusqu’au plus profond de notre nuit intérieure. »
#Olivier Olgan