Exposition : Frida Kahlo, au-delà des apparences (Palais Galliera)

  • Jusqu’au 5 mars 2023, Palais Galliera, 10 Avenue Pierre 1er de Serbie, Paris 16e Ouvert de 10h à 18h, sur réservation.
  • Catalogue, sous la direction de Circe Henestrosa et Claire Wilcox. éd. Paris Musées, 240 p., 42 €. version augmentée du catalogue du Victoria & Albert Museum en 2018.
  • sans oublier une pause dégustation aux Petites mains dans le jardin du Palais Galliera

Les trésors personnels de l’artiste mexicaine sous scellés dans sa salle de bain ouverte en 2004, 50 ans après son décès font l’objet d’une exposition itinérante commencée au Mexique en 2014, au Victoria and Albert Museum à Londres en 2018. Enfin à Paris, Frida Kahlo, au-delà des apparences au Palais Galliera jusqu’au 5 mars 2023 tente de donner une nouvelle perspective à l’ icône mythique du XXe tout en participant activement à la Fridamania galopante.  

Frida Kahlo, The Frame, 1938 © Centre Pompidou, MNAM – CCI, Dist. RMN Grand Palais Jean – Claude Planchet

Un corps souffrant, hissé au statut d’œuvre d’art

Frida Kahlo (1907-1954) est frappée par un double malheur : une attaque de polio dans son enfance, puis le 17 septembre 1925, lors la collision avec un tramway, de nombreuses fractures dans le corps perforé par une tige en acier. Cet accident forge à 18 ans son destin d’artiste, elle va se mettre à peindre, souvent alitée. lui posera des problèmes de santé toute sa vie ce qui ne l’empêchera de mener ni une vie de femme explosive notamment avec Diego de Rivera, ni d’être à l’avant-garde de l’élite artistique, culturelle et politique du Mexique, au rayonnement international immense notamment auprès de Surréalistes. L’exposition dédie toute une section à sa venue à Paris en 1939.

Une création holistique

Frida Kahlo. Peinture votive, 1932 (Palais Galliera) photo Baptiste Le Guay.

Sa soif et sa résilience de créer ne se sont jamais taries, malgré la détérioration de son état physique, des douleurs chroniques et des interventions médicales. « Je ne suis pas malade, je suis brisée, mais je suis heureuse d’être en vie tant que je peux peindre » affirme Kahlo souvent assigné à résidence, faisant de l’autoportrait une dimension essentielle de son travail : « Je me peins moi-même parce que je suis si souvent seule ».

Le vêtement au cœur de l’exposition Galliera fut aussi déterminante pour forger une identité « un ruban autour d’une bombe » (André Breton) et d’affirmer sa mexicanité : « un style indissociable de sa vie, de sa personnalité, de sa maladie et de son œuvre » pour Sandra Courtine, scénographe de l’exposition.

Frida Kahlo. Peinture votive, 1932 (Palais Galliera) photo Baptiste Le Guay.

Le terreau fertile de la Casa Azul

Née et morte dans la Casa Azul (la maison bleue), Frida Kahlo a vécu la majorité de sa vie dans cette maison. Elle la rénove avec son mari Diego Rivera dans les années 30, la peignant d’un bleu éclatant.

Souvent confinée chez elle à cause de son état de santé, l’artiste transforme son lieu de vie en microcosme du Mexique : sculptures préhispaniques, peintures votives, statues archéologiques ; ainsi que des perroquets, des canards, des singes et un faon dans le jardin. La Casa Azul devient un lieu culturel, attirant des personnalités comme Léon Trotski et le peintre surréaliste André Breton.

La dynamique de mexicanité via le vêtement

La révolution Mexicaine éclate en 1910, marquée par des troubles politiques, des soulèvements et des conflits armés dans le pays. Les artistes, eux aussi, à leur manière, font leur propre révolution avec une Renaissance mexicaine, incarnée par une appropriation de la diversité ethnique et historique du Mexique. Frida Kahlo est particulièrement attirée par la région de Tehuantepec, réputé pour sa société matriarcale et possédant des fortes traditions autochtones.

Les différentes tenues huipiles portées par Frida Kahlo, Frida Kahlo, au-delà des apparences (Palais Galliera) photo Baptiste Le Guay.

Elle fait notamment honneur à cette région à travers ses costumes en se formant une image avec une tenue de Tehuana. De coupe carrée, l’huipil est une tunique traditionnelle portée par les femmes de Tehuantepec, aux broderies géométriques ou florales. Fabriqué en coton ou en soie, les huipiles présentent des ouvertures pour la tête et les bras. Une amplitude qui lui permettait de couvrir ses corsets et de peindre facilement sans doute.

Autre élément-phare de son style vestimentaire : les rebozos (châles), figurant parmi les objets les plus précieux de sa garde-robe. Drapés sur ses épaules, couvrant sa tête, ou même tenus en l’air comme l’affiche de l’exposition. Frida Kahlo aime composer ses palettes de couleurs en associant son rebozo, aux fleurs dans ses cheveux, son rouge à lèvres et son vernis à ongles.

« Il me faut des jupes longues, maintenant que ma jambe malade est devenue si laide » écrivit Kahlo. En attirant l’attention sur le haut de son corps avec coiffures et bijoux, elle porte de longues jupes à volants pour dissimuler sa claudication. En dessous, son jupon ample et un volant de coton balayent le sol quand elle marche.

Une artiste « non binaire »

Frida Kahlo fumant à côté d’une statuette dans le jardin de la Casa Azul, 1948, Gisèle Freund, photo Baptiste Le Guay.

Dans son parcours de plus de 200 objets provenant de la Casa Azul, l’exposition joue des différentes identités de genre que Frida a assumées : de sa peinture où elle se représente à « barbe » ou lorsqu’elle pose pour être photographiée, notamment vêtue d’un costume trois­-pièces de garçon ou encore coiffée d’une casquette masculine. « Du sexe opposé, j’ai la moustache et le visage en général » dit la peintre qui tout au long de sa vie utilise son « apparence » (coiffures, vêtements, accessoires) et ses « représentations » pour affirmer son identité de genre, complexe et parfois contradictoire.

Saluons les commissaires de l’exposition qui ne vont pas jusqu’à évoquer une catégorie ‘cisgenre’, ou à une identité « queer ». Par contre, ils revendiquent « son look contemporain » dans la dernière section.

Une empreinte hybride laissée au monde de la mode

Jean Paul Gaultier, corset multi-ceintures, jupon, manchons et coiffe Prêt-à-porter, printemps-été 1998, Frida Kahlo, au-delà des apparences (Palais Galliera) photo Baptiste Le Guay.

« Son influence, en tant que muse dans l’histoire de la mode, a été continuellement réévaluée par les créateurs contemporains » insiste les commissaires, avec pour preuve,  une « exposition capsule » (jusqu’au 31 décembre) montrant comment ils « ont utilisé les différents symboles identitaires de Frida Kahlo comme source d’inspiration, formant ainsi un répertoire visuel qui aborde des thèmes tels que le traumatisme, le handicap, l’ethnicité, l’identité sexuelle et la politique. »

Des robes fleuries à la manière de l’huipil ou encore un corset anatomique ceinturé fait par Alexander Mc Queen de Givenchy (printemps-été 2001) montre comment le style hybride de Kahlo a impacté les créateurs des décennies après sa disparition. Une icône culturelle traversant les époques, pour sa production artistique mais surtout sa personnalité, même si évidemment, l’un ne va pas sans l’autre chez Frida Kahlo.

« Les caractéristiques matérielles de ses tenues donnent vie à sa peinture, tandis que les toiles révèlent le vêtement dans toute sa signification symbolique, redéfinissant ainsi, irrévocablement, les frontières entre biographie, autoportrait et expression vestimentaire. » déclarent avec lucidité Claire Wilcox et Circe Henestrosa dans leur essai ‘L’étoffe d’une artiste’.
L’engouement pour l’exposition montre que la Fridamania est une la dynamique qui n’est pas prête de s’arrêter. Comme toute icone, sa présence se réinvente en permanence.

#Baptiste Le Guay