Culture
Exposition Graciela Iturbide, Heliotropo 37 (Fondation Cartier)
Auteur : Thierry Dussard
Article publié le 18 février 2022
Heliotropo 37 dévoile une grande rétrospective de l’artiste mexicaine Graciela Iturbide pour qui l’appareil photo sert « de prétexte pour connaître la vie et le monde« . La plus grande photographe en noir et blanc des Amériques, légende vivante venue de son Mexique natal, va enchanter et ensorceler Paris de ses images-sortilèges à la Fondation Cartier jusqu’au 29 mai.
Graciela iturbide, grande prêtresse des images
Cette dame ne prend pas de photos, elle photographie. Elle inscrit sur le papier des rêves et des images, des rites et des situations qui ont à voir avec l’éternité. Il faut dire qu’elle est née au Mexique, pays tellurique où les volcans et les nuages forment des personnages familiers qu’il faut apprivoiser. Aînée de treize enfants, figure de proue déjà, son parcours se trace en pointillés avec un Kodak Brownie, reçu à l’adolescence, que sa rencontre avec le photographe Manuel Alvarez Bravo transformera en destin. Son mentor est mort il y a vingt ans, mais elle l’appelle toujours « Maestro ». Grâce à lui, Graciela Iturbide est tombée dans les bras de « la photo, l’enfant pauvre du cinéma », dit-elle d’une voix douce.
Photographier les gens avec dignité
Le photographe de La Bonne renommée endormie, l’icône surréaliste, ne lui a pas enseigné la technique, « il suffit d’acheter une bobine Kodak et de lire le mode d’emploi », assurait-il. Il lui a appris à regarder, et à prendre son temps. « Dans son atelier, il y avait affiché cette devise, Hay tiempo, on a le temps », confie-t-elle à Télérama, avant d’ajouter qu’elle cherche à « photographier les gens avec dignité ». Une exigence qui est d’abord passée par un voyage dans le temps, à la rencontre d’un Mexique oublié. Celui du peuple Seri, dans le désert du Sonora, et de la communauté zatopèque à Juchitan.
Je n’esthétise pas mes sujets, je les ressens.
Nuestra Señora de las iguanas, sa photo la plus célèbre met en majesté une vendeuse de ces petits sauriens comestibles, au point d’en faire une merveilleuse madone aux iguanes. Il faut lire le catalogue magistral et l’entretien avec Fabienne Bradu, et voir la planche contact de la scène, pour en apprécier le contexte. « Ce n’est que plus tard, lorsque j’examine mes planches-contacts, que je me rends compte que mes images ont un rapport avec mes rêves », explique l’artiste, qui ne vise pas pour autant à mythifier les populations indigènes. « J’aime leur façon de mythifier le quotidien », ajoute-t-elle, soucieuse de fixer les rituels. Car « le rituel aide les gens à mener leur vie avec dignité »
Photographier l’être humain dans sa dignité
Son rituel à elle a besoin de la pellicule argentique, et privilégie le noir et blanc, où le tirage est « une expérience magique », et le développement laisse sa place au temps. Ses légendes participent à la construction de ce « temps poétique », si cher à son maître : un simple campesino entouré d’oiseaux devient ainsi El Señor de los pajaros, ou un miroitier El Señor de los espejos. Le poète mexicain Octavio Paz n’écrivait-il pas que « la réalité est plus réelle en noir et blanc » ? Il suffit de savoir comme Graciela Iturbide que « la photographie n’est pas la vérité », mais qu’elle désire entrevoir la réalité des rêves.
Une photo directe, plus simple, plus austère
Le fait d’être une femme, petite de surcroît, lui a permis une grande proximité avec le monde indigène, où être pris en photo est assimilé au vol de l’âme. « Paradoxalement, quand quelqu’un mourait, on appelait le photographe pour qu’il prenne une dernière image du défunt », remarque-t-elle, comme une prêtresse des images chargée de conjurer la mort.
Est-ce pour cette raison qu’au tournant des années 1990, la figure humaine s’est effacée progressivement de son travail ?
Elle a en tout cas pris ses distances, et voyagé à Madagascar, en Louisiane, et en Inde, puis à Rome et en Sardaigne. Son livre No hay nadie, « Il n’y a personne », en témoigne, notamment avec cette photo de chiens survolés par des oiseaux.
L’intégration de la couleur
Ses autoportraits, au poisson ou aux oiseaux morts, ont laissé place à sa seule ombre qui apparaît dans un cadre végétal. Cette épure traduit une évolution, et sa récente irruption dans la couleur invite le spectateur dans le monde minéral.
Heureuse initiative de la Fondation Cartier qui a su vaincre les réticences de celle qui avoue ne pas comprendre « la couleur aussi bien que William Eggleston », en transportant la récipiendaire du prix Hasselblad 2008 avec son appareil dans une carrière à ciel ouvert. « Les pierres sont plus vieilles que la vie, elles n’ont pas à attendre la mort, observe-t-elle dans une vidéo. Elles perdurent ».
Et pour aller à la rencontre de la Frida Kahlo de la photo, qui fêtera bientôt ses 80 ans, il faut soit se rendre 261 Bd Raspail à Paris. Soit, partir à Mexico, en donnant le titre de son expo, qui est aussi son adresse dans le quartier de Coyoacan : Heliotropo 37.
Pour suivre Graciela Iturbide
Jusqu’au 29 mai 2022. Fondation Cartier, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris
Tous les jours de 11h à 20h, sauf le lundi. – Nocturne le mardi, jusqu’à 22h.
Catalogue : 250 photos, textes de Fabienne Bradu, Eduardo Halfon et Pablo López Luz, 304 p.
Pourquoi « Heliotropo 37 » ?
C’est l’adresse du studio où Graciela Iturbide a pris l’habitude de travailler, au 37 calle Heliotropo à Mexico, dans le quartier de Coyoacan, celui de Frida Kahlo. Un édifice en brique créé en 2016 par son fils, l’architecte Mauricio Rocha qui signe aussi la scénographie épurée de la rétrospective.
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