Exposition : Les Tables du pouvoir, Une histoire des repas de prestige [Louvre Lens]
Louvre-Lens 99 rue Paul Bert, 62300 Lens T: +33 (0)3 21 18 62 62
Ouvert tous les jours de 10h à 18h, sauf le mardi – Réservations
Catalogue sous la direction de Zeev Gourarier, Michèle Bimbenet-Privat, Hélène Bouillon, Alexandre Estaquet-Legrand, Christine Germain et Marie Lavandier. Coédition musée du Louvre-Lens / éditions de la RMN
Plus que trois jours, pour savourer de visu les magnifiques « Tables du pouvoir » au Louvre Lens, sinon les amateurs d’arts de la table pourront se plonger dans le remarquable catalogue, somme scientifique vertigineuse sur les liens entre la nourriture et le pouvoir, à travers Une histoire des repas de prestige. L’enjeu – bien au-delà de la magnificence des objets accumulés – est d’éclairer l’évolution de conventions sociétales cristallisées autour de comportements et de pratiques alimentaires, des tables officielles aux privées, des menus collectifs aux recettes individuelles.
Un voyage captivant à travers 5 000 ans d’histoires culturelles
L’ambition est gigantesque : rendre sensible depuis l’Antiquité jusqu’à la Ve République les évolutions des sensibilités culturelles en Orient et en Occident autour du repas, occasions de mettre en scène le pouvoir, de créer des rituels et faire société. « Dès l’Antiquité, dominer la table est une manière de dominer le monde. souligne Zeev Gourarier, la commissaire responsable de l’exposition et du catalogue. Produits rares et exotiques, invités issus des quatre coins du monde, modes venant de l’étranger : par l’affichage du faste et de l’abondance, le repas devient une démonstration de puissance par le souverain. »
Avec plus de 400 objets de luxe
Des aiguières antiques au service choisi par le couple Macron, l’exposition la relève le défi de nous convier à la table des Dieux, des Rois, des Présidents et en dernier ressort des citoyens par une scénographique à la fois aérée et grandiose. Elle s’appuie sur la recréation des décorums des repas antiques pris couché aux grandes tables princières dressées avec leurs centres de tables spectaculaires. Le visiteur ne peut qu’être fasciné par les soins et les arts investis pour satisfaire les attentes des hôtes et de leurs invités…. Tout à la gloire appuyée de l’élégance raffinée du « service à la française » et de ses ambassadeurs les plus célèbres : Manufacture de Sèvres, Christofle, Puiforcat, Baccarat et Saint-Louis
Du couché démocratique au spectacle royal, et retour
Car, du symposion grec réservés aux citoyens à la table républicaine en passant par la magnificence du Grand Siècle, chaque détail et l’usage de chaque objet du repas deviennent affaires de symboles (de pouvoirs et de prestiges) et de rituels (sanitaires), de jeux de rôles et de rangs, et d’étiquettes. Ceux-ci vont bien évidemment se préciser, se sophistiquer, et laisser des traces de plus en plus écrites : plan de tables, manuels, menus (cf Présidents à table) jusqu’aux livres de cuisine, le premier ouvrage de recettes (Le Cuisinier français de La Varenne, date de 1651) ….
Un sommet de raffinement est bien atteint au XIXe siècle où se conjuguent le paraitre des nouveaux pouvoirs, l’ambition diplomatique et industrielle d’un soft power via les arts de la table. « « Il y a eu plus de révolutions dans l’art de la table de 1650 à 1850 que durant ce dernier siècle » tranche Zeev Gourarier. Le XXe a bien tenté de la faire perdurer ce que l’aspiration démocratique l’affaiblissait.
La convivialité du repas banalise le pouvoir
Au terme du parcours, un constat s’impose. « Après la seconde guerre mondiale, de nouvelles formes culinaires – barbecues, fondues, buffets… – mettent fin à ces lourdeurs bourgeoises et simplifient les repas » analyse Zeev Gourarier. Les conséquences sont inexorables : en démocratisant les repas, les puissants perdent leur aura, qu’ils tentent de faire briller à travers des objets luxueux à forte valeur ajoutée patrimoniale. Malgré les ors du nouveau service de la République, en devenant de plus en plus citoyen, le Roi devient nu…
Reste pour les passionnés, une somme indispensable
« Trois objets font éclater ce mode féodal, précise encore Zeev Gourarier, la commissaire. Les couverts individuels, de nouveaux ustensiles de cuisson et l’invention des menus. » Il ne faut pas oublier l’importance du Potager, et des trésors d’ingéniosité pour satisfaire les Princes.
L’amateur comprend aussi qu’il ne faut pas sous estimer l’importance du passage du service ‘à la française’ impérial à celui « à la russe » : « Les plats ne sont plus présentés de manière harmonieuse et foisonnante en services successifs, mais sont désormais servis individuellement, simultanément à tous les convives. » Ce nouveau dispositif témoigne des transformations des modes de vie et de la culture alimentaire qui aboutit non sans soubresaut en un siècle à notre service actuel.
Du détail des rites (de la purification des mains aux placements des convives) et des pouvoirs en jeux, aux usages des ustensiles pour présenter, servir et manger, en compagnie, les meilleurs spécialistes proposent des dizaines textes éclairants pour documenter et expliquer l’ histoire fabuleuse, de la salle de banquet à la salle à manger.
Le repas est servi. Bon appétit !
#Olivier Olgan