(Galerie) Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac, Pantin)

Jusqu’au 7 janvier 2023, Thaddaeus Ropac Pantin, 69, Avenue du Général Leclerc, 93500 Pantin
Catalogue (somptueusement imprimé), Lacrimae rerum, essai original d’Alberto Manguel, Thaddaeus Ropac

Une des Grisailles de Miquel Barcelo figure en bonne position dans l’inépuisable exposition Les Choses au Louvre. Une reconnaissance évidente que justifie une double légitimité, le peintre espagnol a toute sa place parmi les classiques. Ses variations sur la « bodegon » réinventent le genre, bousculant les repères historiques. La série de Grisailles exposée par Thaddaeus Ropac Pantin jusqu’au 7 janvier 23 est essentielles à découvrir autant pour l’exubérante profondeur du travail à l’œuvre que pour leur rayonnement esthétique.

«  Miquel Barcelo est sans conteste le grand peintre contemporain de la Nature morte.»

Marie-Laure Bernadac ne cache pas son admiration dans sa notice du catalogue Les Choses dédiée à Grisaille à l’espadon, exposée à la fin du parcours du Louvre. Et de poursuivre : « thème qui revient régulièrement dans son œuvre et qu’il exploite sous toutes les formes possibles. » Miquel Barcelo a toute sa place dans cette exposition séminale d’une « histoire de la Nature morte » tant il n’a eu de cesse « de réinventer le genre en intégrant de véritables choses ou animaux dans sa peinture, ne se contentant plus de les représenter mais de les présenter. »

Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac Pantin) Photo OOlgan

Faire pénétrer dans une autre dimension

Après les viandes en putréfaction de ses débuts en 1975, les légumes et autres fruits méditerranéens associés à des animaux domestiques des années 80,  la faune aquatique a elle aussi intégré ses vastes questionnements sur les frontières du vivant et du mort (voir Not Yet title de 2018 à la Fondation Carmignac).

« Depuis 2021, rappelle l’historienne d’art, Barcelo revient à une série de grands tableaux qui forment une synthèse de ses motifs de prédilection,  associés à  de multiples références à l’histoire de l’art, Zurbaran, Chardin, Melendez, Velazquez et même Caillebotte. (…) Par cette accumulation, dont la générosité évoque les natures mortes flamandes, Miquel Barcelo a souvent recours à la monochromie et à la grisaille, afin de faire mieux ressortir l’abondance des victuailles et la générosité des tables, comme dans les natures mortes flamandes. La nature morte chez lui est plus vivante que jamais. »

Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac Pantin) Photo OOlgan

« Pour moi le blanc en peinture équivaut à la pensée ».

Par sa diversité et sa cohérence de cette série Grisailles , l’exposition Ropac à Pantin permet de saisir la force de la démarche du peintre.  L’accumulation  de « choses » donne parfois le vertige tant elle appelle nos émotions les plus simples, les vestiges de la table, et les plus telluriques, les reliefs (dans les deux sens du terme, épaisseurs de la peinture et restes de la table) qui évoquent les parois énigmatiques des grottes préhistoriques et les canons de la peinture de genre occidentale.

Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac Pantin) Photo OOlgan

Une vision exacerbée de la vie

Si les v+Vanités ne sont jamais loin avec la multiplication des crânes, la peinture est lumineuse, rayonnante loin des visions culpabilisantes. « Des musiques de fêtes lointaines, des banquets d’aujourd’hui et ceux d’il y a longtemps, sur la même très longue table » imagine l’artiste, elles nous entourent dans le vaste espace de Ropac Pantin. Barcelo puise dans sa vie quotidienne, de la notion de subsistance, à l’observation du cycle de la vie. En espagnol, la nature morte est nommé « bodegon »  qui renvoie à la vie animée d’une taverne ou d’une auberge, mais aussi dans son imaginaire, aux restes d’un festin des dieux, de la chasse de nos ancêtres ou les rebuts d’une humanité en déliquescence.

Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac Pantin) Photo OOlgan

L’histoire se déplie dans notre regard

Pour l’artiste espagnol, le spectateur reste toujours dans le royaume du vivant, et c’est lui par son regard qui décide la beauté ou la laideur ce qu’il voir. « La beauté est finie, la laideur est infinie » s’exclamait Oscar Wilde. « C’est cette promesse d’infinitude que l’on voit chatoyer dans les toiles de Barcelo. » écrit avec justesse, Alberto Manguel dans son essai Lacrimae rerum, publié dans le catalogue. Les surfaces infinies (laides ou belles) que Barcelo couvre généreusement de restes de repas – poissons, crânes, objets échouées dans l’espace de la nature morte – forment pas association un texte se situant au-delà de toute explication, une narration à laquelle ce que Barcelo appelle ‘cohérence involontaire’ donne sa consistance. »

Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac Pantin) Photo OOlgan

L’ensemble de cette grisaille raconte une histoire

« Chaque œuvre est expérimentale, dit Barcelo. Chacune est un galop d’essai avant une œuvre qui n’existera probablement jamais. » C’est à cet accouchement intime dans ces « cendres gelées de choses » que vous invite le peintre. Pour une immense leçon de peinture. Mais plus encore de vie.

Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac Pantin) Photo OOlgan

#Olivier Olgan