Le songe d’Ulysse (Fondation Carmignac Porquerolles - éditions Dilectea)
Catalogue, contributions de Francesco Stocchi, Achille BonitoOliva, Paula Burleigh et Mark Wigley sur la dimension mythologique du labyrinthe (éditions Dilectea)
Ulysse s’est-il échoué sur l’île de Porquerolles au cours de son retour vers Ithaque pour terrasser l’Alycastre, monstre envoyé par Poséidon, selon une légende bien établie dans l’Ile ? Foin des enjeux historiques, c’est en appelant aux mythologies d’une cinquantaine d’artistes ravivés par le commissaire Francesco Stocchi que la Fondation Carmignac a choisi d’y répondre jusqu’au 16 octobre 22, et de faire vivre au visiteur une expérience immersive intime et autonome..
« Mythe, fable et quotidien se mêlent dans un parcours animé par les grands interprètes de l’art contemporain, des artistes qui ont su communiquer de manière extrêmement directe en affrontant la forme, le sens et le mot à mains nues. Chaque époque s’est confrontée à l’Odyssée et à sa complexité. » écrit Francesco Stocchi en préambule du catalogue.
Le labyrinthe produit son propre langage à déchiffrer
Pour mieux pénétrer le Songe d’Ulysse, le visiteur est invité, prosaïquement à laisser ses chaussures, et à plonger dans un labyrinthe digne de Dédale pour le Minotaure, aux multiples couloirs étroits, de ruptures de perspectives, par effet de miroirs ou d’escaliers en trompe-l’œil. C’est dans un véritable espace immersif où des figures l’attendent et le questionnent qu’il doit trouver sa voie et du sens.
Après la fascinante One Hundred Fish Fountainde Bruce Nauman, il perd rapidement le fragile fil d’Ariane que Janaina Mello Landini lui avait tendu dans sa descente vers l’inconnu. Ce lâcher-prise savamment orchestré le rend plus à même à recevoir la force d’une cinquantaine œuvres puissantes – de menant de Camille Henrot à William Kentridge passant par Andy Warhol et Cyprien Gaillard , qui surgissent au détour d’une fracture de perspective. Pénétrer dans cette « forêt de symboles » et y retrouver un sens devient un acte de résistance au temps suspendu. Et une quête de sens.
En cette époque obsédée de géolocalisation,
se perdre devient une volonté, parfois une nécessité,
mais cela n’arrive plus par accident.
Francesco Stocchi
Voies d’eau, voix murmurées
Perte de repères nourrie par l’impressionnante décomposition de toiles et de mats de bateau, luttant contre la gravité, signée de Jorge Peris : Héreos Boca a Bajo au centre de ce Palais de Cyclope. Cette métaphore sublimée d’un naufrage – renforcée par les jeux de lumières de l’eau du bassin de la Fondation Carmignac, qui nous domine sous le plafond transparent – nous jette dans le moment de bascule la tête renversée, entre la vie et l’imaginaire, avec une suffocante perte de contrôle. Découvrir plusieurs fois cette énigme visuelle aiguillonnée par des entrées différentes participe aussi du sentiment de flottement irréel, déboussolé entre ciel et mer, sans queue ni tête.
L’Odyssée n’est-elle pas le mythe de tout voyage?
Peut-être que la distinction mensonge-vérité n’existait pas pour Ulysse-Homère,
qui racontait la même expérience tantôt avec le langage du vécu, tantôt avec celui du mythe,
tout comme pour nous, chacun de nos voyages, petits ou grands, est toujours une odyssée.
Italo Calvino, Sarà sempre Odissea, La Repubblica, 21 octobre 1981.
Ulysse, combien de followers ?
Au-delà des symboles érudits du labyrinthe évoqués par les contributeurs du catalogue, nous partageons celle savoureuse de Paula Burleig (Un voyage hors de l’ordinaire) confirmant la possibilité de déconnexion de cette invitation au « songe » : « En résistant à la tentation des vues ouvertes spectaculaires – et donc aux possibilités de photos prêtes à l’emploi pour les réseaux sociaux –, l’exposition crée la surprise à chaque tournant: l’expérience intime de chaque œuvre permet un regard proche et intense. En cette époque d’obsession pour les écrans, cela paraît aussi archaïque que le labyrinthe en soi. »
A moins que le visiteur désormais initié ne préfère, partir à l’aventure dans le jardin des merveilles de la Fondation, habité par plus d’une vingtaine d’œuvres. En guise d’encouragement à faire le voyage (d’Ulysse) pour Porquerolles : « Comme le labyrinthe nous libère des flèches et des sens interdits, nous pouvons rêver de nous perdre. »
Sortie ou Perspective ?
A la fois mise en perspective, et palier de décompression, avant le retour à la surface et au soleil, le sanctuaire dédié à l’immense toile Not yet title, de Barcelo, où le visiteur peut s’allonger, en rêvant au labyrinthe ou d’autres parcours.