Voyages

Gordes : Toucher le grain des pierres dorées (Provence)

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 10 novembre 2022

Carnet d’horizons : Etre « Celui dont les pensers, comme des alouettes,/Vers les cieux le matin prennent un libre essor » dont parle Charles Baudelaire est le privilège que l’arpenteur d’horizons cherche à connaître, ne serait-ce parfois que pendant les quelques instants magiques qu’il arrive à cueillir au détour d’un virage serré… Gordes, vigie cuivrée, joue à la citadelle mais son élégance défie sa force, sa somptuosité annihile toute brutalité, une douceur d’y vivre se pressent supérieure à toute apparence querelleuse.

Un contrefort doré gorgé de murs, de façades, de parapets

La Route des Moines serpente paresseusement entre garrigue et monts du Vaucluse, elle livre au fur et à mesure mais parcimonieusement des éclats de calcaire argileux au pied des murs de pierres sèches aux crêtes dorées qui en épousent les sinuosités tandis que des odeurs musquées s’échappent des arbrisseaux qui surplombent les fossés. C’est bientôt l’heure du goûter, la lumière dorée a pris l’ampleur confortable des journées joyeuses et le ciel éclabousse un contrefort doré gorgé de murs, de façades, de parapets entre un ciel débridé et un vallon verdoyant avec indécence.

Gordes, vigie cuivrée, joue à la citadelle mais son élégance défie sa force, sa somptuosité annihile toute brutalité, une douceur d’y vivre se pressent supérieure à toute apparence querelleuse. On avance alors, les yeux captivés par cette fresque de pierres vibrant dans les parfums des végétaux qui émergent des clôtures.
Jusqu’au seuil d’une place scrutée par son poilu appuyé sur un fusil de calcaire et dominée par l’autorité d’une bâtisse couronnée de mâchicoulis.

Le Cœur de Gordes, village classé au patrimoine mondial de l’UNESCO – Photo Jean de Faultrier

Le cœur enflammé de Gordes

Quelques pas encore, élégance, oui, mais force aussi, une force qui est là, impressionnante, ombreuse, charnue. La dominante façade nord du château du 16ème siècle prend tout le regard, ses hautes tours trapues n’offrent aucune ouverture quand ses murs blonds ne proposent que quelques rares fenêtres, le côté sud s’accordant une respiration plus prédisposée à l’accueil de la lumière, généreuse il est vrai. On suppose une histoire impétueuse dans les temps plus anciens. De nos jours, l’art a pris la place des armes et, après Vasarely et Mara, des artistes variés et des thèmes d’exposition différents sont abrités chaque saison au cœur du château devenu musée.

Ici et là, de puissantes portent protègent les intérieurs d’une lumière trop abondante sans doute, le temps les use mais n’altère en rien leur noblesse.

Le Chateau de Gordes – Photo Jean de Faultrier

L’infranchissable pierreuse.

En quelques pas, Gordes invite ses hôtes à de plus discrètes déambulations, de plus intimes rencontres avec les ruelles et l’architecture qui s’y déploie dans une harmonie dont l’appareillage simple n’exclut pas une certaine prospérité. Portes, fenêtres, toitures et même les odorantes plantations et autres arbres opportunistes s’entendent à merveille pour proposer au regard, mais sans aucun doute aussi au séjour, de nombreux écrins où il ferait bon vivre hors du temps mais sous cette lumière infinie.

L’entrée du Chateau – Photo Jean de Faultrier

Une ruelle à suivre

Ruelle ombragée de Gordes – Photo Jean de Faultrier

Longer le vallon…

Un passage par le creux extrême du vallon révélera d’autres angles, d’autres senteurs, d’autres plaisirs du lieu. La descente vers la Fontaine basse, la bien nommée, ne révèle rien tant les murs jouent radicalement le jeu d’une confidentialité préservée, mais elle offre à l’oreille par exemple le chant assez doux d’heures enchanteresses accompagné des éclaboussures d’une eau que l’on devine entre pierres et herbes. Remonter par la sente de Bel Air confortera les sensations tout en dévoilant progressivement le versant spectaculaire qui tutoie le soleil. Revenir vers les passages étroits de la ville sera aussi une récompense, sous les pieds les pavements escarpés rapprochent des promesses de goûter que l’on s’est faites avant d’arriver.

Vue panoramique de Gordes, Photo Jean de Faultrier

Gordes, un promontoire au-dessus du temps.

On ne repart pas vraiment de Gordes, on s’efface discrètement pour laisser les pierres souffler de ce qui, en été, doit les fatiguer tant sa beauté aimante un pluriel débordant.
Et quand on s’efface, c’est pour emprunter la paresseuse descente vers la Senanque et son abbaye Notre Dame à fleur de lavande.

Sénanque, l’un des trois joyaux cisterciens en Provence – Photo Jean de Faultrier

L’Abbaye de Sénanque flottant hors des siècles sur sa mer de lavande

Mais ce n’est pas la lavande que l’on rapportera, plutôt un bouquet de sarriette sauvage subtilement poivrée dont l’arôme voyage sur des notes chaudes et colonise les poches.

A Gordes (Vaucluse), Après-midi d’octobre.
#Jean de Faultrier

Plus de feuillets du Carnet d’horizons

Gordes, village classé au patrimoine mondial de l’UNESCO

Une destination au cœur du Luberon : Le château datant du Xe siècle dominant le centre du village, écrin du Palais Saint-Firmin

Dormir : La Bastide de Gordes, 61, rue de la Combe, Gordes (réouverture 27 avril 2023) : Propriété de Stéphane Courbit depuis 2014, fait partie des Hôtels et Maisons d’exception du groupe Airelles, trente-quatre chambres et 6 suites composent cet hôtel à dimension humaine, complété d’une annexe La Maison de Constance, une villa privée len contrebas bénéficiant des services de l’Hôtel. Quatre restaurants dont L’Orangerie avec sa une vue sur toute la vallée, et Lover Gordes, échoppe culinaire de Jean-François Piège, avec son décor de meubles anciens.

Manger : La Cuisine d’Aglaé, 1548, route de Murs.

Une main tendue vers l’art : Pourquoi ne pas emporter ses peintures, ses sculptures et les proposer au regard dans un lieu qui emboite le beau comme de multiples poupées russes s’emboitent les unes dans les autres : une galerie à fleur de ruelle, elle-même sertie dans la ville, elle-même offerte au ciel et au paysage uniques du Luberon ? en savoir plus 

Exposer à Gordes (extrait) : La politique culturelle de la commune offre aux artistes la possibilité d’exposer dans des salles mises à leur disposition pour des périodes de 15 jours.
Du mois d’avril à fin septembre, près de 35 artistes présentent leurs œuvres au public dans la Chapelle des Pénitents blancs et à la Salle des Editions du Château.
Peinture, photographie, sculpture et artisanat d’art sont mis à l’honneur dans ces lieux situés au cœur du village.

A lire : Gordes, le temps des artistes, de Gérard Lebouchet, C’est-à-dire éditions, coll. Un territoire et des hommes, 396 p. 2015

Deux peintres, Paul Vayson et Joseph Milon, nés à Gordes en 1841 et 1868, dont les oeuvres ont connu un succès certain, ont laissé, l’un des toiles évocatrices de paysages et de scènes de la vie locale, l’autre, transféré jeune à Aix, des scènes de genre, des nus, des portraits…
Peu avant la Seconde Guerre mondiale, André Lhote, «ébloui», achète une maison et fait peu à peu venir ses amis : Marc Chagall en 1940 ; le photographe Willy Ronis en 1948 ; et d’autres encore.
Plus tard, après la guerre, un groupe d’artistes, réunis par leur appartenance à la galerie Denise René, Jean Deyrolle, Victor Vasarely, Jean Dewasne, le critique Charles Estienne…, conquis à leur tour, choisissent Gordes. Ils en attirent bien d’autres, fidèles visiteurs ou résidents, parmi lesquels Serge Poliakoff, le sculpteur danois Robert Jacobsen, et le second grand critique d’art abstrait Léon Degand. Le village devient un «creuset de talents», accueille peintres, sculpteurs, poètes, écrivains, photographes et des personnages hors du commun, au destin souvent exceptionnel. Le château, restauré par Victor Vasarely, reçoit ses oeuvres et rassemble une foule de visiteurs, de 1970 à 1996, puis présente, jusqu’en 2012, les peintures de Pol Mara.

Tournages à Gordes et alentours :

  • L’Été meurtrier, de Jean Becker,  Tourné à Cavailllon et à Gordes en 1983. Sublime Isabelle Adjani et fantastique Alain Souchon
  • Gazon maudit, de Josiane Balasko en 1995 vient à Apt et filmera certaines scènes aussi à Gordes, à Oppède le vieux et à Roussillon.

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