Guillaume Logé Le Musée Monde, L'art comme écologie (PUF)
De la géopolitique asphyxiante à la « géopoétique » émerveillante
Avec le Musée Monde, l’écologie sort enfin de ses bisbilles idéologiques, trop terre à terre, ou pire indisposées par la culture, pour devenir une « affaire de monde » : collective et individuelle pour la création et l’énonciation d’un monde : » Voir comme construction du monde » insiste Guillaume Logé pour ne pas tomber les risques de la distinction élitiste. À voir « où voir désigne une attitude d’alliance et de traverse, un geste symphonique, une mise en résonnance de toutes les dimensions dans l’attente d’une révélation ». Chacune des étapes de cette renaissance éclaire à sa façon le lien indispensable entre art et monde.
Le musée monde se propose comme un espace où faire collaborer des œuvres à l’invention d’un monde.
Guillaume Logé
Dans ce livre dense, important, ambitieux parfois exigeant, mais à cette altitude là l’oxygène se fait effectivement rare, mais pas les éblouissements, le chercheur associé à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne rappelle que le musée depuis le Mouseion inventé en Grèce antique a toujours eu « pour fonction la compréhension le monde. (…) Originellement, le musée désigne une disposition de l’esprit, un élan « mondoyant » pourrait-on dire, un espace mental que l’on transpose ou non en espace physique. »
Loin d’être l’institution obsolète comme certains (trop présentistes ou trop verts) nous le prédissent à l’ère du numérique, le musée monde constitue l’espace mental (et imaginaire) dans lequel chacun (se) réinvente le monde. Avec tous savoirs, tous les arts qui viennent à sa rencontre.
Monde n’est pas synonyme de Terre,
le monde c’est ce qui jaillit de l’ensemble de nos rapports à la Terre.
Guillaume Logè
Un musée signifie une attitude, un voir autrement.
Son Musée Monde interpelle notre intelligence autant que notre imaginaire, à contre-courant des solutions prêtes à fustiger tout ce qui élève. Fédérant dans une dynamique parfois vertigineuse d’érudition – de Botticelli à Rimbaud, d’Eros au Logos, Logé ouvre des pistes stimulantes et entraînantes d’actions poétiques : « Tout cela ne doit pas nous faire perdre de vue le projet fondamental de l’écologie, à savoir l’élaboration d’un monde. Étymologiquement écologie articule : oikos, le « groupe familial élargi, ainsi que ses biens », l’habitation et logos, le verbe en tant que principe directeur, ce qui anime et fait unité. L’écologie renvoie donc à ce qui suscite, fédère et maintient une habitation. » poursuit dans une interview pour La Pensée écologique, du 9 septembre 22« Quels liens entre l’art, l’écologie Et le Monde ? ».
La pensée n’est pas une fin en soi, le bien vivre, oui
Alors que l’art apparait pour certains, au mieux décalé par rapport aux enjeux sociétaux, voir plus les plus pessimistes « bien fini », l’optimisme raisonné et étayé par de magnifiques créateurs dont il perçoit les nouveaux paradigmes d’Andy Goldworthy à Iris Van Herpen tranche sur les déclinistes esthétiques : Le musée monde se risque à dire que tout art a des choses à nous apporter et à nous faire ressentir qui peuvent nous aider à surmonter les défis de l’anthropocène.
Nous envisageons donc un musée qui se comprend
comme une impulsion en direction du monde,
instruit d’une fonction poétique qui nous permet d’aller à la rencontre des œuvres et de susciter leur dialogue.
Voilà un allié pour la pensée écologique !
Guillaume Logè
L’art pour reformuler le monde
Le plus enthousiasmant dans ce « manifeste » pour cet embarquement à l’émerveillement tout azimut, c’est à la fois la méthode concrète pour se bouger et la vivre, et la force des exemples puisés dans toute l’histoire de l’art et du poétique pour unir l’écologie du musée. Logé revendique crânement que la conception du monde de demain, reste plus que jamais culturelle. Le plus grand échec de la Convention de Rio de 1992 est d’avoir exclu la culture des piliers du développement durable. Habiter le monde exige d’y donner un sens collectif, poétique, pas seulement d’en assurer sa survie.
Depuis la parution de son livre manifeste, Guillaume Logé en appelle logiquement à une mobilisation du secteur culturel pour qu’il apporte lui aussi sa pierre au Musée monde. « La clé de la réussite en matière écologique repose désormais sur les manières dont nous comprenons nos relations avec la Terre et le sens que nous y projetons. Autrement dit, elle dépend du monde que nous nous représentons et de notre envie de le faire advenir. » (Tribune « La culture doit elle aussi contribuer à la transition écologique, Le Monde 2 octobre 2022).
C’est un engagement authentiquement poétique de tous les acteurs auquel Guillaume Logé invite, sans illusion mais avec l’énergie d’une utopie féconde et régénératrice.
nulle attente, nulle passivité, mais un engagement à voir
Cheminement et persévérance.
Les initiatives existent (« Palais durable » « Réclamer la terre » du Palais de Tokyo, « Les vivants » et « Novacène » de Lille 3000, ou « Anima » de Laurent Grasso au Collège des bernardins…. Guillaume Logé appelle à les surmultiplier tout en approfondissant l’ambition pédagogique vers cette « écologie monde ».
Et de suggérer quelques pistes concrètes pour réinventer les musées et leurs investissements par les publics : mise en place de parcours de découverte des collections des musées sur des thèmes puisant dans les grandes questions de l’écologie (significations et représentations de la nature, rapports homme animal, conceptions du vivant, visions du progrès, inventions du monde, sens de l’émerveillement, de l’altérité, etc.), à travers tous les moyens de transmission disponibles de la visites conférences aux QR codes à côté des œuvres …
C’est tout le patrimoine, la création d’hier et d’aujourd’hui, qui se présente comme un trésor inestimable pour l’écologie.
La culture, partout et de tout temps, ouvre à des propositions de monde.
Il s’agit, aujourd’hui, d’aller s’ouvrir à elles
Guillaume Logé.
Y a-t-il un autre projet – poétique de surcroît – plus ambitieux que ce musée monde pour cette année 2023 ?
#Olivier Olgan
A écouter : L’art comme matière à repenser le monde et l’écologie, L’Art est la matière, de Jean de Loisy (18 09 22)