Histoire : Le petit magasin du monde, (dir.) Pierre Singaravelou, Sylvain Venayre [Fayard]

40 objets de la mondialisation. (dir.) Pierre Singaravelou, 154 p, 1001 Nuits, 2021
Le magasin du monde, La mondialisation par les objets du XVIIIe siècle à nos jours, 457 p., 25 €. Fayard, 2020

Subtilement égrenée tout l’été, la chronique quotidienne de ‘40 objets de la mondialisation’ signée de Pierre Singaravelou (sur France Culture jusqu’au 27 aout), éditée par 1001 Nuits rappelle que tout magasin raconte le monde. Même si la mondialisation remonte plutôt à l’An 1000 selon Valérie Hansen, le récit de leur circulation à partir du XVIIIe reste toujours aussi éclairant. Au même aulne planétaire, la culture matérielle mondiale d’après COVID n’amorce pas de changement radical -même dématérialisée- sauf peut-être sur l’anthropocène.

Une histoire du monde à hauteur dhumains

Hamac, bol à kava polynésien calumet, shampoing, chicotte, tong ou gilet jaune… : si cette accumulation ressemble à une liste à la Prévert, ils sont aussi les « têtes de gondoles » d’un « magasin du monde » qui s’est enrichi d’articles de façon accélérée depuis le siècle des Lumières, même si la mondialisation des échanges remonte, davantage à l’an 1000 comme le souligne Valérie Hansen (L’an 1000, Quanto, 2021).

Leur parcours nous est brossé en podcats sur France Culture ou par écrit chez 1001 Nuits avec une certaine jubilation grâce à la qualité des récits signés de 90 spécialistes respectant le cahier des charges de Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre : s’attacher aux phénomènes de réappropriations et de réinventions au-delà des seules modalités de diffusion d’objets génériques de l’habitat à l’alimentation, du corps à la religion…

Les européens n’ont pas invité la mondialisation. Valérie Hansen, L’an 1000 (Quanto)

En atteignant l’Ile de Terre Neuve, les Vikings ont ainsi connecté d’anciennes routes commerciales traversant les Amériques à celles qui parcouraient l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Pour la première fois de l’histoire, un objet ou un message pouvait faire le tour du globe. », Dans un récit aussi limpide que documenté, Valérie Hansen, professeur à Yale, brosse le début de la mondialisation à l’an 1000 et lève le vol sur le développement des réseaux qui ont fini par s’entrecroiser : « C’est en effet à cette période qu’ont été tracées les routes commerciales qui, sur l’ensemble de la planté ont permis aux marchandises, aux technologies, aux religions et aux personnes de s’éloigner de leurs terres d’origine. Les changements qui en ont résulté ont été si profonds qu’ils ont aussi affecté les gens ordinaires

Les objets contribuent au métissage universel

Revendiquant un décentrement du regard dans une approche historique globale – Pierre Singaravélou et Sylvain Venayr ont signés Une histoire du monde au XIXé siècle (Fayard) – leur assortiment d’objets à mi-chemin de l’entrepôt et du musée, est animé avec pertinence au gré des usages. via une chronologie dans une stimulante ‘Histoire-monde’ du XVIIIe siècle à nos jours.

« Les objets sont le meilleur biais, à l’échelle du monde, pour appréhender les humains. » insistent les deux historiens, et leur réinvention d’une civilisation à une autre peut être fascinant. Non sans parfois une certaine ambiguïté ; gilets jaunes, piano… « À lorigine de cette polysémie des objets, il y a donc, au-delà de leur partage, lincroyable capacité d’appropriation de l’être humain. Insiste les auteurs. Avec la révolution industrielle et sa propension à tout transformer en objets – y compris le vivant, en commercialisant hommes et bêtes –, le monde lui-même est devenu une chose que l’on contrôle, que l’on possède. »

La fascinante plasticité de la culture matérielle

Au-delà de ce qui peut relever de l’anecdote ou de l’arbitraire de l’inventaire, l’autre mérite de cette « culture matérielle » foisonnante dans laquelle chacun peut piocher révèle l’extraordinaire diversité et plasticité des usages et des comportements tout autour de la planète. Ils révèlent d’une part l’évolution des rapports de force économiques et géopolitique. Avec des conséquences culturelles parfois édifiantes, comme la compétition sur le fil de coton Inde vs Angleterre,  ou masque prophylactique, symbole du basculement de la planète vers une mondialisation asiatique. Et d’autre part, compte tenu des ressources naturelles impliquées, l’impact de la démocratisation des objets sur l’anthropocène – cette ère, définie par l’impact des activités humaines sur les écosystèmes.

La dématérialisation, vraiment ?

Par contre, et les auteurs tombent dans une facilité de langage en considérant la dématérialisation comme la fin des objets. Nous ne croyons pas à cette prédiction. Ne serait-ce parce que le numérique n’a rien de dématérialisé et s’appuie sur d’autres matières notamment des métaux rares qu’il conviendrait de faire aussi rapidement l’histoire globale …

#OlivierOlgan