Histoire : Pour Napoléon, de Thierry Lentz (Editions Perrin)
Faits et cause Pour Napoléon
Cela aurait dû être pour le Directeur de la Fondation Napoléon, successeur depuis 2000 de son maître Jean Tulard, une campagne menée sur du velours. Las, polémiques et covid obligent, le Bicentenaire Napoléon tourne à la Bérézina, malgré un bel alignement de forces éditoriales et une confirmation tardive du Président Macron à l’Institut de France le 5 mai. Pour endiguer la tentation de déboulonner symboliquement – voir physiquement – les piédestales où a été placé Napoléon, Thierry Lentz lance une dernière salve avec Pour (défendre) Napoléon « de l’effacement » et « à travers lui notre histoire, pour préserver la cohésion nationale. »
Replacer le débat historique sur Napoléon dans le bon sens.
Plus qu’un essai, le ton est davantage celui de la plaidoirie : « Venir à bout de Napoléon reviendrait à détruire ce que nous sommes« . Une bonne partie du livre – c’est même sa raison d’être – stigmatise les polémiques et les caricatures excessives autour de Napoléon, et plus gravement autour de l’histoire. Pour endiguer cet instrumentalisation mortifère pour la cohésion nationale, celui qui a consacré une quarantaine d’ouvrages, dont le monumental « Dictionnaire historique », ne se prive d’aucun effet de manche ; « Homme des Lumières. C’est un héritier. Il n’a rien inventé. Il voulait un système qui fonctionne et, dans ce but, il a réalisé une grande synthèse intelligente de ce qui l’a précédé, en mariant les institutions préexistantes avec le principe national né de la Révolution. »
Napoléon est un peu en chacun de nous
Plus habile, Lentz joue souvent de la séduction sur les apports de son legs et de ce qu’il a laissé dans notre mémoire : « Nous devons à Napoléon qui nous sommes Napoléon est en nous. » L’auteur n’hésite en effet jamais à souligner que cette figure que l’on veut effacer est installée « dans notre intimité ». Et de citer, au-delà des institutions, des monuments, du Code civil, «la source des mœurs et la garantie de la paix publique et particulière», des règles d’urbanisme (l’alignement des maisons ou le numérotage des rues), le baccalauréat, les Palmes académiques, la Légion d’Honneur, les règles de succession, l’obligation d’enterrer nos morts à six pieds sous terre… » Les traces de Napoléon sont partout. Et elles constituent qu’on le veuille ou non, entonne Lentz sa fierté d’être Français.
Comme tout bon avocat, il se refuse à davantage d’accablement de son prestigieux client, souvent par caricature, pire par mauvaise foi. Celui qui est fasciné par Napoléon depuis l’enfance a le sens des formules qui claquent ; « Au fond, Napoléon s’est trouvé à un moment où, comme il l’a dit plus tard, il fallait arrêter le roman de la Révolution et faire ce qui était possible », ou encore « Dans l’histoire, peu d’autres que Napoléon ont bénéficié du moment, des moyens et des hommes pour accomplir une telle œuvre ».
Devoir d’inventaire et de débattre, pas d’interdire, ni de taire
Enlevé comme une charge de hussards, l’essai prône dans la conduite nécessaire d’ inventaires, une méthode rationnelle et de remettre dans leur contexte les polémiques qui grondent : esclavage, statut de la femme, dictature, exercice du pouvoir et politique étrangère… Tout peut s’expliquer. A ceux qui accusent par exemple, la création d’un Etat policier, Lentz plaide pour une dimension « surévaluée par des historiens tributaires des archives, lesquelles, de la surveillance à la répression, révèlent surtout ce qui ne va pas. »
Endiguer les anachronismes
Le verbe est clair, les arguments directs pour endiguer les anachronismes. Mais ne nous trompons pas avertit Lentz, les enjeux de ces débats sont bien actuels ; ils relèvent de l’ objectif de détricoter le récit national, toute notre organisation sociale, l’idée de l’autorité et de la non-confessionnalité de l’Etat, voir insiste-t-il « plus largement, la fierté d’être Français qui sont visées ». Si ce bicentenaire est essentiel. C’est que « Napoléon est un gros morceau de notre identité et de notre mémoire. S’il chute, c’en est fini de la liberté d’enseigner, de dire et de faire. »
Les débats sont essentiels soutient l’auteur car « Napoléon faisait confiance aux générations futures pour faire la part des choses sur son bilan et sa postérité »
En d’autres termes, et c’est la force de ce livre, c’est à chacun de prendre la relève pour débattre de l’Histoire, sans la nier, ni « l’idolâtrer » comme l’écrit pertinemment Arnaud Marzorati pour revendiquer Napoléon en chansons, pour la remettre au centre d’un récit et d’un avenir (cf JF Lorrain, Les Lieux qui ont fait la France). Agir un homme libre, c’est garder le droit d’étudier et de débattre de Napoléon : « Pour nous aussi, sans doute, l’enjeu dépasse la seule personne, immense et irremplaçable, de Napoléon. Il en va de ce que nous sommes et voulons continuer à être. » Revigorant