Je suis toujours là, de Walter Salles avec Fernanda Torrès
« Ici tout a l’air
D’être encore en construction
Et est déjà en ruine
Ici tout n’est que gamin et gamine
Dans la rue
Sur l’asphalte, le pont, le viaduc
Pleurnichant à la lune
Rien ne continue… »
Caetano Veloso “Fora da Ordem” (Hors d’usage)
Retour sur un vécu traumatique
Peu se souvienne de la dictature sous la férule de Castelo Branco pendant vingt et un ans. La France a connu pourtant à la même époque l’arrivée inquiète et déprimée d’amis Brésiliens venus chercher la paix et le soutien que leur société n’offrait plus.
A l’heure où Singulars propose un regard sur des fenêtres, l’une d’entre elles montre la réalité cruelle du contraste entre un extérieur luxuriant et chaud mais inaccessible parce que cette fenêtre a été bardée de barreaux sur l’injonction brutale d’un régime qui a décapité la justice.
Quand l’extrême-droite a repris de l’ampleur au Brésil, quelques années avant la victoire de Bolsonaro, il est devenu clair combien notre mémoire des années de dictature militaire était fragile.
Proposer des rappels de cette période m’a semblé vital pour mieux comprendre un vécu traumatique, et ne pas sombrer dans les mêmes erreurs du passé.
Walter Salles
La violence aveugle des années de plomb
« Je suis toujours là » de Walter Salles nous transporte dans les années soixante-dix du Brésil entre deux registres apparemment inconciliables le long de l’épreuve que traverse la famille de Rubens Paiva, époux et père, quand elle est amputée de ce dernier en 1971 par l’effet de l’effroyable violence qu’a déchaînée la dictature instaurée à la suite du Coup d’état du 31 mars 1964 mené par le militaire Castelo Branco.
Le calvaire d’une famille
Le film est porté par l’exceptionnelle Fernanda Torrès dans le rôle de l’épouse et mère, Eunice Paiva. Il retrace le déchirement puis le calvaire de tout la famille Paiva mais montre aussi combien la force et la détermination de cette femme habitée par la vie permettent de surmonter l’insupportable.
Par ce film, Walter Salles transpose avec sensibilité le livre (dont il conserve le titre « Ainda Estou Aqui », Je suis toujours là) de Marcelo Rubens Paiva paru en 2015 qui retrace les conditions de la disparition de son père et la revitalisation de toute la famille par sa mère.
Le choc de deux tonalités narratives
Les registres convoqués sont d’un côté celui du bonheur des journées à Rio de Janeiro entre une maison bruissante de joies et la plage ensoleillée, d’un autre côté celui de la violence d’un rapt politique injustifiable et ravageur. Les deux tonalités sont unies par le long cheminement d’Eunice qui surmonte l’incompréhensible pour tenir littéralement en vie ses cinq enfants et tout ce qui les lie.
Il n’y a rien à ajouter, rien à commenter, il est juste question d’aller voir comment une mère qui a transmis la vie transmet exemplairement ce qui permet de rester en vie.
Transcender l’élan vital conjugal et maternel
On pourrait parler de drame familial à propos de ce film, avec toutes les ombres qui obscurcissent ou hantent, certes drame il y a mais il est plutôt social et politique sur une échelle large.
A l’échelle familiale plus ramassée, il est littéralement question de voir comment le rayonnement d’une mère illumine constructivement toute sa famille, que ce soit à l’extérieur dans sa ville, à l’intérieur dans sa maison, ou encore au-dedans des âmes qui constituent cette famille.
Walter Salles signe là une œuvre qui exalte avec douceur un élan vital conjugal et maternel quand il a la force de transfigurer la tragédie.
Avec Fernanda Torres, Fernanda Montenegro, Selton Mollo, Valentina Herszaje, Maria Manoella, Luiza Kozovski