Je suis toujours là, de Walter Salles avec Fernanda Torrès

Qui se souvient de la dictature issue du coup d’état mené par le militaire Castelo Branco qui a enténébré le Brésil ? Plus grand monde sauf ceux qui ont hébergés  les nombreux amis brésiliens forcés à l’ asile. « Je suis toujours là » de Walter Salles (« Central do Brasil », « Carnets de voyage », notamment) nous replonge dans cette sombre époque que l’Amérique latine a connue au Brésil de 1964 à 1985, avant le Chili de 1973 à 1990 puis l’Argentine de 1976 à 1983. Un film remarquable et saisissant pour Jean de Faultrier , bien parti pour remporter l’Oscar du meilleur film international 2025.

 

 

« Ici tout a l’air
D’être encore en construction
Et est déjà en ruine
Ici tout n’est que gamin et gamine
Dans la rue
Sur l’asphalte, le pont, le viaduc
Pleurnichant à la lune
Rien ne continue… »
Caetano Veloso “Fora da Ordem” (Hors d’usage)

Ancienne prison, aujourd’hui Maison de la Culture, à Recife (Etat de Pernambouc, Nordeste du Brésil), août 1983, © Jean de Faultrier.

Retour sur un vécu traumatique

Peu se souvienne de la dictature sous la férule de Castelo Branco pendant vingt et un ans. La France a connu pourtant à la même époque l’arrivée inquiète et déprimée d’amis Brésiliens venus chercher la paix et le soutien que leur société n’offrait plus.

A l’heure où Singulars propose un regard sur des fenêtres, l’une d’entre elles montre la réalité cruelle du contraste entre un extérieur luxuriant et chaud mais inaccessible parce que cette fenêtre a été bardée de barreaux sur l’injonction brutale d’un régime qui a décapité la justice.

Quand l’extrême-droite a repris de l’ampleur au Brésil, quelques années avant la victoire de Bolsonaro, il est devenu clair combien notre mémoire des années de dictature militaire était fragile.
Proposer des rappels de cette période m’a semblé vital pour mieux comprendre un vécu traumatique, et ne pas sombrer dans les mêmes erreurs du passé.

Walter Salles

Je suis toujours là, de Walter Salles photo Alile Onawale

 

La violence aveugle des années de plomb

« Je suis toujours là »  de Walter Salles nous transporte dans les années soixante-dix du Brésil entre deux registres apparemment inconciliables le long de l’épreuve que traverse la famille de Rubens Paiva, époux et père, quand elle est amputée de ce dernier en 1971 par l’effet de l’effroyable violence qu’a déchaînée la dictature instaurée à la suite du Coup d’état du 31 mars 1964 mené par le militaire Castelo Branco.

Le calvaire d’une famille

Je suis toujours là, de Walter Salles photo DR

Le film est porté par l’exceptionnelle Fernanda Torrès dans le rôle de l’épouse et mère, Eunice Paiva. Il retrace le déchirement puis le calvaire de tout la famille Paiva mais montre aussi combien la force et la détermination de cette femme habitée par la vie permettent de surmonter l’insupportable.

Par ce film, Walter Salles transpose avec sensibilité le livre (dont il conserve le titre « Ainda Estou Aqui », Je suis toujours là) de Marcelo Rubens Paiva paru en 2015 qui retrace les conditions de la disparition de son père et la revitalisation de toute la famille par sa mère.

Le choc de deux tonalités narratives

Fernanda Torrès joue l’épouse et la mère d’une famille fragilisée par la dictature, dans Je suis toujours là. photo Alile Onawale

Les registres convoqués sont d’un côté celui du bonheur des journées à Rio de Janeiro entre une maison bruissante de joies et la plage ensoleillée, d’un autre côté celui de la violence d’un rapt politique injustifiable et ravageur. Les deux tonalités sont unies par le long cheminement d’Eunice qui surmonte l’incompréhensible pour tenir littéralement en vie ses cinq enfants et tout ce qui les lie.

Il n’y a rien à ajouter, rien à commenter, il est juste question d’aller voir comment une mère qui a transmis la vie transmet exemplairement ce qui permet de rester en vie.

Transcender l’élan vital conjugal et maternel

Fernanda Torrès ou le rayonnement d’une mère et épouse. Je suis toujours là, de Walter Salles photo Divulgaçao

On pourrait parler de drame familial à propos de ce film, avec toutes les ombres qui obscurcissent ou hantent, certes drame il y a mais il est plutôt social et politique sur une échelle large.

A l’échelle familiale plus ramassée, il est littéralement question de voir comment le rayonnement d’une mère illumine constructivement toute sa famille, que ce soit à l’extérieur dans sa ville, à l’intérieur dans sa maison, ou encore au-dedans des âmes qui constituent cette famille.

Walter Salles signe là une œuvre qui exalte avec douceur un élan vital conjugal et maternel quand il a la force de transfigurer la tragédie.

Jean de Faultrier

Avec Fernanda Torres, Fernanda Montenegro, Selton Mollo, Valentina Herszaje, Maria Manoella, Luiza Kozovski