Culture
Julio Villani, de la poésie engagée à la contestation politique
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 6 septembre 2020
Entre le Brésil où il né en 1956 et à Paris où il vit, Julio Villani produit une œuvre, se refusant à toute étiquette. Certaines parentés poétiques sautent aux yeux, de Duchamp à Calder, l’artiste y rajoute un esprit ludique et décalé. Comme eux, il sait aussi s’investir en politique, contestant contre la situation du Brésil, en témoigne sa participation à l’exposition collective ‘Demain sera un autre jour’ aux Grandes-Serres de Pantin du 16 septembre au 30 septembre.
Une infinité de ‘métaformes’
Julio Villani vit et travaille entre São Paulo et Paris, où il s’est établi depuis 1982. Son œuvre, prolixe et protéiforme (peintures, dessins brodés, photographies, vidéos, collages, assemblages et performances) est construite dans une infinité de ‘métaformes’ comme il la désigne. C’est en fait un monde d’appropriations ludiques où il joue avec les ‘ready-made’ et autres « cadavres exquis » dans la lignée de Duchamp à Calder, de Schwitters à Rauschenberg tous capables de transformer en art les objets qui les entourent.
Pour preuve, cette famille française « recomposée » qu’il s’est « récupérée » à partir de photographies glanées aux puces et qu’il s’est appropriées. « Où d’autres souffriraient d’écartèlements et de dispersion, Villani trouve matière et sujet à rassemblement et réunion. écrit Philippe Piguet dans le catalogue Julio Villani 1+1+1(Somogy éditions d’Art 2016). Son œuvre s’offre à voir dans une hétérogénéité de formes et de contenus qui témoigne du principe d’appropriation tous azimuts qui la fonde. »
Le jeu avant tout
« Le jeu m’intéresse plus que l’inspiration », indique-t-il à Singulars. « Nous ne nous occupons, avec amusement, que de l’aujourd’hui. Nous voulons être des mystiques du détail, des taraudeurs et des clairvoyants, des anti-conceptionnistes et des râleurs littéraires… », Julio Villani pourrait reprendre à son compte partie de ce manifeste Dada en lequel il se reconnait. Il se sent aussi proche des surréalistes. Il rejette les dessins et les projets préparatoires pour se lancer dans la réalité directe de la création.
Pour ses collages-sculptures, il récolte tout le temps des objets sans jamais savoir a priori à quoi ils serviront. Il dit dessiner ses grands draps avec des ciseaux. Il prône aussi la spontanéité comme règle de base autour de thèmes liés au déplacement, à l’instabilité, aux mondes infinis et sans frontières qu’offrent la vie et l’imaginaire. Adoptant tour à tour la géométrie ou les outils de l’enfance, nourrie de références, son œuvre infiniment poétique et subtile questionne perpétuellement le sens des mots et des choses, guette l’inattendu enfoui dans le déjà-vu : objets de tous les jours et rêveries sont pour Villani l’endroit et l’envers d’une même réalité, les deux faces des broderies qu’il réalise dans ses œuvres.
Des « cartographies émotionnelle »
Très proche de la sensibilité de son compatriote José Léonilson (1957-1993), il offre au public une « cartographie émotionnelle » de ce qui l’a touché dans la vie. Ses compositions sont comme des cartes d’identités de souvenirs. Ses grands dessins et textes brodés envahissent les espaces de ses expositions de grands draps qui sont suspendus permettant au public de circuler entre eux et surtout même de les toucher. Cela fait partie de l’œuvre qui se veut interactive.
Em 2019 Julio Villani avait présenté dans le dortoir de l’abbaye cistercienne de Thoronet en Provence un grand ciel magistral, une carte céleste brodée sur un de ses immenses draps dont il a donc le secret. L’artiste commentait : « (mon œuvre) remplit toujours son office : celui d’accueillir des réflexions sur la journée passée, des protections de chemins futurs, et surtout des rêves, des amas de rêves ».
La broderie, un médium à deux faces
« Depuis la fin de l’année dernière, je travaille, sur une nouvelle installation de draps brodés, intitulée « Retournements (Liberté) ». Le fait que la broderie soit un medium à deux faces m’a semblé très à propos pour évoquer les deux côtés de la démocratie, de la liberté de choisir… Au Brésil, nous sommes à n’en pas douter dans l’envers du décor…L’un des draps, intitulé Dame Liberté, est assez illustratif de l’ensemble. Il porte (sur) un poème de Clarisse Lispector. Je me suis permis de lui donner un autre sens que celui auquel elle a pensé en l’écrivant : « j’ai deux visages, l’un est presque beau, l’autre presque moche. Que suis-je ? Un presque tout » » confie-t-il à Singular’s.
Ses draps-vies sont généralement inspirés de poèmes et de citations de ses auteurs favoris tels que Langston Hughes, Paul Eluard, Manoel de Barros, Paul Celan ou Jacques Prévert, une invitation à (re)plonger dans ces œuvres.
La situation politique exige une performance esthétique
Mais, attention ! Si Julio Villani est un artiste-poète, ce gentleman du monde de l’art n’est pas pour autant un doux rêveur éthéré. Face à l’inaptitude de la politique du Président Bolsonaro et ses dangers, il est passé à l’action. Avec ses moyens.
Aidé par une bande d’ami.es, au petit matin du 21 mai 2020, de façon sauvage, il a pendu sur la façade de l’Ambassade du Brésil cours Albert 1er une œuvre ‘Pano Preto na Janela’ (chiffon noir à la fenêtre). Il s’agissait de six grands panneaux artistiquement conçus demandant le départ du Président brésilien, reprenant certaines des phrases grossières dont il est coutumier pour plaider qu’ un autre Brésil est possible. « Confinés, les Brésiliens ont transformé leurs fenêtres et balcons en lieux de manifestation, ils y accrochent des longs chiffons noirs en signe de deuil et de soutien aux soignants en réclamant le départ de Bolsonaro », se désole-t-il.
Le geste esthétique et intègre, rapide et efficace a été relayée aussitôt par la presse française et brésilienne. Il s’inscrit par là même dans la grande tradition des artistes contestataires sur la place publique…. de Gustave Courbet avec la Colonne Vendôme en 1870 à Picasso et Guernica en 1937. L’exposition collective ‘Demain sera un autre jour’ aux Grandes-Serres de Pantin à partir du 16 septembre au 30 septembre prolonge cet engagement citoyen et cherche à fusionner verbes poétiques et politiques pour réenchanter le monde.
Pour suivre Julio Villani
Instagram @julio_villani
Ses galeries en France :
- Galerie 1900-2000, 8 rue Bonaparte, 75006 Paris. Tel : +33 (0)1 43 25 84 20
- Galerie RX 16 rue des Quatre Fils, 75003 Paris. Tél. : +33 (0)1 71 19 47 58
Actualité :
du 16 septembre au 30 septembre. exposition collective Demain sera un autre jour (Amanhã hà de ser outro dia) dans l’atelier de l’artiste colombien Iván Argote. Les Grandes-Serres de Pantin. 15 Rue du Cheval Blanc, 93500 Pantin.
Une vingtaine d’artistes issus du Brésil et basés en France se mobilisent contre la situation brésilienne à travers une exposition-manifeste inédite, soutenue par une programmation de conversations.
Vernissage le 16 septembre 2020, de 18 heures à 22 heures. Ouverture tous les jours de 14 heures à 19 heures.
En raison du contexte sanitaire, inscription obligatoire sur rsvp.expositionbresilien@gmail.com – www.samartprojects.com
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