Culture

Jean-Michel Othoniel, L’œil de la Nuit (o olho da noite) (MON de Curitiba, Brésil)

Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 25 novembre 2024

[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] « J’aimerais réenchanter le monde par la beauté ». A chacune de ses expositions personnelles, Jean-Michel Othoniel s’immerge dans l’espace du bâtiment qui l’accueille, et tient sa promesse d’émerveillements – du Petit Palais de Paris au Sara Hildén Art Museum de Tampere, en passant par le Musée Ingres de Montauban  Sur les Ruines du Prince Noir se termine le 5 janvier 2025.  Son exposition « L’œil de la nuit » au Musée Oscar Neimeyer (MON) de Curitiba jusqu’en mai 2025 rend hommage à l’architecture du musée et à cet ‘œil’ surélevé construit par le grand architecte brésilien, qui cristallise aussi pour le commissaire Marc Pottier la diversité des possibles qui se multiplient dans un tel pays.

  

Un univers esthétique empreint de surréalisme et de littérature.

Dans « L’œil » du MON, douze « mobiles cosmiques des signes du zodiaque » suspendus, reprennent les entrelacs de perles de verre d’autres de ses compositions. Elles rappellent le déplacement des étoiles qui se reflètent dans les parois de verre du musée tout comme dans un jeu d’ombres jouant sur le plafond créées par un subtile jeu de lumière.

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite se déploie dans ‘l’oeil’ imaginé par Neimeyer (MON de Curitiba) photo JM Othoniel

Au sol, une mer composée de six mille briques de verre bleu aigue-marine posée au sol en forme d’œil, évoque les miroirs d’eau extérieurs. Souvent utilisé, la brique est le matériau des pauvres de l’Inde que l’on retrouve le long des routes. Jean-Michel Othoniel voit cela comme un rêve, un espoir, quelque chose de très humain : vouloir construire sa maison. Ses briques sont fragiles et réfléchissantes. C’est un rêve en brique.

« Olho da Noite» s »inscrit dans la continuité de son ambitieuse exposition; « Théorème de Narcisse » au Petit Palais, en 2021. C’est au cours de leur visite que Juliana Vosnika, la Présidente du MON et Marc Pottier, futur commissaire ont pris la décision d’inviter l’artiste à penser une œuvre dédiée au MON. A Paris, l’expérience commençait dès le grand escaliers extérieur du Petit Palais avec son incroyable tapis de briques de verre bleues …. qui se retrouvent aujourd’hui à Curitiba, en forme d’œil avec de délicates ondulations évoquant les vagues.

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite (MON de Curitiba) s’inscrit dans la dynamique ‘Théorème de Narcisse‘ Petit Palais Photo Claire Dorn Courtesy the artist and Perrotin

« J’ai mis longtemps avant de trouver une façon d’intervenir dans ce lieu qui soit respectueux des souvenirs que j’avais de l’architecte Niemeyer, que j’ai eu la chance de rencontrer. J’ai pensé à cette nuit à Rio où, face à la mer, il me parlait de Brasilia. Cette nuit étoilée sur la plage de Copacabana est restée à jamais gravée dans ma mémoire »
Jean-Michel Othoniel. 

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite avec ses lotus au pied de l’Oeil (MON de Curitiba) photo JM Othoniel

Mathématiques célestes et hommage à Niemeyer

Le titre de l’exposition évoque aussi le bâtiment exceptionnel et cet ‘œil’ surélevé construits par Niemeyer, un lieu beaucoup plus complexe qu’il ne parait malgré la simplicité de son design : le plafond est courbe, les murs des deux côtés de cet ‘œil’ sont de verre teinté, comme suspendus au-dessus du sol. L’architecture elle-même parait déjà comme une sculpture. L’artiste a eu envie de transformer ce lieu en un énorme planétarium où les sculptures reprendraient les différents signes du Zodiaque. A chaque signe une couleur et une forme qui se déploient autour d’un nœud infini. C’est une évolution de son travail sur les mathématiques, mais cette fois-ci des mathématiques célestes qui renvoient vraiment à l’univers et à l’infini.

« Pour avoir accès à cette chose merveilleuse, je crois, il suffit de faire confiance aux œuvres »
Jean-Michel Othoniel

Partager un sentiment d’élévation

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite (MON de Curitiba) photo JM Othoniel

Cette installation créée spécifiquement pour le lieu que Jean-Michel Othoniel a pensé mobile comme une danse dans les cieux nous invite à lever la tête et les yeux, à regarder en l’air, et ainsi à donner un sentiment d’élévation. La danse, la joie aussi. Les œuvres accrochées ainsi au-dessus de notre tête, offre un parcours original, important pour l’artiste à un moment le monde se fait plus sombre et plus triste.  Ce « Petit Prince émerveillé » façon Saint-Exupéry », né en 1964 à Saint-Etienne, n’a jamais tourné le dos à la décoration, aux ornements et, surtout, n’a jamais hésité à embrasser son appétit de beauté.

L’émerveillement, de merveilleux, d’infini, du cosmos est au cœur de sa dynamique créative et utopique, une des clés pour que chacun prenne un peu de distance, tout en étant conscients de notre fragilité dans l’univers. 

Perles de verre aux significations diverses

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite (MON de Curitiba) photo JM Othoniel

Le verre, aujourd’hui omniprésent dans son œuvre, remplace le soufre utilisé à ses débuts. Cette « invention », qui fait déjà partie de sa marque « de fabrique », naît de sa visite à Murano lorsqu’il vivait à la Villa Médicis. Le public a déjà découvert ses colliers de perles entre le Grand Canal de Venise à la Fondation Guggenheim jusqu’à son collier Peggy, image du temps suspendu au moment de l’ouverture de la Fondation Pinault.

Ses « fruits défendus » sont également cachés dans les branches d’Hawaï, dans une bambouseraie tropicale, des perles à pointe de téton. Ces colliers se retrouvent encore comme une œuvre minimale, multiple et compromise peu après la mort de son ami, le grand artiste américano-cubain Félix Gonzalez-Torres (1957-1996). Ce sont des « colliers cicatrices » en petites perles rouges que Jean-Michel porte toujours avec lui et qu’il distribue autour de lui.

L’expérience  du visiteur débute dés les bassins extérieurs où flottent cinq grandes fleurs gigantesques recouvertes de feuilles d’or, comme des astrolabes qui mélangent leurs reflets complices avec l’œil du grand architecte brésilien, qui aimait tout autant la botanique. Tout comme le bâtiment de Niemeyer est inspiré par l’araucaria, l’arbre symbolique de la région du Paraná, Othoniel a tenu à ce que ses lotus s’élèvent au-dessus de l’eau en déployant leurs reflets.

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite (MON de Curitiba) photo JM Othoniel


Jean-Michel Othoniel, O olho da noite (MON de Curitiba) photo JM Othoniel

Représentations de l’infini

Si « Narcisse » faisait référence aux plantes du jardin du Petit Palais, « Teorema » célébrait sa rencontre avec le mathématicien mexicain Aubin Arroyo. C’est en voyant les images de nœuds de perles de l’exposition « My Way » au Centre Pompidou en 2011, inspirées par le psychanalyste français Jacques Lacan, que le scientifique fut surpris par l’incroyable similitude des sculptures de l’artiste avec les visualisations des théories mathématiques sur lesquelles il travaillait.
Depuis, une incroyable complicité est née dans ces anneaux borroméens, pour réfléchir à l’intersection entre l’imaginaire, le symbolique et le réel. Au MON, le public découvre des œuvres montrant cet autre angle du travail de l’artiste.

Un artiste polycéphale

Un rêveur sans doute, un poète sans doute, mais aussi les mains sur terre, à travers une vitre, un artiste polycéphale au grand cœur. Avec en plus une ambiance de bonheur partagé et votre nouvelle passion pour le Brésil :

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite (MON de Curitiba) photo JM Othoniel

« Je crois que c’est ce rapport à la nature qui m’inspire le plus quand je viens au Brésil. Je sens ce côté tellurique ancré dans le paysage, j’ai l’impression que les gens et la terre ne font qu’un, qu’ils ont cette énergie qui vient du sol, qui les porte, que leur voix est chargée de cette force qu’offre la nature. Et ce sentiment, pour moi, est unique au monde. Je ne l’ai jamais expérimenté ailleurs, même sur les volcans où j’ai travaillé il y a plusieurs années.

Je n’avais pas ressenti autour de moi cette force qui peut habiter un peuple. Je suis très respectueux de cette vision qu’offre le peuple brésilien aux yeux du monde. Ce pays est un pays pour moi si jeune, si prometteur, avec une vraie vitalité, une joie qui ne masque pas les difficultés de la vie, mais qui les sublime.

Jean-Michel Othoniel, O olho da noite (MON de Curitiba) photo JM Othoniel

Dans la morosité du monde ambiant, je crois que c’est une grande leçon d’espoir que sait porter le Brésil, et  qui, moi, me touche énormément et me donne envie de revenir encore et encore comme un retour à cette force primale qui est notre essence même en tant qu’homme.
Jean-Michel Othoniel

Avec cette belle déclaration d’amour que seuls les contrastes du Brésil peuvent provoquer, notre magicien du verre montre qu’il y est désormais chez lui.

Marc Pottier

Pour suivre Jean-Michel Othoniel

Expositions personnelles (depuis Le théorème de Narcisse« , au Petit Palais, 2021 voir article)

  • Juin – Septembre 2024, Under an Endless Light, Sara Hildén Art Museum, Tampere, Finlande
  • Mars 2024, Under another sun, Galerie Simões de Assis, São Paulo
  • Octobre – Décembre 2023, The Reconciliation of Opposites, Galerie Perrotin New York
  • Juillet – Octobre 2023, The Flowers of Hypnosis, Brooklyn Botanic Garden, New York
  • Mars – Avril 2023, Wonder Blocks, Hanok Kukje, Seoul
  • Juin – aout 2022, Treasure Gardens, Séoul Museum of Art et jardin du Deoksugung Palace, Seoul ;
  • Mai – novembre 2022, Le rêve de l’eau, Palais idéal du facteur Cheval, Hauterives
  • Janvier – février 2022, Jean-Michel Othoniel, Perrotin Hong Kong
  • Septembre 2021 – Janvier 2022, Le Théorème de Narcisse, Petit Palais, Paris

Œuvres permanentes

  • Jean-Michel Othoniel La Tour d’Or Blanc Photo Ville d’Amboise

    Inaugurée depuis le 16 octobre 2021 : La Tour d’Or Blanc à Amboise : C’est une colonne rostale qui s’illumine de 14 mètres de haut et 1,34 mètres de diamètre qui rend hommage aux récits héroïques et aux voyages sur l’eau comme un phare à la couleur du vin d’Amboise. C’est une commande des vignerons locaux pour valoriser l’appellation Touraine-Amboise. L’œuvre est conçue comme un dialogue avec la couleur dorée de la Loire, la cuvée du clos des Châteliers et l’identité du patrimoine comme les sémaphores visibles sur le territoire, les colonnes rostales des villes portuaires et le pont de pierre reliant l’emplacement de l’œuvre et le château royal. Elle répond aussi aux grands monuments historiques tels que la flèche de la chapelle Saint-Hubert où repose Léonard de Vinci et la pagode de Chanteloup.

  • La grande Croix Rouge (2007-2008) œuvre permanente, Parcours d’art Château La Coste : « Ce travail a été réalisé en collaboration avec l’architecte Tadao Ando autour de la restauration d’une chapelle et la création d’un jardin zen. La Croix en verre rouge de Murano capte la luminosité de la Provence avec une grande intensité. Etant dans un endroit reculé du domaine cette oeuvre nécessite un petit pèlerinage il faut prendre le temps de la promenade pour la découvrir au sommet de la colline ».
  • Jean-Michel Othoniel Les belles danses, Versailles 2015 Photo © Philippe Chancel © Jean-Michel Othoniel /ADAGP, Paris, 2021.

    Depuis 2015, Fontaines du théâtre d’eau au château de Versailles. Dans un jardin conçu par le paysagiste Louis Benech, » Jean-Michel Othoniel a imaginé trois fontaines monumentales, « Les Belles Danses », posées à fleur d’eau dans des bassins, composées d’entrelacs et d’arabesques de boules de verre doré de Murano. L’artiste a voulu évoquer le corps en mouvement, inspiré des ballets donnés par le roi Louis XIV et aussi par le livre de référence «l’Art de décrire la danse » de Raoul-Auger Feuillet (1659-1710), danseur, chorégraphe, maître à danser et inventeur d’un système de notation de la danse.

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