Culture
La beauté en apesanteur des photographies de Jean-Baptiste Huynh
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 7 décembre 2020
Sculptant la nature humaine avec un langage iconographique réduit à l’essentiel – noir et blanc, uniques optique et source de lumière -, Jean-Baptiste Huynh reste le photographe en quête de la beauté intérieure. Son dernier livre Infinis d’Asie (Skira) rend compte de 30 ans de voyages et de l’intériorité de ses sujets, dans un suspend intemporel. Il est étrangement absent de l’exposition ‘Noir & Blanc, une esthétique de la photographie‘ qui commence le 16 décembre au Grand Palais.
Un face à face tout en éclairage intime
Généralement en noir et blanc et toujours sur fond noir ou neutre, les photographies – comme les expositions – de Jean-Baptiste Huynh se jouent du temps comme de l’espace : « Mon idée est de placer le visiteur dans le même face-à-face que celui que j’expérimente lors de la prise de vue. Comme lorsqu’on se regarde dans un miroir et que le reste du monde n’existe plus. »
Pourtant, beaucoup des sériesoulivres des s’organisent autour des voyages que l’artiste fait aux quatre coins du monde de l’Asie en passant par l’Afrique et l’Amérique latine. Reconnu pour ses portraits, il sait quitter la figure humaine, pour traquer l’essence des objets, issus de ses pérégrinations ou des collections des grands musées internationaux où il expose, ou quelques rares paysages des pays visités.
Le refus de tout artifice
Juste un travail exigeant renforcé par la sobriété des moyens retenus fait de lui un artiste classique, épris et en quête d’une beauté tant naturelle et essentiel : « Je travaille avec le même matériel depuis trente ans. J’ai développé un procédé de prise de vue très simplifié : une seule source de lumière, une seule optique, un fond noir qui permet d’isoler le sujet de son contexte social pour me concentrer sur son intériorité. Photographier les gens de la manière la plus naturelle possible, cela confère une authenticité et donc une certaine profondeur au portrait. »
Ses grands formats permettent de restituer avec précision la lumière, les matières et le modelé. Ils offrent une vision des sujets traités à la fois très épurée et d’une grande définition. Ses photographies montrent des portraits, l’univers minéral, végétal ou animal, les symboles spirituels de différentes civilisations, toujours dans une ambiance intemporelle et avec une relation à l’infini.
Une vocation artistique précoce
Artiste autodidacte, Jean-Baptiste Huynh est né à Châteauroux (Indre) en 1966 où il a grandi avant de venir à Paris. Ce fils d’une française et d’un vietnamien (dont il n’a découvert le pays qu’ à 25 ans dans le cadre d’une Villa Médicis ‘hors les murs’ pour son projet et ouvrage « Intime Infini », éditions Acte Sud). S’il interprétait le petit-fils de Catherine Deneuve dans le film culte Indochine de Régis Warnier, cela reste une anecdote dans une vie où le photographie a très vite côtoyé beaucoup de personnalités. Se détournant très jeune des aspirations familiales, Il a su dès ses 14 ans qu’il était artiste. Dessinant beaucoup, aimant photographier, avec son premier agrandisseur à 16 ans, Jean-Baptiste apprend seul la compréhension de la lumière et les techniques d’éclairage, il est fait son langage et une identité.
Au plus près du sujet
Le travail de studio, et l’utilisation radicale du fond noir lui permettent d’isoler tout en se concentrant au plus près de l’intimité des sujets. Sa maîtrise fascinante le rapproche autant des peintres, comme Peter Doig (1959-) qui comme lui préconise toujours une distance face au sujet grâce à l’absence de contexte descriptif. Seules les atmosphères comptent. L’omniprésence de la personne le rapproche aussi de grands confrères comme Irving Penn (1917-2009). Chez l’un et l’autre, la mise en scène minutieuse élimine l’inutile, cerne et dépouille la présence de tout anecdote. Cette simplicité narrative renvoie au cosmos, dimension qui l’intéresse tout particulièrement. L’éclairage de ses sujets avec une seule source de lumière exacerbe l’objet, le corps ou le visage. Cette simplicité de moyens crée une vraie filiation esthétique avec le réalisateur suédois Ingmar Bergmann (1918-2007). Ils pratiquent un tel resserrement du cadre sur le visage qu’ils semblent comme enfermés en eux-mêmes dans une perspective au sens propre et figuré dépouillé à l’extrême, traquant une vérité/ beauté souvent sublimée.
Un travail en studio simple et pur
Rien d’artificiel dans ce travail d’appropriation de l’essence de son modèle. « Le procédé de prise de vue est simple et pur », explique-t-il. Tout tient dans le choix du sujet et dans son éclairage. Même lorsqu’il ne s’agit pas de végétaux, toutes les images que réalise l’artiste sont « naturelles ». Et, même lorsqu’il s’agit de végétaux, ce sont des portraits – plus que des natures mortes. « Ce qui m’inspire avec ce travail que je fais en installant mon studio sur le marché, c’est de mettre en évidence l’architecture et la sensualité de chaque végétal », commente-t-il.
Des nuances infinies de noir et le blanc.
Si ses techniques de tirages et la sélection précise des papiers utilisés ont beaucoup évolué ses 20 dernières années, c’est toujours pour l’amener à dominer l’infinité de nuances entre le noir et le blanc. Il les obtient lors de la prise de vues grâce à une maîtrise attentionnée de la lumière qu’il veut être parfaitement retranscrite dans les images imprimées. Pour cela, il passe des heures à la chambre noire du laboratoire, pour obtenir un tirage au plus près de ce qu’il souhaite obtenir utilisant une palette subtile des nuances caractéristiques de ses images.
Le livre fait partie intégrante du projet
Auteur d’une quinzaine ‘Livres- Œuvres’, Jean-Baptiste en assure avec exigence chaque étape, de la conception à la mise en page : Nature, Infinis d’Asie, Reciprocity, Lumière, Yeux, Mains, Photographs, Le Regard à l’œuvre, Ethiopie, Inde, Mali, Japon, Univers, Intime Infini et Immortels…. Le dernier « Infinis d’Asie » publié en 2019 à l’occasion de sa rétrospective éponyme au musée national des arts asiatiques – Guimet, retrace et condense ses voyages, en Asie (Vietnam, Inde, Japon, Chine, Cambodge…). Au fil des clichés où tous les thèmes majeurs sont abordés des portraits aux « natures mortes », toute l’obsession émouvante du photographe pour figer le temps qui s’écoule s’y exprime.
Huyen-Cil, le portrait du temps
Symbole iconique de ce travail, la paupière fermée montrée plein cadre de Huyen – Cil (2003). L’héroïne est une jeune femme vietnamienne, rencontrée par hasard alors qu’il travaillait au Vietnam, qu’il a photographié presque tous les ans de son enfance à sa maternité. Autant pour incarner l’évolution d’un visage à travers le temps que reconnait-il « une manière de découvrir l’origine de mon propre visage ». Si d’autres visages d’enfants issus d’autres pays ont aussi été captés, Huyen – Cil contient toutes les notions de regard, d’intériorité, de sérénité, de référence à l’Asie et d’abstraction qui nourrissent toute l’œuvre Jean-Baptiste Huynh.
Redonner une fonction cosmique aux objets
Autres recherches visuelles et métaphysiques, le photographe s’est inspiré de certains objets, bol à thé ou miroir, puisés dans le fond du Musée Guimet qu’il détourne de leur fonction première pour leur redonner une dimension cosmique, où précise-t-il « on a l’impression qu’il est en apesanteur dans l’espace. Le miroir m’a toujours inspiré. C’est l’objet de la connaissance de soi, mais aussi celui qui nous permet de connaître l’infiniment loin grâce aux télescopes et l’infiniment petit avec les microscopes. » Le bol à thé devient une constellation, réaffirmant l’importance du cercle, symbole de l’infini dans une œuvre visuelle si cohérente qui, à chaque image, invite à la méditation.
Changement de cap, après l’Asie, le Kenya
En 2020, Jean-Baptiste Huynh s’est passionné pour l’esthétique des rites ancestraux des tribus du Kenya. Son départ chez les Massaï, les Samburu et les Turkana est imminent. Nul doute, comme pour ses précédentes incursions photographiques, qu’il en esquisse une identité authentique, à travers les visages, le sens des coiffures et des maquillages, des rites et des cérémonies, la végétation et les objets emblématiques, associant tout un univers humain minéral, végétal et animal. … Ce sera la matière d’un 16ème ouvrage et d’expositions et le creuset de ce qu’il y a de plus persistant dans la culture humaine, la beauté.
Pour suivre Jean-Baptiste Huynh
Son (nouveau) site
Représenté par la Galerie Lelong en France :
A lire : Infinis d’Asie, édité chez Skira, 2019, 190 p. 49€
120 images dont 92 présentées lors de l’exposition Musée national des arts asiatiques-Guimet (Mnaag) en 2019.
Les contributions sont signées de Sophie Makariou, Présidente du Musée national des arts asiatiques – Guimet, Maria Morris Hambourg, Commissaire indépendante – Fondatrice et ex-conservatrice du Département photographie du Metropolitan Museum of Art (MET), New York et Gabriel Bauret, Auteur, expert et commissaire d’expositions photographiques.
A écouter : entretien mené par Jérôme Neutres co-commissaire de l’exposition RMN de 2017
Une absence incompréhensible à l’exposition « Noir & Blanc : une esthétique
de la photographie. Collection de la Bibliothèque nationale de France »
du 16 décembre 2020 au 1er février, Grand Palais.
Alors que plus de 200 photographes de plus de 30 nationalités sont représentés « pour avoir concentré et systématisé leur création artistique en noir et blanc, et en avoir expérimenté toutes les possibilités et les limites » selon les trois commissaires, Jean-Baptiste Huynh qui a dédié plus de 30 ans à cette exigence ne figure pas dans ce parcours qui veut embrasser 150 ans d’histoire de la photographie noir et blanc, depuis ses origines au XIXe siècle jusqu’à la création contemporaine. Curieux parti pris !
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