Culture

La Factory Avignon de Laurent Rochut engage 28 spectacles au Off d'Avignon

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 10 juin 2022

Depuis 2015, Laurent Rochut revendique la Factory Avignon comme « une fabrique d’Art Vivant.» Ses multiples dynamiques associent un « pool pluridisciplinaire créatif toute l’année » de trois scènes : Théâtre de l’Oulle, Salle Tomasi et la Chapelle des Antonins. Le directeur cofondateur en dit plus à Singulars sur ce creuset prêt à accueillir 28 spectacles pour le Festival Off d’Avignon (du 7 au 30 juillet 22).

« Creuset collectif » ou « incubateur d’art vivant » la Factory recoupe plusieurs dynamiques créatives, comment définissez-vous l’ambition de la Factory Avignon ?

Laurent Rochut, fondateur et directeur de la Factory Avignon Photo Agatha Moore

Laurent Rochut . La Factory, comme quelques trop rares autres acteurs du Off, a développé un projet de soutien de la création des arts vivants tout au long de l’année. Le Festival Off a permis de doter le territoire d’Avignon d’un nombre conséquent de théâtres en ordre de marche qui sont sans vocation tout le reste de l’année. Ce ne sont pas les volontés qui manquent mais sans doute une vision ambitieuse pour le territoire du Grand Avignon de ce que pourrait être un incubateur d’Art Vivant impliquant des dizaines de salles toute l’année.
Avec La Factory, j’ai démontré, je pense, en presque sept ans, que les besoins étaient immenses, partout en France, d’une telle infrastructure.
En effet, dès la seconde année, c’est presque 30 companies de toute la France qui sont venues occuper les 40 semaines de résidence que nous mettons à leur disposition.

En quoi estimez-vous que La Factory est pionnière dans la production des Arts Vivants ?

Pionnière est exagéré, d’autres lieux avant nous ont accueilli des résidences, mais nous l’avons fait avec très peu, trop peu d’argent public. Nous réinvestissons des revenus du festival Off depuis notre création pour démontrer que le besoin est là. Maintenant, pour passer à la dimension d’une véritable filière, nous aurons besoin de la puissance publique. Que le ministère et les tutelles s’emparent de cet outil qui sommeille pour en faire un dispositif unique.

De septembre à juin, des dizaines de compagnies pourraient venir créer à Avignon et Avignon devenir une Victorine du théâtre, attirant peu à peu tous les artisanats des Arts Vivants et des sociétés de production qui auraient tout intérêt de travailler à la source de la création.

Pourquoi estimez-vous important de valoriser une signature commune pour trois lieux de spectacles distincts ?

Parce que nos trois lieux conjuguent une même ambition. Un soutien indéfectible à la création et notamment à l’émergence. Nous n’avons pas additionné les lieux par principe d’accumulation mais par complémentarité. Le théâtre de l’Oulle, avec un plateau grand format et une jauge de 200 places, est dédié aux scénographies ambitieuses avec des accueils et une programmation pluridisciplinaire. La salle Tomasi est dans l’année le lieu d’accompagnement de compagnies locales en cours de développement. Pendant le Off c’est le lieu de programmation de compagnies confirmées sur les écritures contemporaines. La chapelle des Antonins soutient des compagnies émergentes qui défendent elles aussi des auteurs contemporains.

Dans une programmation active toute l’année, pourquoi le Festival Off d’Avignon constitue une étape importante ?

Dans la trentaine de spectacles programmés, quels sont ceux qui incarnent à vos yeux la quintessence de la Factory ? Plus nous mettrons la ville en activité toute l’année autour de la création théâtrale, plus le Festival gagnera en légitimité en devenant le point d’orgue d’une saison rythmée par des temps forts de création. Le Festival d’Avignon doit sortir de cette image de parcours obligé qu’il a parfois. Avignon doit devenir le compagnon de route incontournable des compagnies et juillet le moment d’un aboutissement.

Ne comptez par sur moi pour dire que dans 28 spectacles accueillis j’auraient des favoris. Chaque spectacle programmé est le fruit d’un choix longuement muri. Programmer un spectacle c’est décider de le montrer, essayer de rendre communicative la passion qu’il nous inspire, les émotions qu’il a procurées. Nous accueillons cette année des textes forts, des mises en scènes exigeantes et des distributions bouleversantes. Côté émergence, la chapelle des Antonins notamment met la lumière sur des compagnies qui compteront à l’avenir. Une jeunesse formidable prend la parole sur des sujets sociétaux qui sont au cœur de son avenir.
C’est très rassurant sur l’avenir des arts vivants.

Maintenant il y a des spectacles symboles
parce qu’ils représentent l’engagement que nous mettons à construire toute l’année
un compagnonnage avec les cies.

Fantasio et Caligula sont nés à La Factory fin 2019, au terme de 3 semaines de résidences dans nos murs. Surexposition(s), La folle de Chaillot et La revanche de Viviane Rose sont aussi venus faire des étapes de création à La Factory. J’ambitionne évidemment qu’à terme, tous les spectacles que nous programmerons aient pris naissance en partie dans un accueil en résidence dans l’année.

Chaque spectacle de notre programme est un choix,
engagé, vigoureux et déterminé.

Le carnet de lecture de Laurent Rochut, auteur de Peine perdue, roman, aux éditions Phébus,

Jean-Edern Hallier. L’évangile du Fou. Demander à un écrivain ce qu’il lit est une épreuve vertigineuse. Comme Aragon, je pense qu’un grand écrivain est d’abord un grand lecteur, autant dire que nos bibliothèques sont les antichambres de nos vies et que chaque livre vaut un souvenir vécu. Je vais donc vous proposer des livres qui méritent de reprendre la lumière plutôt que faire étalage des classiques qui me constituent. Donc, Hallier et avec lui, comme autant de mousquetaires, tous les hussards, qui sont mes grands frères de littératures. Nimier, Jacques Laurent, Déon, Blondin… Hallier. Des oiseaux de bonne augure, les derniers stylistes quand la littérature des éditions de Minuit se mettait au buffet froid. J’ai découvert Hallier et l’évangile du fou à 16 ans. Jérôme Garcin animait une émission littéraire qui s’appelait Boite aux lettres. Je suis tombé dessus presque par hasard et Jean-Edern, en cosaque ivre de son lyrisme m’a tout de suite séduit. Je me suis dit immédiatement que je serai écrivain plus tard. Ecrivain de cette trempe-là. J’ai rejoint en 1989 l’équipe de L’Idiot International pendant 3 ans. 3 années merveilleuses qui furent ma guerre des boutons.

Les 2 étendards, de Lucien Rebatet.  Rendu inaudible par ses années de collaboration, Lucien Rebatet a publié en 1952, chez Gallimard, un roman magistral. Empruntant son titre aux exercices spirituels d’Ignace de Loyola, Les deux étendards raconte la rivalité amoureuse entre deux amis — Régis Lanthelme, qui se destine à la prêtrise dans la Société de Jésus et Michel Croz, agnostique virulent (le double de Rebatet) — amoureux de la même jeune fille. Le livre est une peinture sans concession de la bourgeoisie lyonnaise des années 1920 et vibre de l’exaltation et de l’exigence d’une jeunesse qui aspire à respirer en altitude.

La vie comme une fête, de Marcel Jouhandeau. Mettre un coup de projecteur sur Jouhandeau. Il fait partie de la lignée des écrivains qui s’extirpent par la poésie et le style de la pesanteur. Partant du principe que la gravité fait le bonheur des imbéciles, il écrit à rebours de ce bonheur là. Avec lui, j’aurais pu citer Jean Cocteau, Radiguet ou dans nos contemporains Benoît Duteurtre, Christian Laborde, Arnaud Leguern… Dans La vie comme une fête, Régine Deforges passe à la question Marcel Jouhandeau, l’auteur aux 120 livres, et c’est une rare leçon de littérature et de légèreté, avec une science du paradoxe qu’il exprimait déjà en 1939 dans De l’abjection : « Rien ne rend plus léger parfois qu’une certaine horreur de soi. » On peut lire aussi de Jouhandeau 3 crimes rituels, le récit au cordeau de son expérience de juré d’assises.

Cet exercice est cruel.
Je n’aurais pas dit tout ce que ma formation intellectuelle doit aux essais de Bernanos, que L’enfant de Jules Vallès est le livre que j’aurai le plus relu, ma passion pour les journaux d’écrivains, notamment celui de Paul Léautaud, mon goût pour les grands pamphlétaires, Léon Bloy, Léon Daudet
Quant aux autres arts, je tiens à glisser entre ces lignes tout le bien que je pense du cinéma d’Emir Kusturica, un goût prononcé pour les musiques du monde, qui sont déjà d’immenses voyages, et citer quelques peintres que je ne me lasse pas d’admirer : Georges Rouault, Egon Schiele, Otto Dix, Chaïm Soutine
Dire enfin que Joann Sfar ne me déçoit jamais et que Mike Tyson m’aura donné les meilleures leçons de style.

En savoir plus sur La Factory Avignon

Suivre les programmations de La Factory Avignon, « pool » de scènes, actif tout au long de l’année, regroupe à ce jour 3 sites de création :

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