Culture
La peinture à ramifications encyclopédiques de la plasticienne Hélène Delprat
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 28 octobre 2020
[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Non sans paradoxe, puisque toutes ses tentatives pluridisciplinaires la ramènent sur la peinture, la plasticienne Hélène Delprat ne cesse d’en interroger les ramifications et la finalité. Au point d’affirmer avec son goût de la provocation « Je déteste mes peintures » titre de son exposition à la galerie Christophe Gaillard jusqu’au 17 novembre 2020.
Nous sommes faits de bric-à-brac
« Nous sommes faits de bric-à-brac qu’on ne connait pas forcément » confie Hélène Delprat, dans un de ses éclats de rire dont elle est coutumière. Née en 1957 à Amiens, la plasticienne vit et travaille à Paris est pourtant plus grave qu’elle ne le laisse paraître. Son solide sens de l’ironie n’a pas de temps à perdre pour chercher à séduire quiconque. Mais, cette posture ne cache aucun ego déplacé. Elle n’aime pas les visites d’atelier persuadée que les visiteurs vont s’ennuyer dans son work in process.
Exigence, curiosité et liberté
Exigence, curiosité et liberté : ces mots résument bien un parcours qui semblait balisé. Après les Beaux-Arts et deux ans à la Villa Médicis, la prestigieuse galerie Maeght la représente. En 1995, elle n’hésite pas à la quitter après dix ans de collaboration. « J’ai commencé à m’ennuyer. A 26 ans j’avais l’impression d’avoir l’âge de Calder et d’appartenir à une famille qui parlait d’avantage aux morts qu’aux vivants ». Assoiffée de savoirs, elle s’est isolée pour travailler sans aucune envie d’exposer. Comment son galeriste Christophe Gaillard l’a-t-elle convaincue de changer d’avis ? « Il ne s’agissait pas de revenir aux expositions mais d’avoir un interlocuteur, un vrai. Alors tout est devenu plus simple, moins tendu et surtout plus amusant » confie-t-elle à Singulars en mentionnant que c’est aussi lui qui l’a réconciliée avec la peinture.
Faire un truc par jour
Ce recul sabbatique lui a permis de tenter de nombreuses formes d’expression ; la scénographie, l’écriture avec un blog Days, faire un truc par jour, le cinéma (avec une série de films courts)… Même la radio, elle réalise pour France Culture Surpris par la nuit aux ateliers de Création Radiophonique.
Au travers de cette pratique quotidienne pluridisciplinaire, elle construit une sorte de ‘Livre d’Heures’ où se mêlent fiction et documentaires, au fil des hasard et des nécessités… constituant ce qu’elle appelle son « Fatras ». Même si le mot un peu péjoratif traduit bien sa démarche. Pour elle, il ne signifie pas un chaos confus et hétéroclite, mais une forme très poétique qui mêle sens et non-sens.
D’autant que l’origine de « fatras » viendrait d’ un des premiers poèmes de ‘non-sens’ datant du Moyen Âge. A l’époque, il n’y avait pas de frontière cartésienne entre l’absurde et l’impossible.
Risquer, échouer, se contenter de faire
Ce recul nécessaire fut aussi l’occasion d’enseigner à l’école de Cergy avec un cours appelé ‘Représentation’ : « Un truc qui traitait plutôt d’écriture et de mise en scène. Cela ne voulait être ni du théâtre ni de la performance. On apprenait en même temps » se rappelle Hélène.
Ensuite, elle rejoint comme professeur les Beaux-Arts de Paris, qui l’avait formé, avec un cours de dessin qui s’appelait ‘Les explorateurs, les inventeurs’. Le dessin est investi comme pensée et non comme virtuosité. « C’est vraiment bien de rester en contact avec des gens très jeunes. Je ne parle pas de moi, je regarde, j’écoute, je vouvoie, j’essaye de leur faire prendre des chemins parfois contraignants, de les inciter au risque, au ratage. Tenter, risquer, échouer, on connait ce que disait Beckett à ce sujet » nous dit-elle en citant encore une lettre envoyée par Sol Lewitt (1928-2007) à Eva Hesse (1936-1970) en 1965 : «…. arrête de geindre, vas-y fonce… cesse un peu de penser, de t’inquiéter, de te méfier, de douter…. Arrête et contente-toi de FAIRE ! »
Un appétit encyclopédique jamais rassasié
Doté d’un appétit encyclopédique quasi cannibale, sa curiosité ne semble jamais être rassasiée. La suivre, c’est plonger et se perdre dans le défrichage de ses mondes aux références abyssales. Ses œuvres peuvent aussi bien investir le legs de Jules Maciet (1846-1911) près de 2400 œuvres qui s’étend du Moyen Âge au XIXe siècle … les mystères d’un certain Grégory Arkadin, étourdissant dandy rendu célèbre par Orson Welles… ou nous plonger dans les contes persans du XVIème siècle avec les histoires des Trois Princes de Serendip publiés par le vénitien Michele Tramezzino en 1557 (traduction chez Thierry Marchaise)… Ses pirouettes cultivent une gourmandise pour les pistes buissonnières.
Un sens très personnel de la sérendipité
Vous êtes déjà perdu par ce début d’inventaire ? Pas étonnant ! L’art et les expositions montées comme un film sont le règne du fantastique et de l’extravagance rebondissant sur des surprises souvent impénétrables et démesurées. La plasticienne vous entraîne dans son ‘train fantôme’ : « C’est l’inconnu qui fait peur », répétait une voix au début de l’exposition « I dit it my way’ à la Maison Rouge. Mais, rassurez-vous, souvent la mélodie de chansons populaires vient apporter un peu de légèreté à ses expositions théâtrales. Même si les excès et la transgression à la manière de Dada ou des surréalistes l’intéressent, elle ne craint pas de jouer sur les canons de la laideur : « Le monde enchanté, ce n’est pas mon histoire » affirme-t-elle. Pour rajouter pour ceux qui n’auraient pas compris « la réalité ne me plait pas ».
« Je déteste mes peintures » : auto critique, manifeste ou constat clinique ?
Le titre de son exposition à la galerie Christophe Gaillard » jusqu’au 17 novembre 2020 joue volontairement la provocation des genres. Et ce n’est pas une posture. Labellisée comme ‘peintre’ à ses débuts, Hélène Delprat s’est convaincue que la peinture est une guerre perdue d’avance. Au point de se présenter depuis les années 2000, comme « Ex-peintre Français ». Un des titres marquant d’une de ses œuvres s’attaquait même aux icônes sacrées en s’intitulant « Je n’aime pas tellement Guernica ». Elle réalisait alors de petites gouaches où on lisait : « Où est la peinture ? (OELP) It must be this Way », ou encore « Râté ». Comment ne pas peindre tout en peignant, l’insondable paradoxe de l’artiste !
Une peinture « à ramifications »
Ni les films, ni les scénographies, ni les émissions de radio en effet ne la satisfont vraiment. Tout au contraire contribue à mettre en « œuvre » : livres, paysages, conversations, les images, le cinéma, la marche, les choses les plus insignifiantes… pour devenir une « peintre à ramifications ». En arrivant sur son site la première image qui s’affiche est un néon rouge écrivant « non coupable ». Le doute, voir culpabilité ? qui l’ habite donne l’impression qu’elle s’accuse de ne savoir – malgré sa boulimie – résoudre son dilemme. Nous, lui donnerions bien volontiers un acquittement pour circonstances atténuantes compte tenu de ses travaux d’intérêt public ? Mais celle qui déclare dans un entretien sur France Culture le 27 octobre : « J’essaie de transmettre la nécessité de déborder, la nécessité de l’excès, la nécessité de l’échec, la nécessité du risque. Ne pas se répéter ou se répéter, mais la nécessité de ne pas forcément se reconnaître. »
Va-t-elle aimer un tel verdict ?
Hélène Delprat expo I hate my paintings Photo © Rebecca Fanuele
Pour suivre Hélène Delprat
Sa galerie Christophe Gaillard
Expositions
- I hate my paintings/ Je déteste mes peintures, jusqu’au 17 novembre 2020. Galerie Gaillard,5 rue Chapon, 75003 Paris.
- UNTITLED 2020, PUNTA DELLA DOGANA , Venise , Exposition collective.
A écouter :
Partager