L’Art du livre (Citadelles Mazenod) permet les Mondes illustrés (La Martinière)
Du physique au symbolique.
Le livre naît quand un texte écrit rencontre un support souple et cohérent, sélectionné, manufacturé et mis en forme pour servir à sa lecture, à sa reproduction, à sa circulation et à sa conservation.
Yann Sordet, dans Histoire du livre et de l’édition (Albin Michel)
Le monumental L’Art du livre, constitue de cette rencontre créative à la fois une somptueuse illustration (avec plus de 662 images) et une stimulante perspective civilisationnelle ; au nuage informatique que le réduit à un contenu, la métamorphose du livre en œuvre d’art lui confère une aura symbolique qu’aucun pixel ne peut remplacer.
Le livre est cette « espèce d’espace », cette scène éclairée où tout fait sens, où tout geste de pensée s’offre à la lecture. Il est cette forme qui garde la mémoire d’un texte disparu, laissant affleurer parfois les vestiges d’un divin palimpseste.
Michel Melot et Anne Zali, L’art du livre
Au dématérialisé, lisse et froid, de la tablette, restera la sensualité du toucher, l’odeur de la reluire et la linéarité de l’effeuillage, comme en témoigne ces « Mondes Illustrés » de nos livres jeunesses d’hier et d’aujourd’hui : « Il n’en finit pas de jouer avec ses multiples corps, intarissable dans son énergie. »
Du support d’idées, à la sensualité de la prise en mains
C’est dans un souffle que le livre vient jusqu’à nous. Nomade, il semble prendre, au hasard de ses voyages, la couleur et le goût de tout, accueillir dans ses pages la totalité des points de vue. À l’instar du miroir de Dionysos, où le dieu contemplant son visage contemplait aussi, dans une même embrassée de regard, la totalité du naître/vivre/mourir le livre est cet étrange objet entre nos mains qui fait sonner le monde pour lui prêter à chaque fois un visage qui nous ressemble.
Bien plus qu’une technique d’assemblage – sans cesse peaufinée – les aventures matérielles du livre – du codex succédant au rouleau, puis à la Bible de Gutenberg vers 1455), et l’imprimerie, qui en a démultiplié la diffusion – racontent notre « culture visuelle (qui) se met en place au service de la lisibilité et consacre peu à peu le règne de l’image organisant de mille et une manières la mise en scène du discours avant de conquérir son autonomie et de se faire elle-même discours à part entière, tandis que de son côté le texte tend à se faire image. »
De la machine à penser à l’œuvre pensante
Si les multiples fonctions du livre habitent les deux historiens, leur fascination pour cette « forme qui fait de lui une extraordinaire «machine » à penser, à rêver, à se souvenir, à se relier, à communiquer, à échanger, mystérieusement accordée aux rythmes et aux formats de notre corps » autorise un texte aussi érudit qu’inspiré.
Car « entrer dans le livre, c’est toujours se confronter dans le temps à la mort, dans l’espace à l’étroitesse d’un corps »
Au détour de chaque page, ils vous surprennent de leur verve littéraire pour l’objet livre. Sous leur plume, cet art du livre (limité aux frontières occidentales) remonte avant même l’écriture, sur les parois des cavernes, dans la grotte de Lascaux (19 000 ans av. J.-C.) : .). « C’est là que s’élaborent les prémices d’une véritable syntaxe visuelle, dispositif organisé de signes se saisissant d’une surface pour interroger l’invisible et conjurer les forces de la mort ». Elle s’incarne en papyrus chers au scribe égyptien. Puis son existence physique se décline en parchemin, en velin, en chiffon, en papier … avant de prendre la forme de nuage informatique …
Pour les auteurs habités d’esthétique, aucun de ses supports pratiques ne peut épuiser la dimension symbolique de ce « rectangle pensant ».
Derrière le livre, il y a l’énergie d’un corps : celui du support, de ces peaux de bêtes écorchées, auxquelles se substitue, au temps des chiffonniers, «le vieux linge du corps des hommes». Derrière le livre, il y a aussi l’énergie de cet autre corps, celui du scribe ou du typographe, qui porte la lettre comme un prolongement de lui-même, puisant dans son abréviation même la force d’une expansion infinie, celle du texte et de sa combinatoire. Un corps se dépose dans la lettre, née d’une lointaine coagulation des souffles. Le livre est le théâtre d’une incarnation.
De l’objet-livre à l’œuvre d’art
De l’imaginaire livresque médiéval, où le verbe céleste est incarné dans un codex à l’encyclopédie des Lumières qui concentrent le savoir pour mieux le diffuser, l’utilité de la fonction s’efface au profit de l’imaginaire d’une œuvre esthétique, où les artistes mettent le feu littéralement en triturant ces composantes, la matérialité et des techniques (supports, reliure, caractères, illustrations, formats), du « livres à transformation » à la « performance ».
Comme si l’immensité rayonnante du Verbe venait en écumant s’abréger dans l’étroit enclos du Livre. Au commencement du livre, il y aurait ce bondissement d’un corps sauvage saisi par les rets labyrinthiques de la page, pliant sous la pression de ses bords coupants pour se soumettre à la rigidité d’un cadre. Car c’est bien la clôture qui fait de l’espace du livre un lieu à part, séparé, offert comme celui du temple antique à l’écriture et au déchiffrement des signes. L’ordre du livre se construit sur les trois lettres fatidiques du mot «FIN»
Passionnante et indispensable plongée dans la résilience d’une civilisation de l’objet livre, loin des stéréotypes sur la fin du livre-papier, qui n’a pas encore écrit son dernier mot.
Magnifique « Mondes illustrés« , de Babar au Petit Prince
Prolongement de cette irréductible dynamique du livre-œuvre d’art, les merveilles du « livre illustré » pour enfants, ou « l’album jeunesse », tel qu’on le nomme plus justement en France. Au fil des pages, chacun retrouve non sans émotion le temps où blotti contre l’épaule d’un parent, il parcourait l’un de ces livres, dont le toucher, les couleurs et les graphismes ou leurs surprises sonores ou visuelles remonte en souvenirs nostalgiques.
« Mondes Illustrés » de Leonard S. Marcus rend hommage au travail de créateurs et créatrices qui ont joué un rôle déterminant dans la part française de cette histoire, de Nathalie Parain, figure majeure du livre illustré chez Gallimard et des albums du Père Castor, à Tomi Ungerer en passant par Jean de Brunhoff, le papa du personnage Babar, ou Antoine de Saint-Exupéry, l’auteur du plus célèbre des livres illustrés, Le Petit Prince. »
Raconter cette histoire mondiale en cent et un livres permet de rendre compte de l’extraordinaire foisonnement du genre. D’autant que, pour la première fois, des artistes chinois, japonais ou encore canadiens et camerounais sont conviés dans cette histoire. En donnant à la fois des éléments du parcours créatif et un aperçu des publications les plus marquantes des illustrateurs et illustratrices retenus,
Sophie Van der Linden, Extrait de la préface.