Histoire : Sur les traces de J-S. Bach, de Gilles Cantagrel (Buchet-Chastel)
« Même si son génie est rebelle à toute description, à tout commentaire » Gilles Cantagrel est lassé des « récits légendaires » qui brouillent la réalité de J-S Bach. Celui qui inlassablement depuis un demi-siècle éclaire son oeuvre, fait une synthèse limpide des vérité(s) établies, pour permettre à chacun de mieux vivre sa musique.
Débarrasser le génie des banalités et des idées reçues.
‘Tombé dans un profond oubli’, ‘une veuve Anna Magdalena dans le dénuement le plus complet’, ‘le cinquième évangéliste’, … Inlassablement, malgré ses milliers de pages déjà écrites depuis 1984 pour faciliter l’accès à Jean Sébastien Bach, Gilles Cantagrel ne se résout toujours pas à 83 ans de laisser perdurer les « innombrables erreurs qui ont sédimenté avec le temps et contribué à élaborer des récits légendaires ». L’objet de cette ultime enquête est né, reconnait-il d’emblée « d’une lassitude de lire et d’entendre constamment répétées les mêmes banalités, idées reçues, légendes controuvées et mêmes grossières erreurs, rabâchées depuis des décennies sans la moindre source autre que des ouï-dire. »
Mais au-delà de la rigoureuse mise au point sur le savoir disponible sur Bach, c’est d’abord une synthèse du travail de (quasi) toute une vie de recherches, de pérégrinations, et de passions intellectuelles. Loin de la synthèse froide, Gilles Cantagrel nous fait vivre Bach, de son itinéraire – de Eisenach à Leipzig – aux querelles professionnelles (souvent liées à un sentiment d’iniquité), de sa réception de son vivant, à celles multiples de sa postérité. Avec toujours l’exigence de ne dire que ce qui est vérifié, pointant les parts d’ombre qui restent nombreuses à éclairer.
Les « bobards » ont la peau dure
Synthèse de l’immense littérature historique scientifique accumulée et disponible, à la Fondation Bach-Archiv, il ne faut pas moins de 440 pages (hors notes et bibliographie sélective), pour (tenter de) débarrasser le Cantor des contrevérités et brosser toute la réalité de l’homme, de son génie, de ses mystères.
Une démarche par questionnement méthodique
En 16 chapitres thématiques, ouverts par une ou des questions que peut se poser l’amateur, Gilles Cantagrel aborde tous les aspects biographiques et historiques de Bach et ses proches, sa postérité et sa réception. Méthodiquement à la manière d’un Hercule Poirot sur le terrain ou d’un Sherlock Holmes par son immense érudition du contexte historique, le musicologue répond à chaque problématique. 16 récits autonomes, écrits dans une langue accessible, où effleure l’admiration et la passion; ce qui n’empêche nullement au chercheur de revenir sur son parcours personnel voir sa relation intime, toutes les deux nourris de rencontres et de visites sur les lieux de vie du compositeur.
Difficile de tout reprendre, chacun en fonction de sa relation avec Bach y trouvera un nouvel éclairage, une nouvelle bonne raison de revenir à telle ou telle oeuvre. Les chapitres sur le caractère soi-disant irascible de Bach, sur la façon dont il vivait sa cécité, sa foi, sont presque bouleversants. La description entre autres Leipzig où Bach a séjourné de 1723 à 1750, ville moderne, pour son mode de vie et son élégance, où il aimait se promener, du foyer familial balaient le mythe de l’austérité. Chez les Bach, on aime s’amuser et plaisanter avec un gout prononcé pour le « quodlibet » proche du « cadavre exquis » surréaliste dont la forme la plus sublimée reste la dernière Variations Goldberg…
Le mur de verre déformant de l’histoire
La réussite de Cantagrel est de permettre dans une langage simple à tout mélomane de traverser le mur de verre déformant de l’histoire, de cerner les ressorts de l’œuvre, de saisir son esthétique des passions, sans omettre ses passages de « grand silence » (« lassitude et maturation »). Au plus prés du mystère de la création artistique, l’auteur du livre séminal Le Moulin et la Rivière (Fayard, 1998) sait donner envie de (mieux) l’écouter. Et offre un magnifique exemple de sobriété biographique, de démarche historique et de sincère fascination. Indispensable pour tout mélomane, fervent de Bach ou pas.