Littérature : Dictionnaire des mots manquants, en trop, et parfaits, dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet (Éd. T. Marchaisse)

Trois volumes ; 2016, 2017, 2019, 16,90€ chaque. Éditions Thierry Marchaisse

[Invitation à la serendipité] Les derniers jours de l’été sont propices pour s’interroger sur « un certain état de langue » comme l’écrit délicatement Belinda Cannone en s’appuyant sur l’une des plus denses et édifiantes aventures éditoriales collectives récentes : la trilogie des Dictionnaire des mots manquants, des mots en trop, et des mots parfaits, dirigée par Belinda Cannone et Christian Doumet. Pour chaque tome, plus d’une cinquantaine d’auteurs ont été invités à contribuer et à (se) libérer sur la force des mots.

On ne résiste pas en préambule, à citer la conclusion du mot en trop de notre contributeur Jean-Philippe Domecq : « Vacances » : « invention récente dans l’histoire humaine, ont été inventées pour nous soustraire du Vide, du Nada, où il y a de quoi rire enfin. » Savoureuse saillie au quel répond en écho le mot parfait de Belinda Cannone : « pampille » : « Son grand mérite en réalité : d’être un mot gamin qui sonne gai. » …

Ce n’est pas qu’affaire de mots

Lus ensemble comme une trilogie, les trois dictionnaires subjectifs des mots manquants, des mots en trop, et des mots parfaits se complètent et s’enrichissent mutuellement pour former un véritable laboratoire à livres ouverts de littérature. Leur juxtaposition suffit à déclencher la curiosité, l’introspection ou la méditation. Le lecteur n’est jamais déçu par chaque « nouvelle » dans lequel il s’embarque tant elle peut prendre un trajet, une forme ou un appel singulier. Car c’est bien le but assigné à la centaine d’auteurs investis par Belinda Cannone ;  « ces trois dictionnaires d’écrivains qui répondent collectivement à l’invitation de Barthes « à déchiffrer le mot littéraire (qui n’est en rien le mot courant), non comme le dictionnaire l’explicite, mais comme l’écrivain le construit. ».

Dans le secret des ateliers d’écrivains

La parole très personnelle libère de stimulantes réflexions sur les mots et un panorama kaléidoscopique des territoirs intimes auteurs qui les manient. Car la saveur de ce projet collectif tient à ce que les mots ne sont pas ici décortiqués de façon théorique, ou scolaire, même si chacun propose un index avec une liste de mots bien classés par ordre alphabétique. Mais parce qu’ils sont vécus, par des écrivains qui n’hésitent pas à questionner le principe, du manque, du trop ou du parfait.
Un exemple parmi tant d’autre, le mot en trop de Sylvie Laine, « Prospective » s’achéve par cette pique : « Un mot qui dépouille le futur de tout ce qui fait son charme et son mystère, ça ne devrait même pas exister. »

La jouissance, pas en trop

Et, leurs aveux d’impuissance (mots manquants), de réticences (mots en trop), et d’émerveillement (mots parfaits) sont jubilatoires. Tant l’excès de bonne ou mauvaise foi ou sur le manque d’exhaustivité sont bien entendu assumés, voir encouragés. Plonger au cœur des mots ne peut être que subjectif et interroge toujours l’essence même de l’écriture. Belinda Cannone résume bien cette valeur ajoutée puissance 3 : « Ecrire de la littérature, c’est fabriquer des textes en lieu et place des espaces de sens que ne recouvre aucun mot (mots manquants), c’est aussi procéder par exclusion (mots en trop) et par élection (mots parfaits) dans l’abondant vivier de la langue, de sorte qu’à la fin, une couleur et une tonalité apparaissent dans l’œuvre donnée. »

L’amour de la langue

Tant d’amour de la langue cisèle une relation forte, intime entre le lecteur et l’auteur ; le premier s’ébahi d’être invité dans l’atelier, le second, joue le jeu bienveillant en levant le voile sur sa relation aux mots. Pour une expérience littéraire et humaine qui ne prend pas une ride. « Notre rapport au monde, comme on dit, se construit à la faveur de ces prédilections et de ces aversions. » rappelle pertinemment Belinda Cannone.
Entre acte de résistance au convenu, et liberté gourmande de tacler les mots le cas échéant, le ressenti reste au fil des ans tout aussi jouissif (ouf ! le mot n’est pas en trop).

L’éditeur sait ce qu’il lui reste à faire, les sortir en un seul coffret pour les Fêtes,
par ces temps de mots valises, de mots crachés ou jettes, c’est un enjeu d’interêt public !

#OlivierOlgan