Le Bourgeois gentilhomme de Molière/Lully, Denis Podalydès/Christophe Coin (Opéra Royal de Versailles)

Jusqu’au 19 juin 2022, Opéra Royal de Versailles
Denis Podalydès (mise en scène), Christophe Coin (direction musicale), Éric Ruf (scénographie), Stéphanie Daniel (lumières), Christian Lacroix (costumes)

Depuis sa création en 2012 à Lyon, la production de Denis Podalydès, metteur en scène et Christophe Coin directeur musical est devenue mythique. A l’occasion du Mois Molière, la quintessence du divertissement populaire revient à l’Opéra Royal de Versailles jusqu’au 19 juin 2022. Déjà piquant, les ors du Château qui l’a vu naitre en 1670 lui donnent une saveur supplémentaire. A rapprocher aussi du Molière et ses Musiques spectacle par les Arts Florissants les 25 & 26 juin.

Retours aux sources de la Folle journée

Christian Lacroix a imaginé les coustumes du Bourgeois Gentilhomme de Podalydès Photo Pascal Victor

Quelle jubilation de retrouver ce Bourgeois quasiment dans son jus d’époque, même si l’Opéra royal n’existait pas à sa création en 1670 ! Les ors et stucs conviennent bien à ce spectacle en costumes et perruques du Grand siècle revisités par Christian Lacroix et instruments anciens joués par des musiciens sur scène. La mise en scène qui fuyait la mode d’une « relecture » en 2012 n’a du coup pas pris une ride : bien rodé et bien investie par une troupe en pleine maitrise du sujet, elle s’aguerrit même dans sa forme originale revendiquée de comédie ballet sur les notes de Jean-Baptiste Lully. Car la musique sur scène loin d’être un gadget, nourrie cette folie théâtrale lui donnant davantage de relief par l’ajout des ballets à tous les moments clés ; leçon de danse, sacre du Grand mamamouchi et du double mariage… L’inscription scénique des musiciens, des chanteurs et des danseurs dans le rythme incessant renforce l’unité euphorique de cette « folle journée ».

Un Jourdain naïf et loufoque

Pascal Rénéric est un Monsieur Jourdain fidèle au poste, et au comique de situation Photo Pascal Victor

Pascal Rénéric est un Monsieur Jourdain fidèle au poste, et au comique de situation.  Il ne ménage ni son énergie ni les postures les plus humiliantes pour jouer toutes les nuances du ravi qui s’émerveille de tout, s’enthousiasme du moindre savoir du moment qu’il gonfle son étoffe d’aspirant noble, prêt à croire toutes et tous pour se hisser hors de son rang dans lequel le cantonne sa famille.
Autour de lui, se fédère une formidable troupe aux rôles multiples, pour embobiner le bourgeois et entrainer le spectateur à y croire, au premier degré. Chacun a sa mesure sait en rajouter quand il faut et laisser les autres pour mieux nous faire rire :  Julien Campani (Maître de musique, Dorante), Nicolas Orlando (Maître d’armes), Jean-Noël Brouté (Maître tailleur, Covielle), Manon Combes (Nicole), Bénédicte Guilbert (Dorimène), Francis Leplay (Maître de philosophie), Leslie Menu (Lucile) sans oublier une mention spéciale à Isabelle Candelier en Madame Jourdain qui est la seule à garder les pieds sur terre…

Ce cocktail enivrant de théâtre débridée, de menuets modernisés et d’arias envoutants interprétés par Romain Champion, Cécile Grangier, Marc Labonnette, Francisco Mañalich Chanteurs accompagnés par les solistes de l’Ensemble La Révérence est bien agité par Christophe Coin qui de son instrument veille à la qualité musicale.

Une feuille de route parfaitement respectée

Le Bourgeois Gentilhomme bénéficie d’une troupe soudée et complice Photo Pascal Victor

« Célébrer la réunion des arts (de la musique, du chant, de la danse, des armes et du théâtre qui les contient tous) dans une comédie dont le protagoniste est un ignorant parfait, voilà un sujet extraordinaire : celui qui a l’argent n’y connaît rien. » jubile lui aussi Denis Podalydès dans sa note d’intention, inscrite dans le programme.

Sa réussite au fil des ans illustre une nouvelle fois dans sa quintessence tonique, le paradoxe du théâtre vivant : toujours plus intemporel dans les ors d’un opéra, toujours plus actuel dans l’unité temporel classique, toujours plus décalé grâce aux recettes très vitaminées du dessin animé : en somme le divertissement populaire, dans le sens et le lieu les plus nobles du terme.
Il est temps de courir à Versailles pour profiter de cette mise en abime d’une œuvre et d’un lieu.

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