Culture

Le Carnet de lecture de Célia Oneto Bensai, pianiste

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 novembre 2022

En écoutant Célia Oneto Bensaid, vous êtes à peu près sûr d’aborder des territoires inexplorés. La pianiste mène sa carrière en dehors des sentiers battus. Ses programmes et ses disques offrent du nouveau, que ce soit Metamorphosis mettant en résonnance Ravel, Glass et Camille Pépin, Songs of Hope qui rapproche Messiaen, Poulenc et des négrospirituals en duo avec la soprano Marie-Laure Garnier. Le spectacle Comment je suis devenue Olivia associe poésie, chorégraphie et musique (du 7 au 9 février 23, Théâtre des Feuillants de Dijon). Son dernier disque révèle la compositrice Marie Jaëll, figure centrale du récital du 13 février 23 à Salle Cortot. Autant dire qu’il faut l’écouter sans hésiter !

Chercher à provoquer une sensation de lâcher-prise chez l’auditeur
Célia Oneto Bensaid

En quelques années depuis l’ obtention de cinq prix au CNSM et le diplôme supérieur de concertiste en 2018 à l’Ecole Normale Alfred-Cortot, Célia Oneto Bensaid  trace un sillage original, dont témoigne une discographie déjà solide : l’incursion vers des compositrices méconnues (Charlotte Sohy et Rita Strohl, tout récemment Marie Jaëll) côtoie des programmes volontairement hydrides, notamment en duo avec la soprano Marie-Laure Garnier.
Chaque enregistrement sont toujours longuement muris et explicités avec précision dans le livrets  d’accompagnement. A l’écoute, son jeu puissant et cristallin réussit à « provoquer cette sensation de lâcher-prise chez l’auditeur » que la pianiste revendique dans le livret de Metamorphosis (cd NoMadMusic)

https://youtu.be/SyQzRFafU3U

L’énergie de la prise de risques

Célia Oneto Bensaid, pianiste engagée dans la découverte de répertoires méconnues Photo Caroline Doutre

Si elle se permet une telle prise de risques, guidée par ses convictions humanistes, c’est qu’elle peut s’appuyer sur une technique aérienne très maitrisée. Au fil des découvertes, et des projets hybrides comme le spectacle Comment je suis devenue Olivia qui associe poésie, chorégraphie et musique (8 décembre au Musée Guimet),  Célia Oneto Bensaid s’identifie parmi les interprètes rares qui préfèrent plutôt que de revisiter sans cesse le même répertoire d’en créer de nouveaux. Non seulement son jeu les révèle dans toutes leurs couleurs, mais elle sait aussi y mettre les mots dans ses livrets.

La musique, si elle a bien entendu un sens purement esthétique,
n’est-elle pas aussi un pont où tout un chacun pourrait se rencontrer et
se comprendre quelle que soit sa culture ?

Marie-Laure Garnier & Célia Oneto Bensaid

Songs of Hope

La mélodie française est au cœur du travail de son duo avec la soprano Marie-Laure Garnier depuis leurs débuts en 2011. Elles « adorent explorer la richesse poétique, l’exigence de ses couleurs, et de restituer le plus « simplement » possible. » Il leur semble superflu « d’en rajouter » comme elles disent joliment, tant les textes (des chefs-d’œuvre de littérature de Charles d’Orléans à Paul Éluard) sont « mis en lumière par de riches harmonies et un figuralisme puissant quasi omniprésent ».
Elles n’hésitent pas dans le « Songs of Hope » d’adopter des negro-spirituals, dans des versions arrangées qui trouvent une esthétique commune avec d’autres mélodies du répertoire classique,  « quand bien même cela paraîtrait un peu marginal pour des musiciennes classiques. »
Dans le livret elles s’en expliquent longuement avec précision et conviction : « nous avons souhaité faire dialoguer des mélodies de Francis Poulenc et Olivier Messiaen avec des negro-spirituals dont les thématiques communes sont : le sacré, l’espoir et les grandes épreuves traversées par l’homme. (…) Face à ces mélodies françaises, les negro-spirituals semblent au premier abord très éloignés. (…) Aujourd’hui, ils nous invitent à relire notre histoire collective et à nous questionner sur le monde dans lequel nous vivons.(…)
Ainsi, ces chants au style totalement hybride, à la croisée des chemins de l’humanité, sont comme un miroir de nous : une société métissée, riche de sa culture multiple.
 »

Trois univers se font écho : l’Homme et l’Art au travers de ses peintures avec Pépin ; la nature avec Ravel ;
l’Homme qui devient insecte et les grandes questions sur ce qui définit ou pas un être humain avec Glass.
Célia Oneto Bensaid

L’hybridité culturelle comme marque de fabrique

Cette modernité dans le jeu comme dans l’engagement se retrouve aussi dans Metamorphosis,  programme autour de pièces où la pianiste met en résonance : le cycle des Miroirs de Maurice Ravel, figure pionnière de l’impressionnisme musical ; la première pièce pour piano Number 1 de Camille Pépin, compositrice née en 1990 incarnant le renouveau de l’école française.  Non sans un paradoxe.

Nous passons notre temps à façonner notre son, notre « pâte sonore »,
alors que celui-là même nous échappe, se métamorphose dès lors que le musicien pose ses doigts sur son instrument.

Par extension ici, chaque pièce se métamorphose pour devenir la suivante.

Dédicataire de plusieurs œuvres de Camille Pépin, la pianiste sait aussi merveilleusement  éclairer cette recherche poussée de timbres qui la fascine : Number 1 s’inspire du travail du peintre expressionniste abstrait Jackson Pollock, et plus particulièrement de sa technique du dripping dans ses all-over. (…) Ce sont ce lyrisme, cette complexité de fils noirs enchevêtrés, la texture et la profusion de couleurs obtenues qui m’ont inspirée pour écrire cette pièce. J’ai donc imaginé le piano comme un « piano orchestre »  : à la fois utilisé comme des cloches lointaines dans l’aigu, agent de résonance (Ebow, pédales), percussif (notes répétées, timbales) ou perlé et cristallin (harpe, fines gouttelettes versées sur la toile). » …

Pianiste soliste, j’envie souvent aux chanteurs leurs grands cycles
qui racontent une histoire et proposent une évolution narrative
sur plusieurs pièces courtes.

Une traversée dantesque avec la compositrice Marie Jaëll (1846-1925)

En découvrant la partition du cycle de 18 pièces d’après une lecture de Dante, d’une compositrice (inconnue) pianiste virtuose en son temps, « qui écrit une musique diaboliquement exigeante pour l’interprète », loin de caler, Célia Oneto Bensaid se met à la dompter et en libérer le meilleur. Effaçant les difficultés techniques, elle reconnaît que cette musique l’a tout simplement « envoûtée ». Sa fascination entraine aussi l’auditeur dans une traversée musicale dantesque et initiatique, ou Liszt et Sibélius ne sont jamais loin.

« Enregistrer ce cycle, qui plus est sans le poids de tradition et d’héritage d’interprétation, avec une fraîcheur et un enthousiasme entier est un nouveau challenge qui me comble. » Quand Célia tient une belle cause, révéler toutes les dimension de Marie Jaëll, on peut compter sur elle pour ne pas s’en arrêter là :  son concerto n°1 compte parmi ses prochaines belles collaborations avec l’orchestre national Avignon-Provence sous la baguette de Debora Waldman !

Baignée dans l’art dès son enfance, Célia Oneto Bensaid n’a pas fini de nous raconter des jolies histoires  de femmes artistes, de piano, et d’humanité…. Mais pas seulement

Le Carnet de lecture de Célia Oneto Bensaid

Honoré de Balzac, La Comédie Humaine.
Toute ! Car on s’y retrouve immanquablement – les sentiments humains sont si bien décrits par Balzac – cette fresque me fascine depuis que je l’ai découverte adolescente !

Hermann Hesse, Narcisse et Goldmund.
Comment deux êtres si différents peuvent se comprendre et s’aimer malgré des vies radicalement opposées. Très inspirant et addictif !

Michel Legrand – Jacques Demy,  Les demoiselles de Rochefort
Pour le shoot de couleurs, de vitamines, de bonne humeur, les musiques géniales : la découverte de la transition chantée parlée si naturelle et le déclencheur que ça a été d’avoir envie d’appartenir à la famille des artistes, saltimbanques sur les routes « Nous voyageons de ville en ville »

https://youtu.be/wRxFwYC9_2A

Sibelius, Concerto pour violon, Christian Ferras, dir. Herbert von Karajan.
Premiers frissons et poils de ma vie.
Sensations incroyables d’un océan de sentiments qui ne peuvent pas se décrire en mots : découverte fascinante !

Barbara, Le mal de vivre.
Les chansons que j’aime écouter dans le train en tournée entre différents concerts. Écouter et laisser s’écouler les larmes, les émotions, les trop plein en l’écoutant chanter, c’est comme un câlin.

Mickael Jackson, Thriller.
Un artiste immense avec une exigence à tous niveaux incroyables et extrêmement inspirante : album mythique qui me fait danser immanquablement… je ne m’en lasserai jamais !

Lawrence Durell, Quatuor d’Alexandrie.
Une histoire unique mais plusieurs points de vue.La non-linéarité des événements. Un style qui m’a bouleversée … sans chronologie mais avec des coups de projecteurs successifs. Une œuvre qui pourrait être musicale, avec des leitmotivs. Un jour peut-être, elle sera adaptée en livret d’opéra !

Pour suivre Célia Oneto Bensaid

Le site Célia Oneto Bensaid & sa chaine youtube

Agenda

  • 18 décembre, Scène Nationale de Quimper : Concert Americanah
  • 10 janvier 23, Opéra d’Avignon : Musique de chambre avec Marie-Laure Garnier et le quatuor Hanson
  • 20 et 21 janvier, Théâtre des Lilas, Cendrillon, avec ma sœur 
  • 5 février, Philharmonie de Paris, Poème de l’amour : Berlioz, Chausson, L. Boulanger, Giraud, Ravel, avec Marie-Laure Garnier et Orchestre Français des Jeunes
  • du 7 au 9 février. Comment je suis devenue Olivia (Théâtre des Feuillants de Dijon) Deux en scène très réussi avec sa sœur Olivia Dalric sur la vocation théatrale de cette dernière.  Texte de Kevin Keiss, mise en scène Alexandre Ethève, chorégraphie Jean-Claude Gallotta et musiques de Mozart, Prokofiev, Bernstein, Letouvet (créé Saison Pianissimes. Musée Guimet)
  • du 13 février, Salle Cortot. Récital (Jaëll, Liszt et Schubert transcrit par Liszt)

Discographie

  • Marie Jaëll, Dix-Huit Pièces pour piano d’après la lecture de DanteLabel Présence compositrices 
  • Metamorphosis : Miroirs de Ravel, Metamorphosis de Glass et Number 1 de Camille Pépin.
  • Charlotte Sohy, Piano music
  • Femmes de légendes : Mel Bonis, Marie Jaëll, Rita Strohl, Charlotte Sohy, Camille Pépin.
  • American Touches : Gershwin et Bernstein, son premier album.


 Duo avec la soprano Marie-Laure Garnier 

  • Life is a Cabaret : récital autour des mélodies du XXe siècle inspirées par le jazz, le cabaret et le music-hall.
  • Songs of Hope : Les Negro Spirituals mis en miroir avec la musique sacrée de Messiaen et Poulenc.
  • Aurores boréales : mélodies de Jean Sibelius et Kaija Saariaho en suédois, finnois et français.

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