Culture
Le carnet de lecture de Claire Vigarello, romancière, Où naissent les héroïnes
Auteur : Claire Vigarello
Article publié le 21 mai 2022
Son premier roman Où naissent les héroïnes (Albin Michel) est une « comédie aussi juste psychologiquement que socialement » selon Jean-Philippe Domecq pour Singulars. Si son métier est monteuse de cinéma (Toutes les filles sont folles, Merci Papa), Claire Vigarello a toujours été une grande lectrice, et la littérature nourrie son imaginaire. Son carnet de lecture éclairent des héroïnes rayonnantes : Fermina (L’Amour au temps du choléra, Marquez), Lalla (Désert, Le Clezio), Aomamé (1Q84, Murakami) et deux héros attachants : M.Cousin (Gros-Calin, Emile Ajar), Tobie (Tobie Lolness, de Fombelle).
L’Amour au temps du choléra, Gabriel Garcia Marquez
Alors que le lecteur lui-même finit par ne plus y croire, lui intime de laisser tomber, l’obstination de Fiorentino ne flanche pas.
Mais, n’a-t-il pas raison au fond ? L’aventure de l’amour n’est-elle pas la plus belle chose à accomplir en ce monde? Le véritable amour ne rend-il pas un peu fou ? C’est un superbe roman qui nous dit que jusqu’au dernier souffle de vie, il ne faut jamais, jamais désespérer.
Désert, Jean-Marie Gustave Le Clézio
Tout ce qui est considéré comme riche en Occident ne lui parle pas, pire cela l’ennuie, cela l’effraie. Alors que l’Occident lui ouvre les portes (sa beauté fascine et elle gagne de d’argent en posant pour des magazines), elle ne rêve que d’une chose : rentrer chez elle.
Toutes mes valeurs, mes références, tout ce que je croyais savoir jusque-là était remis en cause dans ce livre. Le Clézio pose des questions fondamentales, profondes : où se trouve la véritable richesse ? Le mode de vie occidental était-il le bon ? Pourquoi notre lien avec la nature s’ était -il perdu ? Pourquoi en vient-on à déprécier ce lien originel et ne jure-t-on que par l’argent et le statut social ?
Bref, des questions qui, depuis, m’ont taraudée, et qui sont plus que jamais brûlantes aujourd’hui.
Gros-Calin, Romain Gary (Emile Ajar)
J’adore les romans que Roman Gary a écrit sous le pseudonyme d’Emile Ajar. J’ai toujours été fascinée par les facéties de cet écrivain, par l’audace avec laquelle il a su se réinventer sous un autre nom de plume.
Le héros M. Cousin a adopté un python ramené d’Afrique, mais l’animal n’est pas une bête ordinaire. Le héros le croit doué de sentiments et quand le python l’enlace (car c’est un animal tout à fait pacifique et tendre dans le roman), M. Cousin se sent aimé. Très vite, le python devient le centre de sa vie, son unique apport d’affection et bien sûr un objet de moqueries dans l’entourage de M. Cousin qui exerce le métier très sérieux de statisticien et loge dans un appartement très fonctionnel en centre-ville. A travers son python, M. Cousin résiste comme il peut à une société qui lui demande d’avoir les bons codes, les bonnes relations sociales, de gommer toute émotivité et rêverie. Mais dans l’univers dans lequel il évolue, sa sensibilité exacerbée n’intéresse personne, pire, elle fait peur.
Dans ce roman écrit en 1974, Gary s’attaque mine de rien à la solitude dans les grands ensembles urbains, à la difficulté d’être différent et revendique notre besoin d’amour trop souvent camouflé sous des costumes cravates parfaitement coupés. M. Cousin va finir par parler et ouvrir son cœur à celle qu’il convoite et peut-être laissera-t-il enfin partir son python, qui sait ?
1Q84, Hakuri Murakami (Tome 1 à 3)
Ces deux lunes, l’autre personnage principale, Aomamé, une jeune thérapeute, professeur d’art martiaux (qui effectue des missions de tueuse à gage) les voit aussi. Et on découvre peu à peu, alors que le récit alterne les points de vue des deux personnages, que Tengo et Aomamé, se sont croisés furtivement dans leur enfance, que le seul regard qu’ils ont échangé les a marqué à tout jamais. Dans leur passé fracassé et solitaire, pendant quelques secondes ils n’étaient plus seuls. Désormais un alter ego existait pour eux sur cette terre.
Les deux lunes sont -elles leurs deux cœurs qui battent à l’unisson ? Pourront-ils se rejoindre un jour, sortir de leur solitude ? On ne peut plus quitter ces deux héros.
Cette trilogie fait partie des livres qu’on ne voudrait jamais avoir fini.
Tobie Lolness, Timothée de Fombelle
Pourquoi doit-on forcément compartimenter les livres, les classer par catégorie ? Sans mes enfants, je n’aurais jamais croisé la route de Tobie et comme cela aurait été dommage ! Timothée de Fombelle invente tout un monde de petites créatures minuscules (semblables à des humains) qui loge entre les branches d’un grand chêne.
Quand on est si petits, une goutte de rosée désaltère, les insectes deviennent des monstres ou des chevaux ailés et arriver jusqu’à l’herbe fraiche depuis les branches de l’arbre est un sacré voyage ! Mais bientôt le chêne tombe aux mains d’un malotru dictateur qui a décidé que l’arbre n’était pas un être vivant et qu’on pouvait l’exploiter jusqu’à plus soif ! Les parents de Tobie, qui refusent ces nouvelles lois, clamant haut et fort que le chêne est un être à respecter, sont arrêtés, jetés en prison. Tobie parvient à s’exiler pour sauver sa peau.
Mais, notre héros si petit qu’il soit, est bien décidé à libérer l’arbre du despotisme et de la bêtise : un superbe roman d’aventure.
# Claire Vigarello, romancière


Pour suivre Claire Vigarello


Monteuse dans la vie, Claire Vigarello a signé son premier roman Photo Pascal Ito pour Albin Michel
Où naissent les héroïnes, Albin Michel, 2022, 412 p. 20.90€
« L’auteure de ce roman d’une auteure qui s’ignore a cette autre habileté de construire son thriller psychosocial sur une histoire de fichier romanesque transité par on ne sait qui pendant un bon bout de roman. Si bien que c’est le roman de l’aventure d’un roman. malades, la voici projetée dans le grand tourbillon de la médiatisation littéraire. Elle se couvre d’un pseudo d’abord, et puis, et puis, à force, elle devient sa propre héroïne, auteure en propre, et tout lui réussit. On ne vous dit comment ni jusqu’où…« Lire plus par Jean-Philippe Domecq pour Singulars.
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