Culture
Le carnet de lecture de Dimitri Naïditch, pianiste, improvisateur et compositeur
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 13 janvier 2023
Bousculant les étiquettes, Dimitri Naïditch cristallise librement la valeur ajoutée des doubles appartenances : le pianiste virtuose fusionne les accords du classique et du jazz. Après Mozart, Bach’up, Liszt est transcendé avec la même jubilation dans son SoLiszt entre improvisation, décomposition et réinvention en trio (Dinaï Records). Ce Franco-Ukrainien ne pouvait rester muet face à la tragédie de son pays. Ses Chansons sans voix au piano solo (Dinaï Records) sont un cri de soutien très personnel à ses compatriotes. Il est avec ses complices Gilles Naturel (contrebasse) et Arthur Alard (batterie) le 31 janvier 2023, 20h au Bal Blomet.
Je suis convaincu que tout est possible si, à l’origine de toute action, il y a Amour et Respect !
Pour moi, le mélange de ces deux approches, classique et jazz, est tout à fait naturel. (…)
Et si la musique classique entrait dans une nouvelle époque? En tout cas pour moi, la réponse est OUI !
Dimitri Naïditch, projet New time Classics
Un interprète co-créateur
Ayant pratiqué longtemps séparément le classique et le jazz (qu’il considère comme son « père » et sa « mère ») , Dimitri Naïditch a trouvé une nouvelle voie irrésistible en fusionnant les deux (sans avoir « à choisir »). Et avec quelle gourmandise rayonnante !
Le pianiste Franco-Ukrainien revendique haut et gaiement de revaloriser la « notion d’amusement » dans la musique classique. Cette dimension ludique et libre s’instille grâce à l’improvisation du jazz qu’il définit comme un « souffle de liberté dans les schémas stricts de l’apprentissage classique » Depuis une décennie, le pianiste virtuose aux nombreux Prix, s’attache à élargir et bousculer les frontières de la musique écrite. Et surtout de décomplexer rites, rituels et carcans. Avec respect et « amusement »
« Pourtant si présent dans les œuvres de Mozart, qui, en grand enfant qu’il est, aime jouer, dans tous les sens du terme !! » comme il l’écrit joliment dans le livret de son disque Ah vous dirai-je Mozart (Dinaï Records, 2021) pour ajouter, ce qui cristallise bien sa démarche de musicien inclassable. « Et cela m’a paru tout à fait naturel de poursuivre dans son sens ! C’est un aspect qui, à mon goût, mériterait d’être mis en évidence, bien plus que cela ne se fait dans la tradition d’interprétation classique d’aujourd’hui, devenue tellement sérieuse. »
Mettre les mains dans la musique
Jubilatoire, c’est le premier mot qui vient aux oreilles quand les notes de Dimitri Naïditch les envahissent. Sa virtuosité boostée par une imagination littéralement débordante et créative se permet tout, mais toujours dans un respect des partitions qu’il envahit : « La beauté absolue de certaines œuvres m’ont imposé une retenue dans mon approche créative, faisant ressurgir l’interprète que je suis, amoureux de l’originale. Dans ce cas, je reste proche de la structure initiale, en apportant toutefois de légères touches d’arrangement et d’improvisation… »
S’il reconnait un apport quasi charnel avec l’instrument, il se sens un peu trop serré dans le piano : » j’ai envie d’aller au-delà, diriger, de me déplacer pour exprimer et amplifier ce que j’ai envie de faire passer. Je reste respectueux de la partition quand je joue du classique. Mais j’ai envie de respecter l’esprit du compositeur, le plus difficile est cerner son âme, son intelligence. »
L’improvisation tout autant… indispensable des œuvres, elle amène aussi la vérité absolue du moment,
qui est pour moi au cœur même de l’interprétation.
Elle nous rapproche viscéralement de l’esprit de Mozart, lui-même grand improvisateur.
Mozart Dimitri Naïditch, Ah! Vous Dirai-je…
Respect et création
Son engagement en solo ou en trio vaut pour le sublime Adagio du Concerto pour piano n°23 de Mozart,
vaut aussi bien pour l’ Adagio du Concerto en Ré Mineur, BWV 974 : « Bach c’est du jazz direct »
que pour la Mephisto Waltz #1 de Lizst
Transcender Liszt entre écriture et improvisation
Si Mozart mais surtout Jean Sébastien Bach est visité depuis des décennies par les musiciens de jazz (de Jacques Loussier à Stan Getz), Liszt est beaucoup moins le sujet d’appropriation et de vivification jazzistique.
Probablement compte tenu du niveau de virtuosité technique exigée. Il faut suivre Naiditch avec ses deux complices Gilles Naturel et Arthur Alard dans ce voyage épique et proprement inouï. Plus proche de la musique contemporaine que de standard du Jazz où « les œuvres de Liszt sont revues, recomposées, réarrangées avec l’utilisation d’éléments du jazz, de la musique contemporaine et d’autres styles éventuels »
Avec un vrai travail de compositeur, et les arrangements dépotent !
D’emblée, le trio veut aller à l’essentiel, même si Liszt fait la ‘rock star’ de son temps : « La profondeur de ses aspirations allait bien au-delà de cette apparence pailletée. Tout à l’opposé de son contemporain de génie Frédéric Chopin, grand intimiste, Liszt écrivait et jouait pour être entendu par le monde entier. »
J’ai toujours été impressionné par la démesure de la projection énergétique de sa musique,
par la force qui émane de chaque note, qui semble écrite pour traverser l’espace et le temps…
Dans le but ultime de pouvoir changer le monde, de le rendre meilleur.
Dimitri Naïditch, livret de SoLizst
La liberté du musicien contemporain autant que du jazzman.
Le musicien ne cache pas ses affinités avec ses musiques mais aussi l’homme, « premier pianiste moderne » dont il apprécie la démesure : « Chaque note qu’il joue est adressé au monde entier. Et cela me parle, nous confiait-il , j’ai cette rage de communiquer à travers mes notes avec le monde. Ce qui me rapproche de lui, c’est que ce pianiste virtuose, ange et diable, séducteur et abbé en même temps, c’est sa dimension d’arrangeur, avec des milliers de transcriptions, de Beethoven à Verdi… On y retrouve les caractères du génie qui est d’aborder les extrémités, de rapprocher les contraires, pleurer et rire. Une représentation du monde dans ses contrastes. »
Je me sens aussi proche de cette quête d’absolu, de cette aspiration vers des idéaux lointains…
impossible à atteindre, et d’autant plus désirés !
Si typique de l’Art romantique, c’est dans l’œuvre de Liszt que cette quête a trouvé son expression parmi les plus abouties.
Résister à l’effacement
Ne croyez pas que Dimitri Naïditch soit isolé dans sa tour d’ivoire. Le drame vécu par ses amis sur sa terre natale le déchire. Convaincu qu’il est plus utile avec son piano pour faire exister la culture ukrainienne que certains veulent annihiler, il vient d’enregistrer à sa façon, d’émouvantes Chansons sans voix issues du gigantesque patrimoine traditionnel, quelques refrains sur plus de 600 000 chansons !
Ecoutez les, elles sont magiques.
Et exigent d’être diffusées face à une barbarie sourde !
#Olivier Olgan
Le carnet de lecture de Dimitri Naiditch
Leonid Chizhik, pianiste de jazz
Célèbre pianiste de jazz soviétique et sans doute l’un des plus grands pianistes de jazz du 20eme siècle, soliste, improvisateur.
C’est lui qui m’a donné envie de devenir un pianiste de jazz.
Je l’ai suivi pour écouter ses concerts dans différentes villes d’Union Soviétique. Un grand virtuose, il s’est spécialisé dans des concerts en solo, totalement improvisés, où le jazz, la musique classique et d’autres influences cohabitent naturellement.
Pour découvrir : Möbius strip (live à Olympia 1980) – Live à Roque D’Anthéron (DVD Naïve 2002)
Chick Corea, pianiste, compositeur.
J’ai été beaucoup influencé par sa musique dans ma jeunesse.
J’ai adoré sa capacité à mêler une approche d’un pianiste de jazz et d’un compositeur moderne, avec une palette stylistique très étendue et une approche quasi symphonique. Novateur et expérimentateur, il n’hésitait pas à mélanger synthétiseurs, voix, instruments de jazz et instruments orchestraux pour créer des mondes inconnus, fantastiques et beaux.
Pour découvrir : Music Magic – The Mad Hatter, cd 1978 – Three Quartets, cd 1981
Wolfgang Amadeus Mozart
J’écoute sa musique depuis tout petit, mais la vraie rencontre n’a pu se faire que beaucoup plus tard, quand j’étais déjà adulte. C’est la réécoute de ses concertos pour piano qui a provoqué dans mon âme une résonance d’une puissance incroyable ! Ce fut un vrai « coup de foudre » !
Et si Mozart occupe une place aussi unique dans l’Histoire de la Musique, c’est que nul autre compositeur allie la puissance d’un génie hors norme avec une âme aussi belle, aussi radieuse. Une âme d’enfant qui est restée pure et lumineuse, malgré les épreuves de la vie.
Il y a tout dans sa musique : une grâce naturelle, l’élégance d’une fleur, la tendresse des premiers rayons du soleil de printemps…
Pour découvrir : Concertos pour piano : n°19, n°23, (Andante), n°6 Si bémol majeur … par Maria João Pirez, Geza Anda, Murray Perahia, Christian Zacharias…
Claude Lelouch, réalisateur lumineux qui sublime la Vie et l’Amour.
J’ai eu de la chance de travailler pour lui à plusieurs reprises, notamment pour « Un plus Une » et pour « Chacun Sa Vie » où j’ai composé une partie de la bande originale.
J’adore cet homme pour son enthousiasme permanent et infatigable, sa créativité débordante et son regard positif et amoureux sur la vie.
Chaque rencontre avec lui est un moment exceptionnel pour moi.
Une complicité incroyable avec son compositeur attitré, Francis Lai.
Federico Fellini
Il m’a toujours surpris par ses films, si géniaux et si différentes. J’adore sa démesure, son côté fantasmagorique, son lyrisme et sa nostalgie, sa capacité de créer des personnages hauts en couleurs, grotesques mais si beaux, grâce à son regard plein d’amour, sa capacité à effacer la frontière entre réel et imaginaire…
Un duo incroyable de Fellini et Nino Rota.
Bill Evans, pianiste, compositeur.
Novateur, le plus « européen » des pianistes de jazz américains.
Impressionniste, romantique, maître incontestable d’harmonie, une belle âme, nostalgie poignante…
Une grande source d’inspiration pour moi dans ma jeunesse, et toujours !
Pour découvrir : Live at Village Vanguard, cd 1961, Affinity, cd 1979…
Alessandro Baricco
Il m’a fait une très forte impression avec son roman « Soie », dont la lecture a provoqué en moi une sensation difficilement explicable.
Roi d’invention d’histoires incroyables et d’images si poétiques !
Les romans à lire : Soie, Novecento, L’Océan mer.
Pour suivre Dimitri Naiditch
- Le site de Dimitri Naïditch
- Sa chaîne youtube montre l’étendue des terrains musicaux que le pianiste investit et enrichit
Discographie
Avec Gilles Naturel ( contrebasse) et Arthur Alard (batterie)
- SoLiszt, New Time Classics – Dinaï Records, 2022
- Ah vous dirai-je Mozart, New Time Classics – Dinaï Records, 2021
- Bach Up, New Time Classics – Dinaï Records, 2019
Piano solo Ukraine – Les Chansons sans voix (Dinaî Records extraits) : Constitué de compositions originales inspirées de la musique traditionnelle ukrainienne, ce cd constitue le cri du cœur et de résistance de l’artiste Franco-Ukrainien à son pays meurtri : « Depuis le 24 février 2022, ma vie a changé. Je me sens attaqué dans mon corps et dans mon âme. Ma seule envie aujourd’hui c’est crier, chanter, jouer, pleurer l’Ukraine. Résister à tout prix ! Je tiens à espérer qu’à travers de nombreux concerts, des CD, des témoignages, je saurai apporter mon humble contribution dans ce juste combat contre la barbarie et l’inhumanité. »
Agenda 2023
- 31 janvier, 20h, Bal Blomet, en trio avec Gilles Naturel (contrebasse) et Arthur Alard (batterie)
- 5 mars (trio) et 5 novembre (solo) Théâtre Elisabéthain, Château d’Hardelot, en Trio
- 5 août, Les Estivals de Montagne Saint-Emilion, solo
- 11 août, Basilique de Brioude, solo
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