Culture
Le carnet de musique médiévale d’Anne Ibos-Augé, musicologue.
PLAIN-CHANT MONODIQUE
Liturgical Year, Schola Gregoriana Pragensis, David Eben. Supraphon
Cet aperçu de pièces est réparti selon les temps de l’année liturgique : Avent, Nativité, Quadragésime, Pâques, Pentecôte. Quelques pièces du « temps ordinaire » complètent l’enregistrement. Réverbération modérée, phrasé souple, diction précise où prévaut la juste accentuation du latin font de l’ensemble un des meilleurs interprètes de ce répertoire.
Les tons de la musique, Ensemble Gilles Binchois, Dominique Vellard. Harmonic Records
Classés selon une approche didactique par « tons », ces quinze pièces du propre de la messe (Introït, graduel, offertoire, alleluia) issues de manuscrits des xe et xie siècles de provenances diverses reflètent la variété des traditions, notamment en matière d’ornementation. Une autre interprétation de référence de ce corpus.
HILDEGARD VON BINGEN, Symphoniae, par Sequentia. DHM
Antiennes, séquences et répons alternent avec des pièces instrumentales : pour Hildegard, les instruments de musiques inventés par les hommes devaient aussi servir à louer Dieu. Respectueuse du texte originel, l’interprétation de l’ensemble Sequentia sait ne pas céder à la tentation des bourdons et autres compléments aux monodies de cette abbesse compositrice multiple et pionnière.
HERRAD VON HOHENBURG, Hortus deliciarum, Ensemble Discantus, par Brigitte Lesne. Op. 111
Autour de quatre chants notés dans le recueil encyclopédique imaginé par Herrad von Hohenburg à la fin du xiie siècle, quelques compositions de Hildegard von Bingen et des pièces issues de manuscrits contemporains brossent un panorama de musiques de ce temps. Les restitutions modales obéissent scrupuleusement aux règles alors en vigueur.
CHANSONS LATINES
Carmina gallica. Chansons latines du xiie siècle, Diabolus in Musica, Antoine Guerber. Alpha
Pierre de Blois, Philippe le Chancelier, Hilaire d’Orléans et auteurs anonymes en chansons, séquences, planctus et rondelli, témoins de la richesse de la prosodie latine, parallèle méconnu à la lyrique des premiers troubadours. La charnière entre spirituel et profane est mince, qui englobe encore (ou déjà) parfois amour courtois et amours marial, procession et danse.
PREMIÈRES POLYPHONIES
Polyphonie aquitaine du xiie siècle (St.-Martial de Limoges), Ensemble Organum, Marcel Pérès. HM
Formule invitatoire, psaume de la Nativité, hymnes, versus, répons et proses se succèdent en larges extraits de l’office de Matines pour la fête de Noël. Les polyphonies vocales, en style de conduit note contre note ou d’organum plus mélismatique, proviennent de manuscrits constitués à Saint-Martial de Limoges, l’un des centres les plus productifs des xie et xiie siècles.
FEMMES TROUBADOURS
Cansos de trobairitz, Hespèrion XX, Jordi Savall. Virgin classics
La comtesse de Die, Carenza, la comtesse Gersenda de Sabran : figures féminines d’un monde très masculin. Si peu de chansons composées par des trobairitz nous sont parvenues avec leur musique, les tensons (dialogues) impliquant des poétesses sont plus nombreuses et rendent une part de leur place à ces « domnas » sans lesquelles la courtoisie ne serait rien.
TROUVÈRES
Trouvères. Höfische Liebeslieder aus Nordfrankreich, Sequentia, Benjamin Bagby. DHM
De Conon de Béthune à Jeannot de Lescurel en passant par Gace Brulé et Adam de la Halle, un panorama des musiques monodiques et polyphoniques entre le milieu du xiie siècle et le début du xive. Les voix sont parfois accompagnées par des instruments, en accord avec ce que livrent les textes de l’époque. Sources manuscrites et indications bibliographiques enrichissent un livret déjà très complet.
POLYPHONIES DU XIIIe SIECLE
Love’s Illusion. Music from the Montpellier Codex, Anonymus 4. HM
Le quatuor féminin propose un choix de motets témoins de la variété de ce genre caractéristique du Nord de la France au xiiie siècle. De deux à quatre voix, en latin, en langue d’oïl ou bilingues, aux textes courtois, anti-courtois ou spirituels, mêlant parfois les deux. L’interprétation, volontiers didactique, extrait certaines voix avant de les superposer.
ROMAN DE FAUVEL, Boston Camerata, Ensemble Project Ars Nova, Joel Cohen. Apex
Quelques extraits, texte et musique, de la savoureuse satire du pouvoir politique et religieux des temps de Philippe le Bel. Ce roman, dont on doit l’essentiel au chapelain d’Enguerrand de Marigny, Gervais du Bus, fut revisité par Raoul Chaillou de Pesstain, qui y inséra monodies et polyphonies en langue d’oïl et en latin, aperçu de ce qui pouvait s’entendre en ce début de xive siècle parisien.
CHANTS DE PÈLERINS
Llibre vermell de Montserrat, Ensemble Micrologus, Capella de música de Santa Maria del Mar
Copié au xive siècle à l’abbaye catalane de Montserrat, le Llibre Vermell est un recueil de compositions monodiques et polyphoniques en catalan, latin et langue d’oc destiné aux pèlerins. De styles et de genres variés, les chants témoignent d’une grande diversité musicale, des hymnes aux motets pluritextuels, ici mis en valeur par une interprétation sobre et contrastée à la fois.
GUILLAUME DE MACHAUT
Messe de Nostre Dame, Diabolus in Musica, Antoine Guerber. Alpha
Écrite autour de 1362, la Messe de Nostre Dame est la première messe cyclique entièrement composée par le même auteur. À quatre voix, elle témoigne des techniques alors en usage : style syllabique ou mélismatique, isorythmie, cadences à double sensible. L’interprétation de Diabolus in Musica, alternant la polyphonie de Machaut et une messe mariale en plain-chant, est conforme aux conditions dans lesquelles elle a pu être créée à Reims.
Le Remède de Fortune, Marc Mauillon, Pierre Hamon. Eloquentia
Avec le Remède de Fortune, Guillaume de Machaut offre un des derniers exemples de narration à insertions musicales du Moyen Âge. Il s’agit d’amour, de crainte et d’espoir, et le compositeur a choisi, pour les dire, de recourir à toutes les manières de monodies alors existantes. Cette splendide restitution, osant l’intégralité de chaque pièce, offre la pleine mesure du génie du « dernier des trouvères ».
Motets, Ensemble Musica nova. Zig-Zag Territoires
En latin, en français ou combinant les deux langues, les vingt-trois motets de Guillaume de Machaut, d’inspiration religieuse ou profane, sont représentatifs des techniques de l’ars nova. À trois ou quatre voix, ils obéissent notamment aux principes de l’isorythmie répétant des cellules rythmiques et mélodiques différentes selon les voix.
ARS SUBTILIOR
Figures of Harmony (Songs of Codex Chantilly c. 1390) Ferrara Ensemble, Crawford Young. Arcana
Ballades et rondeaux de Baude Cordier, Solage et Senleches témoignent de l’art hautement subtil du Moyen Âge finissant. Notation, rythme et mélodie se complexifient à l’extrême ; les textes poétiques riches de symboles, ouvrent la voie à l’art de la Renaissance. Quatre disques variant les interprétations tracent un parcours thématique dans un somptueux manuscrit copié dans le sud de la France, peut-être à la cour de Foix.
ARS NOVA ITALIENNE
Firenze 1350 – Un jardin médiéval florentin, Sollazzo Ensemble, Anna Danilevskaia. Ambronay
Landini, Andrea, Donato, Giovanni, Lorenzo et Paolo da Firenze, Bartolino da Padova, Vincenzo da Rimini : tels étaient les compositeurs qu’un Florentin du xive siècle pouvait entendre, chanter, jouer, (ré)interpréter à sa guise. Promenade particulièrement attachante (et rigoureusement documentée) dans un univers dont la diversité ne cesse de surprendre.
MOYEN ÂGE TARDIF
Ma dame, tresgente et belle, Diabolus in Musica, Nicolas Sansarlat. Bayard Musique
Florilège de musiques du Moyen Âge tardif et de la première Renaissance, d’après six chansonniers dits « du Val-de-Loire ». Versions vocales ou instrumentales – selon la tradition alors en vogue –, quelques-unes développant des diminutions selon les principes énoncés par le théoricien Tinctoris.
En prime, un véritable « livre » richement illustré aide à mieux percevoir les enjeux historiques de ces compositions.
EUROPE CENTRALE
La Vision de Tondal, Ensemble Dialogos, Katarina Livljanić. Arcana
Reconstruction musicale passionnante et passionnée de la « vision » du moine Tondal à partir de manuscrits dalmates. Écrit en latin au xiie siècle par un moine irlandais nommé Marcus, le texte fut transmis et traduite dans de nombreuses langues d’Europe médiévale. Des deux versions croates parvenues jusqu’à nous, l’une était dédié à une communauté bénédictine de femmes de la côte dalmate.
Heretical Angels, Ensemble Dialogos, Katarina Livljanić. Arcana
Beau projet issu de la diversité des coutumes, des langues et des cultes religieux de la Bosnie médiévale. Mélodies funéraires, invocations, chants d’exorcisme ou d’excommunication se mêlent à des extraits de l’Apocalypse, des méditations sur la création du monde et des prières. Émaillant le discours, les textes inscrits sur des pierres tombales sont interprétés selon l’ancien chant ganga calqué sur le souffle vocal.
Anthologie faite par Anne Ibos-Augé le 15 mars 2024
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Pour aller plus loin sur la musique au Moyen-Age
A lire :
Dix idées reçues sur le Moyen-Age, Martin Aurell, Champs 2023
Les femmes et la musique au Moyen-Age, Anne Ibos-Augé, Le Cerf 2024
La musique au Moyen-Age en 10 dates
- 387-391 : Saint Augustin écrit le De Musica.
- 799 : Paulin, évêque d’Aquilée, compose le premier planctus profane : Mecum timavi saxa pour célébrer la mort du duc Eric de Frioul,
- ca 895 : Le traité Musica enchiriadis, attribué à Ogierde Laon propose les premiers exemples notés de polyphonie.
- 1098 : naissance d’Hildegard von Bingen à Bermersheim vor der Höhe.
- ca 1130 : Début de l’activité de Bernart de Ventadour, un des plus célèbres troubadours occitans.
- ca 1180 : Léonin compose les premiers organa de l’école de Notre-Dame
- ca 1228 : Jean Renart écrit Guillaume de Dole, premier roman à insertions musicales. Le Jeu de Robin et Marion d’Adam de la Halle est représenté à Arras.
- ca 1320 : Philippe de Vitry écrit Ars Nova, traité riche de nouveautés en tous genres : mensuration, notation, proportions.
- 1377 : Guillaume de Machaut meurt à Reims.
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