Culture

Le carnet de lecture de Dominique Guiou et Thomas Morales, romanciers à 4 mains

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 1 aout
2021

L’écriture à 4 mains est parfois casse-gueule. Avec La Dame au cabriolet (éditions Serge Safran), oubliez vos préjugés ! Et plongez-vous dans la lecture de ce « faux-polar » déjanté, écrit avec beaucoup humour et un style qui tient bien les côtes. Dominique Guiou et Thomas Morales, les deux auteurs journalistes passionnés de littérature nous confient leurs carnets de lectures particulièrement denses.

Le journaliste d’investigation mène à tout, même à Yvonne

Dominique Guiou et Thomas Morales, romanciers à 4 mains pour La Dame au cabriolet

Dominique Guiou et Thomas Morales se connaissent depuis quelques années. Passionnés de littérature, le premier a été rédacteur en chef du Figaro Littéraire désormais à la retraite à Lille, le second comme indépendant collabore à Causeur, Schnock ou au Service Littéraire. Thomas Morales écrit aussi pour la presse automobile et d’entreprise. Il est l’auteur de romans et d’essais, notamment sur l’automobile. Au-delà d’une plume active et curieuse, les deux confrères partagent le même humour.

Le plaisir de brosser une détective privée plutôt déjantée

Puis un jour l’idée de créer une détective privée plutôt déjantée les a poussés à passer à un travail à quatre mains pour un premier roman. Avec une méthode bien à eux.
Chacun a apporté sa pierre. Thomas Morales a commencé le premier jet, bâti l’ossature puis Dominique Guiou a apporté sa version et ainsi de suite. « Nous avons travaillé comme pour un mille-feuille, confie Thomas Morales, nous avions chacun un angle particulier. Et Dominique tenait à ce que le livre soit lu par le plus grand nombre, qu’il soit accessible, que les personnages ne soient pas trop abrupts. »
La réussite est au rendez-vous. Et déjà on espère une suite, qu’Yvonne devienne un personnage récurent. « Il est vrai que nous avons l’architecture et que nous pourrions décliner nos personnages ».
C’est tout le bonheur que l’on leur souhaite pour poursuivre leur duo attachant.

La Dame au cabriolet, premier enquête d’Yvonne

Yvonne, pourtant quadragénaire malgré son prénom, détective privée de son état, enquête sur la disparition d’un frère, puis d’un mari volage. Affaires banales à première vue, mais elle va vite se retrouver au cœur d’un gang de gitans avec une mallette pleines de billets, des truandes et des escrocs à la pelle, se ressourcer en Sologne dans les bras d’un restaurateur, le tout au volant d’un cabriolet Saab jaune poussin qui bat de l’aile.
Roman d’été qui ne se prend pas au sérieux. La lecture facile (c’est un compliment) de La Dame au cabriolet est un moment de récréation propice en ces temps incertains.

Carnet de lecture de Dominique Guiou, ex-rédacteur en chef du Figaro Littéraire.

[Avertissement de l’auteur] Ma réponse n’entre pas dans le cadre demandé… Je vous propose ce texte, reflet de mon état d’esprit actuel concernant la lecture en général, et mes préférences littéraires en particulier.

Je revendique une palette très variée d’admirations, loin des écoles, des genres, des courants. Proust, Giraudoux, Larbaud, Queneau, Claudel, Pagnol, Perec… Voilà les noms qui me viennent à l’esprit, dans le désordre, et pour ne citer que les géants de langue française du XXe siècle.
Mais j’admire aussi de nombreux écrivains moins intimidants.
La liste est évidemment impossible à établir, elle serait trop longue…  Je parle ici des oeuvres qui trouvent leur place dans les anthologies, dans les « Histoires de la littérature », je parle de ces livres nobles qui font l’objet d’études savantes et de recensions dans les revues littéraires. Je parle de cette littérature de type « collection blanche de Gallimard » que j’ai lue finalement tout au long de ma vie professionnelle.
Mais voilà… A 60 ans, quand j’ai quitté le grand quotidien dans lequel je rendais compte de l’actualité littéraire, j’ai découvert une autre littérature.
Cette découverte, je la dois à Thomas Morales qui m’a fait notamment lire Léo Malet, l’un de ses grands auteurs. Cette lecture fut une espèce de révélation. De nouvelles perspectives s’ouvraient. On pouvait être un prodigieux créateur, un styliste hors pair, et oser ce titre : Pas de bavards à la Muette. On pouvait aussi lâcher ce type de tirade : « Six heures venaient de sonner. Dix-huit heures, en dialecte d’horloge parlante. Apéro, en langage civilisé. »
Bref, on pouvait être écrivain et rigoler un bon coup.

Carnet de lecture de Thomas Morales, journaliste et écrivain indépendant

Mendiants et orgueilleux d’Albert Cossery – éditions Joelle Losfeld. Je suis un fan absolu de cet écrivain égyptien de langue française, né au Caire en 1913, proche de Henry Miller, Lawrence Durrell et Albert Camus. Figure du Saint-Germain-des-Prés des années 1950 pour son dandysme éclairé et son art de l’insoumission, il a longtemps résidé à l’hôtel « La Louisiane », rue de Seine. Dans ce roman sorti en 1955, on suit les aventures de Gohar, ex-philosophe devenu mendiant dans la misère et l’infamie des quartiers pauvres. Chez d’autres écrivains consensuels et peu inspirés, ce serait le terreau d’une histoire édifiante pleine de larmes et de lamentations. Une leçon de bonté. Une démonstration d’humanisme dégoulinant. Cossery évite cet écueil. Ce prodigieux conteur, dans une très belle langue académique, classique sans être asphyxiante, fait du petit peuple du Caire, une cour des miracles. Les éclopés deviennent des princes et nous narguent. Les valeurs sont inversées. C’est révolutionnaire, inspirant et prodigieusement drôle. 

Le corps de mon ennemi de Félicien Marceau – éditions Gallimard. Félicien Marceau était un surdoué, à l’aise aussi bien dans l’étude littéraire, le théâtre, le roman d’amour et ici dans la machination à rebours. C’est l’histoire d’une vengeance sociale, d’une nécessaire réparation. Une description abyssale des grands industriels d’avant les délocalisations, ces rois du textile ou du plastique qui régnaient sur des régions entières, qui faisaient la Culture et le sport. Leur pouvoir démiurgique sur les Hommes était fascinant. Il était souvent accompagné de compromissions politiques terribles. Marceau décrit délicieusement cet entre-soi satisfait et repu. Les rouages du vice. Au milieu de ce système huilé, l’écrivain place un homme qui n’a plus rien à perdre. Son héros va, à sa manière, déconstruire le piège qu’on lui avait tendu, quelques années auparavant. La langue de celui qui fut académicien et prix Goncourt 1969 avec « Creezy » est d’une sécheresse réjouissante. Les phrases sont serrées, quasi-apnéiques, la narration vive, sans temps mort, sans compromis ce qui procure au lecteur, une délectable rythmique de la vengeance.  

Les biffins de Gonesse de Jacque Perret – Folio. Un bon livre, pour moi, c’est d’abord un livre porté par un style. Les histoires, c’est finalement assez anecdotique. Tout le monde en a, plus ou moins intéressantes. La littérature se joue sur le terrain des mots. La force d’une écriture, son vibrato et ce que j’appelle son onde nostalgique sont essentielles à la réussite d’un projet littéraire. Si le roman ne se définit pas dès les premières lignes par une certaine percussion des mots. Je lâche immédiatement l’affaire. Avec Jacques Perret, nous sommes devant un immense styliste qu’il écrive sur la mer ou ici, sur les dérives folkloriques d’anciens combattants à la recherche d’un hypothétique drapeau. On est saisi par la précision du vocabulaire et l’agencement de sa phrase. C’est doux et révoltant, tendre et ridicule, banal et onirique. Un bon livre qui ne possède pas en lui, le décalage et la distance, donc l’effet comique ne m’intéresse pas. 

Les chasseurs I et II d’André Hardellet – L’imaginaire Gallimard. Là, on touche au sublime, peut-être le plus grand poète-écrivain méconnu du XXème siècle. Il fut vénéré en son temps par Julien Gracq. J’aime tout chez Hardellet né à Vincennes en 1911, son côté découvreur de banlieue, son érotisme épidermique, cette alliance entre les quartiers populaires et l’aristocratie des sentiments. Il est capable en observant une allée quelconque ou une impasse au pavé luisant, de vous emmener très loin, son imaginaire débridé, par nature, cavale et les images affluent. Il tord la réalité pour mieux servir la fiction, à moins que ce ne soit le contraire. C’est un alchimiste des décors urbains, un explorateur du zinc, qui écrit sur la crête des émotions. Un modèle d’audace et de tenue littéraire.

Autobiographie du Bleu de Prusse d’Ennio Flaiano – Le Promeneur. En choisissant un Italien, Ennio Flaiano, à la fois essayiste, romancier, journaliste, Prix Strega en 1947 pour son « Tempo di uccidere », auteur de théâtre et fidèle scénariste de Fellini sur « La Strada », « La Dolce Vita », « Huit et demi » et « Juliette des Esprits », je veux surtout mettre l’accent sur le métier de chroniqueur qui est le mien, sa beauté et son ingratitude. J’ai une admiration folle pour les grandes plumes de la presse écrite, cette profession a quasiment disparu aujourd’hui. Chaque jour écrire avec le matériau du quotidien et être capable d’élever le lecteur. Flaiano fut certainement l’un des plus grands chroniqueurs européens de son temps, j’aurais pu également vous citer Kléber Haedens ou Alexandre Vialatte, l’auvergnat céleste. Un bon chroniqueur, c’est celui qui ne commente pas bêtement l’actualité mais qui la fait pétiller par un regard décalé et une pointe d’ironie, de l’irrévérence aussi, de la malice et du partage. Il y avait chez Flaiano, le goût de la farce, la tentation parfois du fantastique, l’absolue méfiance des pouvoirs en place, et puis, c’était tout simplement le meilleur guide de Rome. Bien avant Nanni Moretti au cinéma, Flaiano vous fait ressentir le frisson romain, les monuments grandioses et la vie de quartier, les Vespa qui pétaradent et cette douceur de l’atmosphère qui panse toutes les blessures de l’âme. C’est la ville des renaissances.   

François Villon, Œuvres complètes, La Pléiade. Ce Pléiade ne me quitte pas. J’y reviens sans cesse. C’est mon talisman. Une vie ne suffit pas à en faire le tour, à en comprendre la force tellurique et aussi les ferments de notre écriture actuelle. Il fut avant Rabelais, le véritable défricheur de la langue française. Il avait déjà tout compris, l’émotion parlée si souvent proclamée par Céline, le tempo enchanteur et cette fluidité musicale sans laquelle la littérature ne serait que du vacarme. On pourrait dresser des ponts entre Villon et Paul Morand, une tapisserie sans fin de notre langue maniée et remaniée par des génies créateurs. 

Lire de Dominique Guiou et Thomas Morales

La Dame au cabriolet, Dominique Guiou & Thomas Morales
Serge Safran éditeur. 160p. 16,90 €. Sortie le 2 juillet.

Pour suivre Thomas Morales

Partager

Articles similaires

Trois questions à Pascal Amoyel sur Chopin, Une leçon de piano de Chopin (Ranelagh)

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Anne Cangelosi, comédienne, Le Radeau de la Méduse

Voir l'article

Une leçon avec Chopin transcende Pascal Amoyel (Théâtre du Ranelagh)

Voir l'article

Le carnet de Lecture de Caroline Rainette, auteure et comédienne, Alice Guy, Mademoiselle Cinéma

Voir l'article