Culture

Le carnet de lecture de Gautier Battistella, romancier, Chef (Grasset)

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 1er juin 2022

Roman récemment couronné par le Prix Cazes de la Brasserie Lipp, Chef de Gautier Battistella (Editions Grasset) brosse à travers le destin tragique d’un chef 3 étoiles la part d’ombres et de lumières de la starification de la gastronomie française. L’ancien critique gastronomique au Guide Michelin fait entrer le lecteur à niveau des brigades dans les coulisses de la cuisine étoilée, tout aussi fascinantes que tourmentées. Le Lauréat du Prix Jean Carmet 2022 reçoit son prix aux 26e Journées du Livre et du Vin de Saumur, les 25 et 26 juin.

Gautier Battistella, a déja signé trois romans dont Chef (Grasset) Photo JF Paga pour Grasset)

1er grand roman de la starification des chefs gastronomiques

L’idée lui est venue naturellement, sans forcer. Si l’ancien critique au Guide Michelin fréquente et connaît depuis longtemps le monde gastronomique, « restait la face intime des chefs que je n’avais pas exploré dans mes articles, la vie du chef au-delà de sa cuisine, la vie familiale, la relation avec sa brigade ; j’adore discuter avec les seconds, les chefs de partie, les commis, les informations circulent, les chefs sont ancrés dans leur cuisine mais le « petit peuple des cuisines » voyagent beaucoup de maison en maison » détaille Gautier Battistella qui n’hésite parler de la survie dans ce milieu qui fascine tant, comme ‘un sport de combat’.

L’histoire de la cuisine française depuis la Seconde Guerre mondiale.

Chef, qui plonge dans une expérience dans les lieux clos de la gastronomie, rarement toiles de fond d’un roman, Gautier Battistella l’a écrit avec gourmandise, pendant le premier confinement : « J’avais l’impression de me pencher sur un monde disparu, de faire un travail d’historien. »
Son récit quasi documentaire tant il connait son affaire ouvre sur un suicide, celui du chef Paul Renoir. Si vient le nom de Bernard Loiseau vient immédiatement à l’esprit, c’est plutôt celui du suisse Benoit Violier qui a marqué Gautier, les circonstances du drame, puis la succession où la femme a été écarté au profit du second : « Ce qui est tragique est aussi romanesque ».

Figure du metachef, le chef absolu composite

L’auteur a eu l’occasion de passer beaucoup de temps en cuisine, de vivre de l’intérieur ce monde des cuisines. « Pour Alain Ducasse, je m’étais déguisé en commis pendant trois jours, du temps de Christophe Saintagne. J’arrivais avec les légumes et partais avec les mignardises donc de 6h à 2h du matin ! Personne ne savait que j’étais journaliste. C’était formidable, mais Ducasse a trouvé trop réaliste ce que j’avais écrit ». C’est cette tension, cette énergie permanente que l’ancien du Michelin a recrée avec brio. Gautier Battistella brouille les pistes et dessine en creux et dénivelés le portrait d’un chef 3 étoiles.
A peine croit-on avoir saisi le portrait d’un chef connu, qu’un autre vient à l’esprit.
Figure du ‘metachef’, le chef absolu, Paul Renoir tient sa vocation de sa grand-mère Yvonne. Un Bocuse saupoudré de Gagnaire, pimenté avec Ducasse, « Michel Guérard m’a beaucoup inspiré également. Dans son premier restaurant, des gangsters venaient manger chez lui, posaient leurs flingues dans des casiers que le chef avait fait aménagé. Un jour, un flingue était encore tiède ! »

Entre document ethnologique et polar sombre

Par un astucieux aller-retour entre passé et présent son Paul Renoir se raconte de ses débuts à sa fin. Parallèlement, le restaurant et sa brigade, sa femme Nathalia, le second Christophe se battent pour faire perdurer le restaurant Les Promesses. Gautier Battistella croque comme un mémoraliste, et parfois tape juste et fort, il n’épargne ni ses collègues journalistes, ni le guide rouge toujours à la recherche du prochain coup médiatique. Il décrit aussi comme un entomologiste les cadences infernales, les rapports de force qui s’installent au cœur de la brigade.  Chef se lit comme un document ethnologique mais aussi comme un polar sombre où la nature humaine se révèle face aux épreuves.

Gautier Battistella retrouve la veine de son premier roman qui avait rencontré un magnifique succès, Un jeune homme prometteur où il imaginait un écrivain en herbe qui se débarrasserait physiquement de ses concurrents. L’auteur n’a pas besoin de cet artifice pour rencontrer le succès et glaner de légitimes récompenses : Prix Cazes de la Brasserie Lipp, et le Prix Jean Carmet De Chanceny – Crédit Mutuel des Journées du Livre et du Vin qui consacré l’ouvrage « original consacré aux plaisirs gourmands et au vin. » La promesse est tenue.

Le carnet de lecture de Gautier Battistella

Vendredi ou les Limbes du Pacifique, de Michel Tournier. Quelle découverte ! Quel styliste ! Michel Tournier parvient à nous faire entendre la terre battre sous nos corps. Tout est immobile, terriblement sensuel, et philosophique, alors « Autrui, pièce maîtresse de notre univers » ? Quand Robinson a le loisir de s’échapper de l’île, il préfère y demeurer.

Voyage au bout de la nuit, de Louis Ferdinand Céline. « Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. » C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute ». Alors voilà. Céline, y’a pas à tortiller, c’est un immense, un énorme. Pas forcément sympathique, hein, non, mais la grande littérature ne l’est pas. Il a été un compagnon indispensable de mes premiers écrits, et longtemps, le dimanche, par temps gris, je me suis rendu en pèlerinage à Meudon, devant sa maison, en attendant que Lucette sorte.

Crime et Châtiment, de Fédor Dostoïevski. Voilà un livre qui fait trembler, de loin, ceux qui ne l’ont pas lu et enchantent ceux qui en connaissent le génie. La littérature russe m’a toujours subjugué (je me souviens de La Fille du Capitaine de Pouchkine, que j’avais dévorée, gamin, dans la version illustrée des années 1960 ou au Maître et Marguerite, de Boulgakov). La traduction de Markowitch en Babel est remarquable : en donnant à entendre l’oralité de Dostoïevski, qui avait disparu lors des précédentes traductions pour plaire à un public français habitué aux romans classiques, Markowitch a rendu l’œuvre accessible. Et s’il fallait redire la modernité de Crime et Châtiment, il faut savoir que la série Columbo (dont le premier épisode est réalisé par Steven Spielberg) est inspiré de sa structure narrative : le spectateur suit les agissements macabres du criminel jusqu’au meurtre, le lieutenant n’apparaît qu’au milieu de l’épisode. Or, il se trouve que dans la version de Markovitch, l’inspecteur qui interroge Raskolnikov ressemble fort à Columbo, et lance son fameux « une dernière petite chose… ».

L’île au Trésor, de Stevenson. Je l’ai découverte tardivement cette île, jeune adulte. Ce livre a eu le génie de me transporter en enfance, et c’était comme si je l’avais déjà « ressenti ». Je me souviens l’avoir lu en Angleterre ; je dormais dans une pièce en sous-sol, humide, et je ressentais physiquement le ressac et le roulis. J’avais froid, j’étais immergé dans le livre. A lire accompagné d’un vieux rhum et de la bande dessinée Long John Silver (Lauffray/Dorison).

Cet exercice est terriblement frustrant.

J’aurais aimé parlé du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, du Magellan de Zweig, de Michel Strogoff, des Nouvelles Orientales de Marguerite Yourcenar, d’Eugénie Grandet de Balzac, de Cent ans de Solitude de Garcia Marquez….

Pour suivre Gautier Battistella

A lire

Partager

Articles similaires

Le carnet de lecture de Sabine André-Donnot, plasticienne

Voir l'article

Hommage de Grégory à son père, Marcel Mouloudji

Voir l'article

Le carnet de lecture de Jason Gardner, photographe, We the Spirits (Gost Books – Galerie Rachel Hardouin)

Voir l'article

Le carnet de lecture de Ludovic Roubaudi, romancier, Le Diplôme d’Octobre.

Voir l'article