Culture
Le carnet de lecture (I) de Jean-François Novelli, ténor atypique
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 17 septembre 2020
Malgré un parcours impeccable sur les grandes scènes lyriques, Jean-François Novelli casse volontiers les stéréotypes attachés au ténor, trop fier et sérieux à la fois. Au contraire, avec gourmandise, il en joue pour mieux nous épater dans son spectacle « Spectacle pour Moi le Ténor et son pianiste » le 26 septembre à Éragny sur Oise dans le cadre du Festival Baroque de Pontoise. Il nous confie son carnet de voyage littéraire et musical.
Un trublion actif et déjanté
Même s’il est bardé de tout un tas de magnifiques diplômes, lauréat du concours général, titulaire d’une Maîtrise de Musicologie en Sorbonne, Premier Prix de flûte à bec, diplômé du CNSMD de Paris en chant et jeune talent Adami, le chanteur aime jouer des codes du spectacle lyrique en général et du ténor en particulier.
Pas étonnant quand on sait que Jean-François Novelli a codirigé pendant près de 10 ans l’ensemble des Lunaisiens qui ne cesse de bousculer les ressorts de la chanson patrimoniale dans des « récital théâtral» hauts en couleurs particulièrement jouissifs ! Après la part sombre et licencieux de Jean de La Fontaine, avec « Croustilleux », le trublion lyrique a trouvé dans les Mémoires de Berlioz, qui ne ménageait pas les chanteurs une belle matière à exploiter pour un récital théatral décoiffant !
La figure du ténor, comme matière à humour
Dans la « 6e Soirée de l’orchestre, Révolution du Ténor », Berlioz croque bien évidemment « son » ténor ! « Dire que le chanteur lyrique est par essence un être capricieux et arrogant est effectivement une caricature assez convenue, mais parfois juste. glisse non sans gourmandise Novelli. Je laisse mes collègues en dire ce qu’ils en pensent. En tout cas, voilà une belle et savoureuse matière à spectacle… on trouve dans le tableau littéraire de Berlioz tous les « défauts » de la race des gens à voix : mégalomanie, goût du lucre, ego hypertrophié…, tout y passe. Le ton est juste, l’écriture fluide et l’humour assassin.
Histoire à peine fantasmée du Ténor avec un grand T
Matière à spectacle, reconnais Novelli, car oui, il retrouve à travers ce texte plusieurs plaisirs qui lui sont chers : « rendre leur humanité à nos artistes, cette part souvent oubliée par l’histoire et le temps qui n’ont de cesse de « monumentaliser » les créateurs ; redonner à voir et à entendre une part importante de l’histoire de leur vie, moins connue mais tout aussi passionnante ; enfin, ce qui est tout à fait jouissif, transmettre l’humour dont font preuve ces auteurs. Pour la musique : Rossini, Donizetti, Bizet, Niedermeyer, Jadin, Tchaïkovsky et … du Novelli aussi seront nos compositeurs et jalonneront cette histoire à peine fantasmée du Ténor avec un grand T. »
Mais surtout, évitons toute étiquette inutile, la preuve ?
Le ténor reste autant recherché par des chefs de musique baroque comme Philippe Pierlot qui le dirige dans la production d’Il ritorno d’Ulisse de Monteverdi mis en scène par William Kentridge qu’il devrait redonner au Luxembourg en 2021, qu’un chef comme Myung-whun Chung pour une Carmen de Bizet à la Fenice à Venise en novembre 2020….
Carnet de voyage littéraire et musical
Je suis dans Venise mais Venise n’est plus là.
Je suis à Venise en mars pour une production à la Fenice. Première fois dans ce théâtre mythique pour moi ! A la fois excité, curieux et pressé… J’avais sélectionné avec attention et délectation les livres qui m’accompagneraient durant mon séjour. Il s’avère de même durée mais sans Carmen, sans salle mythique et sans Myung whun chung, hélas ! C’est pour novembre 2020 parait-il…
Le temps est suspendu…
Aussi je profite totalement, pleinement, entièrement de la ville. Une ville qui se met à respirer, à reprendre son souffle, laissée pour un temps à ses habitants et à quelques oubliés dont j’ai l’extrême privilège de faire partie. Je sillonne inlassablement la cité des doges, son palais s’offre à moi (nous ne sommes pas plus de dix lors de ma visite ! ). Je fais tous les jours un tour particulier pour telle église, tel vincolo, tel piazza, tel souvenir de film, tel souvenir d’enfance…
Les bateaux à moteur sont eux même interdits à la circulation, le bruit cesse, les canaux s’éclaircissent, seuls quelques poissons viennent chahuter la surface lisse et brillante de l’eau qui reflètent les sublimes façades de cette ville dont on ne cessera jamais de dire à quel point elle est unique.
Puis le confinement se fait plus sévère, ma liberté de mouvement plus contrariée. Je suis dans Venise mais Venise n’est plus là. Fort heureusement, j’avais pris plus de livres que je ne pensais en lire.
Les jeunes filles en fleurs de Proust s’impose à moi comme une évidence, celle de faire le lien entre l’extérieur et l’intérieur. La beauté musicale de ses mots qui étirent le temps sans jamais l’essouffler se substitue à tout ce qui est autour de moi et que je ne peux plus qu’entrapercevoir.
Alexandre Dumas ensuite, dont les romans si pleins d’histoires chevaleresques aux parfums surannés me plongent toujours dans un monde de couleurs vives et fantastiques. C’est cette fois un Robin des Bois sentimental et bon.
Puis Crime et Châtiment de Dostoïevsky. N’étant pas familier de la littérature russe, je me réjouissais que ce voyage d’un mois me permette de me plonger dans ce monument littéraire. J’ai littéralement dévoré ce livre et suivi avec passion les atermoiements de Petrovitch.
Je relis également les livres de Hector Berlioz en vue de mon spectacle, Ma vie de ténor (est un roman qui m’intéresse beaucoup) que je sais donner en septembre et octobre 2020. J’avais déjà lu les soirées de l’orchestre, pierre angulaire du spectacle, les mémoires bien sûr, mais pas les Grotesques de la musique ni à travers chant, où son regard sur le chanteur est on ne peut plus critique. C’est le moins que l’on puisse dire !
Enfin, j’avais convenu de voir à Venise (car quelques scènes si passent), The young et the new Pope, séries réalisées par Paolo Sorrentino dont les films, notamment La grande Bellezza, m’ont subjugués. La qualité de la photo, l’étrangeté douce, la poésie toute italienne me ravissent littéralement.
Paris
Puis je rentre à Paris où je vis mon second confinement avec le plaisir de retrouver ma maison, mon piano et toutes mes musiques. C’est un moment passionnément musical. Sans doute le silence presque total de cette période vénitienne à comme assoupi mes oreilles. Le désir de les nourrir à nouveau s’impose.
Je réécoute avec un immense plaisir les disques qui ont accompagnés mes études de musicologie à la Sorbonne, de chant au conservatoire :
- la voix de Kiri Te Kanawa, dans Mozart, dans Strauss, dans tout… La voix des entrailles du monde pour moi, une forme d’idéal sonore et vocal.
- Les symphonies de Mahler par Inbal,
- les opéras de Puccini, les voix de Léontine Price, de Franco Corelli ;
- les lieder de Schubert par Margaret Price ou Christoph Pregardien ;
- les Passions de Bach de Philippe Hereweghe ; également et curieusement, car c’est une musique que j’ai tellement pratiquée, la musique baroque française religieuse : une joie qui regénère l’envie de continuer à la partager.
Quelques activités musicales aussi, entre confinement et déconfinement,
- une « douce France » enjouée et poétique en vidéo avec mes voisins à Saint Julien du Sault ;
- un passage à la maison de retraite du village, avec Justin, un de ces mêmes voisins, où nous chantons la sérénade tel deux Roméos pour Jules et Juliettes, nous dans la cours et les pensionnaires au balcon ;
- un enregistrement avec Fabien Armengaud, compagnon musicien claveciniste, chef de l’ensemble Sébastien Brossard et organiste à la tribune du très bel orgue renaissance de Saint Julien du Sault de 1562 pour le site de l’orgue, un des plus vieilles orgues d’Europe, à la sonorité cristalline et unique.
Pour suivre Jean-François Novelli
Prochains concerts
« Spectacle pour Moi le Ténor et son pianiste », spectacle d’après la 6ème Soirée de l’orchestre d’Hector Berlioz, intitulée « Révolution du ténor » mis en scène par Olivier Broche , Jean-François Novelli est accompagné par le pianiste Romain Vaille.
- Samedi 26 septembre, à 21h00, Théâtre de l’Usine à Éragny sur Oise, dans le cadre du Festival Baroque de Pontoise
- Jeudi 8 octobre 2020 et vendredi 9 octobre, Théâtre du Carré Amelot à La Rochelle, dans le cadre du MM Festival
et si la Covid-19 le permet, il sera Remendado dans Carmen de Bizet à la Fenice à Venise en novembre 2020, dirigé par Myung-whun Chung, projet qui devait avoir lieu en mars dernier et qui devrait être l’ouverture de saison de la Fenice.
Discographie
- Silentium (2018) dirigé par Fabien Armengaud, avec l’ensemble Sébastien de Brossard; anthologie d’œuvres pour voix de taille autour de la figure de Jean-Baptiste Matho – taille reconnue et admirée à la Chapelle royale.
Partager