Culture

Le carnet de lecture de Julien Chauvin, violoniste et chef Le Concert de la Loge

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 24 juin 2022

Révélé au Festival de Pâques de Deauville, Julien Chauvin impose son Concert de la Loge comme une formidable aiguillon à la fois à remonter le temps et à faire du concert une expérience sensuelle et exaltante. Avec gourmandise, le chef qui dirige de son violon est au Midsummer Festival (Hardelot), le 25 juin, à l’ Abbaye de Saint-Michel en Thiérache, le 26 et au Festival de Chambord, le 8 juillet… Etincelles garanties dans le répertoire des Lumières, son terrain de fêtes de prédilection

Un violon à remonter le temps

Sa maturité à tenir la cohérence du Cercle de l’Harmonie, ensemble formé de solistes sur instruments d’époque pour élargir le répertoire du Festival de Deauville de Pâques, avec comme premier fait d’arme de lancer le chef Jérémie Rhorer, lui traçait une carrière solide de premier violon.

Julien Chauvin dirige du violon le Concert de la Loge Photo Marco Borggreve

Epris d’indépendance, Julien Chauvin a préféré sortir de sa zone de confort en créant son propre ensemble en décembre 2014. Le nom, Concert de la Loge Olympique, repris d’une société de concerts à Paris fondée en 1782 par des musiciens tous membre de la loge maçonnique de la Parfaite Estime revendiquait autant une façon de faire de la musique « en société au Palais Royal » qu’ un répertoire à révéler : la Loge a fait la commande à Joseph Haydn de ses symphonies dites « parisiennes » (que Chauvin a bien sur déjà enregistrées), mais à faire revivre les Gretry, Vogel et Jean-Chrétien Bach…
A peine né, patatras ! le puissant Comité national olympique et sportif français (Cnosf)lui conteste l’utilisation de l’épithète « olympique » sous peine de sombres représailles (assez éloignées de « l’esprit » de Coubertin !). Que cela ne tienne.  Rien ne semble arrêter notre chevau-léger virtuose, Le Concert de la Loge poursuit son projet d’excellence dans une concurrence âpre.

Une reconnaissance justifiée

Près d’une décennie plus tard, la formation est reconnue pour sa discographie singulière et solide (chez Aparté & Alpha Classics), recherchée par les Festivals (agenda), pour ses interprétations flamboyantes qui savent impliquer et embarquer le public, enfin très appréciée des chanteuses, de Sandrine Piau et Véronique Gens (Rivales) à Adèle Charvet et Eva Zaïcik (Mezzos Triomphantes) qui lui confie leur projet, que l’écrin des coloris raffinés et la précision de la direction de Julien Chauvin mettront en valeur. Son credo : « l’histoire n’est importante que si on la met en perspective avec le présent » résume bien la dynamique du projet.

Ce succès ne doit rien au hasard, mais à un travail acharné autant d’historien sur chaque partition – celles de Haydn sont éditées par Jean-Jérôme Imbault, membre de l’orchestre – souvent méconnue d’un répertoire volontairement limité à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Notamment avec un cheminement approfondi avec Haydn – des Symphonies au Stabat Mater et sur sa sonorité qui lui a permis selon Julien Chauvin « à progresser, à forger une identité, à éviter la routine qui nous guette tous un jour ou l’autre ».

L’humilité fait aussi partie de l’aventure

Refusant pêle-mêle étiquette, recettes toutes faites ou interprétations lisses ou attendues, il réussit le tour de force d’allier fringale (communicative ) de travail et la nécessaire humilité devant les œuvres. L’homme s’est frotté à un autre conquérant insatiable, le chef Nikolaus Harnoncourt  dont il partage la rigueur et la lucidité.

Signe des grands interprètes, Julien Chauvin ne confond jamais curiosité et précipitation, ni théorie et pragmatisme. Chaque programme fait l’objet d’un profond et respectueux mûrissement, sans se satisfaire de réponses incomplètes, le violoniste en posant de nouvelles questions, sait faire sonner différemment les chefs d’œuvres, en libérer les forces émotionnelles.  La dynamique Chauvin poursuit sa quête tous azimuts. Avec saveur et surtout le même bonheur de jouer en concert. Il faut s’en réjouir.

Le carnet de lecture de Julien Chauvin

« Au commencement », il y a la lecture de cet ouvrage de référence de Nikolaus Harnoncourt. Ses premières expériences musicales, ses découvertes, et les fondements qui vont indubitablement transformer le cours de l’interprétation musicale au milieu du 20ème siècle. Un livre que j’ai lu et relu, qui m’a impressionné, marqué au fer rouge, et qui allait à son tour m’inspirer. Un essai dont on ne sort pas indemne, bien heureusement !

Alors que j’étais encore étudiant, j’ai pu participer à cet enregistrement de l’opéra La Verita in Cimento de Vivaldi. Une découverte multiple pour moi : des voix et des personnalités mythiques (Anthony Rolfe Johnson, Nathalie Stutzman, Guillemette Laurens) et la rencontre avec celle de Philippe Jaroussky avec qui je joue très régulièrement depuis 2003. L’engouement aussi pour des airs inédits de Vivaldi qui dans ces airs traite la voix d’une manière souveraine et dont la musique est tellement émouvante.

Puis les deux personnalités hollandaises qui m’ont formé à Amsterdam, Vera Beths et Anner Bylsma. Des êtres d’une éternelle juvénilité qui nous incitent à toujours nous remettre en question, à ré-interroger sans cesse notre propos musical afin que celui-ci soit le plus juste possible. Pas dans l’authenticité du geste, mais dans sa justesse: toujours à la recherche d’un trait, d’une sonorité ou d’un ton qui parle et touche l’auditeur. Le cœur de l’auditeur comme seul ligne de mire.

Un testament… Le répertoire et l’analyse de milliers de concerts donné au « Concert Spirituel », institution française unique en son genre en Europe au 18ème siècle. Un outil qui nous plonge dans nos racines : le répertoire que jouaient nos ancêtres musiciens, professeurs, éditeurs, solistes ou compositeurs parisiens. Page après page, des tentatives de comprendre une époque, ses styles et ses goûts ; comprendre les moments charnières, l’apparition de certains instruments, de certains genres, oubliés depuis, mais qui continuent de nous fasciner…

Les concertos de Mozart, par Andreas Staier sont aussi pour moi gravés dans ma mémoire, tant la musique du génie viennois semble respirer, vivre et être bien palpable, sous les doigts du pianofortiste. L’instrument, une copie de l’un des instruments de Mozart y est pour quelque chose, et on ne peut être insensible aux phrasés, aux nuances et à la force expressive qui s’en dégagent.

Un vrai rêve d’avoir eu récemment la chance d’enregistrer avec ce génial pianiste le 23ème concerto de Mozart.

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