Culture

Le carnet de lecture de Laura Berg, romancière et photographe

Auteur : Patricia de Figuieredo
Article publié le 19 novembre
2021

Autrice et photographe, Laura Berg vient de publier Milady la nuit chez Serge Safran. Ce second roman alerte et visuel croque avec subtilité de la difficulté d’aimer et des aventures souvent imprévues pour y parvenir, surtout quand elles se nourrissent de romans de cape et d’épée. Elle a confié à Singulars un carnet de lecture à son image, hors des sentiers battus, se jouant habilement du texte et de l’image.

Entre visuel et littérature

Laura berg, autrice de plusieurs romans et de documentaires dessinés Photo Audrey Levy

C’est par la photographie que la Diplômée de l’école de la Photographie d’Arles a pris le chemin de la littérature. Laura Berg qui habite en Bretagne, à Josselin, à commencer, assez naturellement, par deux livres documentaires, « La photo à très petits pas » et « La photo à petits pas » sortis chez Actes Sud junior, puis un cahier d’activité sur le portrait dans l’Histoire de l’Art.  « J’ai écrit ensuite mon premier roman paru chez Naïve, et je leur ai proposé un roman graphique sur la jeunesse de Marie Curie un peu avant la liquidation de la maison d’éditions. J’aimais beaucoup ce lien qu’il fallait tracer entre le texte et l’image. »

Second portrait d’Irena, son premier roman, est paru aux éditions Naïve en 2014. Peu après, elle se consacre au scénario d’un roman graphique consacré à la jeunesse de Marie Curie, en collaboration avec le dessinateur Stéphane Soularue. Cette bande dessinée est parue en 2015 dans la collection « Grands Destins de Femmes », également chez Naïve.

Parmi ses projets, elle travaille sur une bande dessinée en jeunesse et un autre projet qui oscille entre le roman et l’auto-fiction. « Quand j’écris, j’ai des images qui m’accompagnent, j’ai besoin d’être dans le calme et d’avoir une continuité dans mon écriture, de m’y consacrer plusieurs heures par jour afin de rester dans le même univers. Quand je suis hors de chez moi, j’écris sur des carnets pour prendre des notes et revient vers l’ordinateur » explique Laura.

Milady la nuit, Serge Safran

Deux amis, Paul et Cyril, sortent un soir dans un bar à hôtesses et rencontrent Milady, une jeune femme qui s’installent dans leur appartement. Se crée une relation de « je t’aime moi non plus » Paul tombe amoureux d’elle alors que Cyril a des rapports sexuels avec elle. Puis elle disparait, le roman prend alors un tournant plus mystérieux avec l’arrivée d’Armand, un client aisé qui l’héberge en Bretagne.
Nourri de la littérature de cape et d’épée, ce roman alerte comme une chevauchée de Mousquetaires se lit d’une traite. Plus profond qu’il en a l’air, il traite de la difficulté d’aimer et de ses différents chemins pour y parvenir. Ces personnages cabossés, en dehors de la norme nous touchent. Ce roman très cinématographique pourrait devenir un scénario.

Le carnet de lectures de Laura Berg

Depuis cet été, tous mes livres sont dans des cartons pour les protéger de la poussière et des travaux. J’aurais été rassurée d’avoir ma bibliothèque sous les yeux pour vous répondre, ma mémoire manque souvent de précision, mais je me lance.

Récits de l’exil de Nina Berberova. Nina Berberova a écrit ces brefs romans en russe, sa langue maternelle, alors qu’elle était exilée en France. J’aimerais être capable de raconter les histoires qui composent ce recueil sans qu’elles paraissent tristes ou sordides, mais c’est là tout le talent de Nina Berberova. Dans le Laquais et la Putain, quand Tania hésite entre aller au restaurant ou se suicider, on perçoit le désespoir qui l’anime sans vraiment compatir. Il y a de la légèreté dans ce passage, l’héroïne est tellement vivante qu’on se laisse embarquer. Nina Berberova fait zigzaguer ses personnages sans complaisance. Elle n’explique pas leurs choix. Ce qui doit arriver arrive, c’est tout. J’adore l’énergie de ces textes, de quelle manière le temps agit sur le récit. En une phrase, Nina Berberova est capable de saisir un détail avec une précision extrême, et de faire défiler dix ans d’une vie. Les cinq romans qui composent le premier volume sont différents. Je les aime tous, mais mon préféré, c’est l’histoire d’un château qui tombe en ruine, Roquenval.

Factotum de Charles Bukowski. Bukowski (ici Henry Chinaski) est écrivain, mais ça ne le nourrit pas. Pour survivre, il enchaîne les jobs absurdes, épuisants, dont personne ne veut. Ceux que l’on réserve aux pauvres en leur disant qu’avec du courage, on trouve toujours du boulot. Homme à tout faire par nécessité, le personnage d’Henry Chinaski observe le monde du travail avec un détachement nerveux, libre de toute ambition professionnelle. Les expériences s’enchaînent, avec l’espoir qu’un jour on publiera ses nouvelles et ses poèmes.  C’est souvent triste, amer, mais avec Bukowski on arrive à en rire, l’essentiel est ailleurs. On sent dans ce texte un besoin d’écrire et de vivre qui me touche beaucoup.

Le Grand Cahier d’Agota Kristof (suivi de La Preuve et Le troisième mensonge). J’ai découvert les livres d’Agota Kristof grâce à Alain André. Un choc. La trilogie des jumeaux ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà lu.
Agota Kristof a quitté la Hongrie pour la Suisse quand elle avait vingt et un ans. Dans l’Analphabète, elle raconte combien cela lui a été difficile d’apprendre à parler puis à écrire le français. C’est pourtant avec cette langue, qu’elle appelait sa « langue ennemie », qu’elle a construit son œuvre. Les phrases sont brèves, factuelles, mais la simplicité du langage n’est qu’apparente. L’écriture d’Agota Kristof nous fait ressentir la violence de l’exil, l’inconfort permanent de n’être pas d’ici, de n’être plus d’ailleurs. Le récit de cette trilogie est construit avec une telle maîtrise que le doute et le dernier mot reviennent au lecteur. En terminant Le troisième mensonge, il ne reste plus qu’à relire Le Grand Cahier.

Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. Les adaptations de ce roman sont nombreuses, elles ont souvent mis l’accent sur les codes d’honneur entre mousquetaires, le courage et l’amitié virile. L’histoire écrite par Dumas me paraît plus cruelle et difficile à cerner.
Les mousquetaires tuent pour défendre les intérêts du roi et les leurs, le Duc de Buckingham déclare une guerre pour que la reine Anne d’Autriche pense à lui, mais à la fin du livre, c’est Milady qui est condamnée à la peine capitale. Sans procès. Pour certains personnages, les crimes et l’ambition sont légitimes, pour d’autres non. La justice n’est pas la même pour tous.

Milady est un personnage féminin que l’on ne s’attend pas à rencontrer dans la littérature du 19e.  Marquée au fer rouge à l’âge de seize ans pour un vol, elle est condamnée à se cacher pour survire. Elle ne sera jamais respectable, elle le sait. Rien ne lui sera pardonné. Quel avenir alors ? Milady choisit de devenir espionne plutôt que religieuse. De sa condition, elle défie les lois des hommes de pouvoir, leur toute-puissance. Il y a matière à relire Les Trois Mousquetaires aujourd’hui en s’interrogeant sur les personnages que Dumas n’a pas cités dans son titre. J’ai beaucoup aimé les bandes dessinées d’Agnès Maupré et les textes de Sylvain Venayre à ce sujet.

D’autres lectures m’ont marqué.
Les romans de Philippe Djian, Paul Auster, Yoko Ogawa,  John Fante… Les Histoires de peintures de Daniel Arasse… J’aime aussi les livres d’images, les romans graphiques. Maus d’Art Spiegelman est à mettre entre les mains de tous ceux qui ne prennent pas la bande dessinée au sérieux !

Pour suivre Laura Berg

Son site avec son travail photographique et ses livres

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