Culture

Le carnet de lecture de Léo Margue, pianiste, saxophoniste, chef, 2e2m

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 13 octobre 2022

Invité par les principaux ensembles français de création musicale, Léo Margue a pris la direction artistique en mars 2022, l’année anniversaire des 50 ans de l’ensemble 2e2m. Avec une double mission en forme de défis : assurer la continuité historique et la nouveauté, mettre la création artistique au cœur des attentes de tous les publics d’aujourd’hui et de demain. Il a confié à Singulars cet esprit de création et aventurier qu’il compte insuffler à la veille d’Entrance, cd  et concert anniversaire le 15 octobre au 5e Festival Aux Armes, Contemporains ! à la Scala Paris.

Le refus des étiquettes

Léo Margue poursuit l’ esprit de création et aventurier de 2e2m Phot DR

Le nouveau directeur de l’ensemble 2e2m, l’un des plus prestigieux laboratoires de création musicale français, Léo Margue évite le concept froid de musique « savante » qui selon lui stigmatise les musiques populaires, alors que nombre de musique savante ont été inspirées par la musique populaire depuis la Renaissance. Il lui préfère les champs plus fertiles et plus ancrés dans l’histoire de « musique écrite/musique orale » constatant les ponts créatifs entre les deux qui ouvrent plein de possibles, avec des musiciens pas du même milieu. Le musicien né en 1990 par son parcours même, – à la fois pianiste et saxophoniste -, pratique autant les musiques écrites, improvisées, orales ou traditionnelles comme ses collaborations avec le chorégraphe français de danse contemporaine et de hip hop Farid Berki.

Une époque de brassage

Loin de querelles et des postures d’avant-garde d’autan, le chef d’orchestre perçoit au contraire l’abolition des frontières et la multiplication de ponts lancés entre les pratiques musicales. « Depuis les années 50, de nombreuses révolutions créatives se sont succédées avec des musiciens très engagés pour les défendre. Nous sommes plus désormais dans une époque de brassage, de mélange et d’organisation de ces révolutions. Les échanges entre musique écrite et improvisées sont permanents avec des sons parfois très proches. Je le vois chez les jeunes compositeurs et compositrices qui créent leur propre style. J’ai envie de réunir ses musiciens qui ont des approches différentes mais qui vont dans le même sens. Les influences enrichissent. »

Poursuivre l’esprit de création de 2e2m

Cette porosité créative constitue la véritable dynamique d’engagements et de commandes auprès des compositrices et compositeurs de notre temps de 2e2m : « Cette mobilité constante entre les musiciens, entre les ensembles, ces échanges d’artistes passionnante créent une émulation créative qui m’a vraiment convaincu de prendre la tête de l’ensemble. » Son rôle de directeur artistique lui donne une réelle marge de manœuvres comme décisionnaire pour la création musicale.

C’est à la fois très stimulant et une responsabilité de promouvoir toutes les créations musicales
en mélangeant les esthétiques et les genres musicaux.
C’est toujours un défi d’envisager la création dans son ensemble.

Entrance, point de départ de toute « transe » qui nous transporte en dehors de nous-mêmes et du monde réel. 

2e2m en cours d’enregistrement 2e2m à la veille d’Entrance, cd du 50e anniversaire

A ce titre, l’année commémorative des 50 ans d’esprit de création et aventurier de 2e2m, celui d’aller chercher les nouveaux talents et les nouvelles idées sans exclusive lui permet de poser un jalon manifeste. Comme en témoigne le concert du 15 octobre au 7e Festival Aux Armes, Contemporains !  qui reprend le programme d’un cd commémoratif qui parait à cette occasion : « C‘est moi qui l’ai conçu à mon arrivée. J’ai choisi de l’appeler ‘Entrance’, titre d’une pièce éponyme de Fausto Romitelli, suggérant une entrée en transe. Celle-ci, ici à la fois acoustique et électrique, concerne à la fois les musiques écrites et orales et les ponts qui se créent entre les deux. Fausto Romitelli (1963) et Paul Méfano (1937-2020), fondateur de 2e2m, côtoient la jeune génération : le compositeur français Bastien David (1990) et la compositrice italienne Giulia Lorusso (1990) qui ont une pensée organique du son, acoustique ou électronique. Entre continuité et nouveauté. Ce goût pour un rapport physique et presque animal au son est le point de départ de toute « transe », cet état d’exaltation qui nous transporte en dehors de nous-mêmes et du monde réel. »

Aller à la rencontre des publics

Pour les prochaines années, le post 50 ans, le directeur artistique de 2e2m a conscience du premier défi à relever : placer la création musicale au contact de tous les publics.
Pour ajouter : « La création musicale s’inspire du présent et part aussi de tous ces publics, de la vision des créateurs à travers leurs rencontres quotidiennes. Il y a quelque chose de plus stimulant que de rejouer du répertoire. Tous les publics peuvent s’y inclus dans cette création ancrée dans le temps présent et permet d’exprimer le futur. Il y a de l’imagination possible dans cette rencontre, amener la création dans les zones plus rurales, dans les banlieues, des salles plus petites, pour renforcer un rapport plus intime avec la création. »

Ce que j’ai envie de transmettre,
c’est que le public est aussi acteur de la création musicale, ils sont nos oreilles.

La jeune génération dans l’attente de création

Celui que se définit plus comme un chercheur que comme interprète garde une conviction enthousiaste, celle de l’aventurier à la recherche de nouvelles combinaisons artistiques. Il se veut à l’écoute des publics dans un geste artistique, échanger avec lui sans baisser pour autant ses exigences et son goût pour l’aventure. « De mon expérience de terrain, il y a un public de jeunes adultes qui par leur questionnement sur leur monde actuel sont bien plus attirés par la création que la reprise du patrimoine musicale. Ils sont acteurs. Ce que j’ai envie de transmettre au public c’est qu’il est aussi acteur de la création musicale, ils sont nos oreilles, Il y a un échange humain à retrouver en cassant la barrière entre la scène et le public. Avec de nouvelles formes de convivialité. Les évènements culturels étaient des évènements de sociabilisation. »
Gageons que ce randonneur flamboyant réussisse à nous guider sur de nouvelles voies.

La création doit être un vecteur d’humanité et de convivialité.

Le carnet de lecture de Léo Margue

Jean Genet, Le funambule. L’Arbalète/Gallimard

Texte magnifique, un texte d’amour (Genet s’adresse au funambule Abdallah Bentaga) qui est pour moi une grande allégorie du geste artistique : le fil comme la fragilité et le risque de l’engagement artistique, le vide et la solitude de l’artiste, et l’équilibre subtil de toute œuvre.

Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Actes Sud

Le monde végétal et animal est une source d’inspiration et d’émerveillement. J’ai été touché de cette approche sensible du vivant, et en particulier de l’étude sur le hululement des loups : un phénomène sonore basé sur des harmoniques : en hululant les loups créent un effet qui se décuple et donne l’impression que la meute est plus nombreuse pour celui qui écoute. La musique est aussi une recherche d’illusion du sonore en quelques sorte.

Turner, Norham Castle, Sunrise (Tate Britain Museum)

La première fois que j’ai visité le Tate Britain Museum j’ai été frappé par ces couleurs en fusion, cette organicité dans les peintures de Turner, notamment celles qui étaient inachevées et qui me donnaient l’impression d’un processus en cours, vivant. Pour moi le rapprochement avec le sonore est évident, la matière est mouvante et organique, elle évolue dans l’espace et dans le temps.

Romitelli, Trash TV Trance (extrait du disque Entrance)

Une musique qui n’est pas seulement un clin d’œil aux sonorités rock, mais qui est représentative du mode de vie de Fausto Romitelli. J’ai été frappé par cet artiste qui se réclame compositeur de musiques avant-gardistes mais qui exprime son besoin d’être nourri par les musiques de son temps et d’autres milieux (rock psychédélique, noise, métal…).

Ligeti, Kammerkonzert    

Une œuvre révolutionnaire, une recherche d’ordre musical qui aboutit à une impression de désordre, Ligeti est pour moi un génie de l’invention. Esprit joueur, il est nourri de multiples racines lointaines (rythmes et mélodies d’europe de l’est) qui se métamorphosent en des lignes musicales infiniment petites (micropolyphonie) donnant l’impression d’une logique mathématique paradoxale et frénétique.

Eliane Radigue, Occam Ocean 2 

Une transmission de la musique et des idées aux interprètes d’une manière peu habituelle, qui passe beaucoup par l’oralité. J’ai été captivé par cette femme qui a passé la majeure partie de sa vie à écouter et créer des sonorités sur des synthétiseurs. C’est une musique qui exploite la richesse de chaque onde sonore, permettant d’accéder au plus profond de soi simplement grâce à l’écoute.

Pour suivre Léo Margue et l’ensemble 2e2m

les 14 et 15 octobre 2022, 5e édition Aux Armes, Contemporains Festival des musiques d’aujourd’hui, La Scala Paris, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris : 10 créations mondiales, 13 compositeurs vivants, par une cinquantaine de musiciens pour fêter les musiques de notre temps.

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