Culture

Le carnet de lecture de Louise Browaeys, romancière, Fais battre ton tambour

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 20 avril 2022

Ingénieure agronome de formation spécialisée en nutrition, Louise Browaeys est l’auteur prolixe des livres de cuisine, des essais sur l’agriculture, l’écologie, et la permaculture. Son deuxième roman, Fais battre ton tambour (Harper Collins) confirme son talent d’écrivaine, plongeant ses personnages en pleine forêt. Entre survivalisme et renaissance, un roman au style élégant qui fait réfléchir sur notre vie.  

Notre santé et celle de la planète sont intimement liées

« Depuis que je suis adolescente, l’envie d’écrire m’habite », confie celle qui a hésité entre des études littéraires et d’agronomie. Après de solides études d’ingénieure à l’AgroParis tech, Louise Browaeys conseille les entreprises sur la responsabilité d’entreprise, faisant le lien entre une approche “organique” de l’agriculture, et une approche “organique” des organisations, à travers la permaculture humaine en particulier. Ses premiers essais sont nourris de ses convictions : La part de la terre, Permaculture au quotidien, …  et des livres de cuisine : La cuisine écolo (ou presque) (Larousse), Le Régime de Santé Planétaire (Edition Plage) et Petit manuel de Cuisine Punk (Terre Vivante), tous cristallisent une conviction forte que notre santé et celle de la planète sont intimement liées.

Désormais à son compte depuis trois ans, Louise Browaeys travaille sur ce qu’elle appelle « les trois écologies, inspirée par le philosophe Felix Guattari : L’écologie intérieure renvoie au discernement et à la singularité, l’écologie relationnelle concerne le lien à l’autre, l’écologie environnementale c’est l’impact qu’on a sur le paysage. »

Revenir à la grande liberté du roman, et de l’imaginaire

En 2020, Louise Browaeys se lance dans la fiction avec La dislocation, un premier roman charnel initiatique, très remarqué (désormais en poche). « Cela a été une telle liberté par rapport aux essais. Je ne peux plus m’en passer. J’ai écrit ce deuxième roman et je commence à écrire le troisième. » convient celle qui reconnaît écrire avec le cœur et le corps. Si ses sujets de préoccupations comme le féminisme et l’écologie restent au cœur de ses fictions, elle n’impose pas  de message dans ses romans :  « C’est ça qui est libérateur justement, par rapport à l’écriture d’essais, qui est plus cérébrale et didactique. »

La foi dans l’écologie joyeuse

Louise Browaeys, engagée RSE et autrice Photo Melania Avanzato

L’idée de ce second livre s’appuie sur les rapports des gens avec les autres, mais aussi la situation du monde post confinement : « Le métier des deux héroïnes est proche du mien et j’ai vu parfois des choses qui m’effrayaient dans le domaine de l’écologie et j’ai eu envie de le raconter dans un roman, je voulais témoigner. »
Louise Browaeys commence à l’écrire lors du premier confinement où le fantasme sur le survivalisme était encore plus fort qu’auparavant avec cette idée de nature qui reprenait le dessus. « Dans les jeunes générations le fantasme de la cabane dans les bois est encore plus fort, tangible ; j’avais envie de l’explorer avec ce qui fonctionne ou pas, ce que cela signifie. La forêt loin d’être un décor, devient un paysage à part entière.
Et qu’on ne lui parle pas d’écologie punitive, elle n’est pas dans ce registre. « Ce qui me tient à cœur c’est la joie, de l’écologie joyeuse. Bergson disait que « La joie c’est le signe que la vie gagne du terrain.» Elle nous permet d’agir à notre échelle. C’est ce que nous enseigne la permaculture : comment avec ce que je suis, les ressources que j’ai, comment je peux agir ? »

Le fantasme de la cabane dans les bois

Ecrit dans un style fin et harmonieux, Fais Battre mon tambour plonge ses trois personnages dans le fantasme rousseauiste du retour à la nature. Au fil du récit, leurs caractères et motivations se révèlent, jetant un miroir réflexif sur la manière de gérer nos vies, nos relations avec les cercles de nos proches. Sur ce qui est l’essentiel et le superflu dans les rapports humains, la gestion des entreprises, …. Ce qui en fait un vrai roman riche de sens sur les enjeux existentiels, l’éternel cycle de recommencement des saisons et la force de Gaïa, cette nature qui fera notre avenir.

Extrait : « Je sais maintenant comment les arbres sont verts puis dorés puis rouges, comment les oncles se noircissent, comment les lunes se lèvent et les soleils se couchent, comment les fleurs fanent, comment aussi quelque chose subsiste, quelque chose d’impondérable que l’on aimerait retenir dans sa main.
 Je sais maintenant que nous ne pouvons pas créer quoi que ce soit sans cette déchirure intérieure, lié au doute, à l’inconnu, et aux éclaircissements de l’amour. »

Le carnet de lecture de Louise Browaeys, romancière, Fais battre ton tambour

Les chutes, de Joyce Caroll Oates : J’ai adoré ce livre, il m’a pris aux tripes dès la première page, et il fait partie de ceux que j’ai lu deux fois avec le même émerveillement. J’y ai découvert une liberté et une intensité incroyable. Que j’ai retrouvé aussi plus tard dans Blonde, un autre roman époustouflant de JCO. Je crois que c’est aussi le premier grand roman écologique que j’ai lu, et le titre m’est apparu en ce sens follement crépusculaire.

Que ma joie demeure, de Jean Giono : Rien que le titre m’exalte (comme le titre d’un spectacle d’Alexandre Astier). Je l’ai lu aussi deux fois, au printemps. C’est une langue épaisse de plein champ, un pur régal pour le coeur et le corps. J’ai aimé côtoyer la grande nature, vivre le trouble des personnages, à la lisière du sauvage. Et la joie, c’est si important pour moi, si vertical.

La correspondance de Char et CamusJ’ai lu tous les livres de Camus, et toutes ses correspondances. Celle-ci est sublime, amoureuse, pleine de respect. On peut y lire cette phrase hallucinante : « Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, et qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. (…) C’est ainsi que je suis votre ami, j’aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours. »

A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust : C’est pour moi une évidence de le citer ici, car c’est le plus grand livre de la langue française. (Même Wikipédia le dit !). Le centenaire de sa mort est l’occasion de se replonger dans cette œuvre absolument magistrale, drôle, poignante, d’une intelligence et d’une sensibilité inégalables.

Mrs Dalloway, de Virginia Woolf : Ce livre m’a brûlé tant il m’a plu, j’ai dû faire des pauses en le lisant pour reprendre mon souffle, et j’aurais aimé pouvoir le savourer en anglais. J’ai recopié presque toutes les phrases, je me suis même déguisée en Virginia Woolf (j’avais quatorze ans) pour le lire et m’imaginer l’écrire. Cette idée de voyager dans la conscience (le fameux flux de conscience) des personnages m’a bouleversé. J’aime l’idée du roman panier, sans chronologie et infiniment poétique.

Les années, d’Annie Ernaux : Comme pour Mrs Dalloway (et aussi Les Maîtres Sonneurs, de George Sand), je connais les premières phrases par cœur. Ce livre est d’une simplicité et d’une beauté déconcertantes. Il nous parle de l’irréversible et de la nostalgie, dans une langue qui me semble plus accessible que Jankélévitch, et peut être aussi de ce que la littérature peut sauver. Je suis une grande admiratrice d’Annie Ernaux, l’allumeuse du désir de se raconter soi-même pour les autres.

Pour suivre Louise Browaeys

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