Culture

Le carnet de lecture de Mathieu Herzog, chef & Léo Doumène, directeur de Appassionato.

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 24 avril 2024

Prolongeant une solide carrière d’altiste au sein du Quatuor Ébène,  Mathieu Herzog a pris la baguette (autant qu’elle l’a saisie au sens propre) pour mieux « abolir les préjugés, et s’affranchir des codes de la musique savante ». Le chef s’est donné les moyens pour multiplier les initiatives et « quelques clés d’écoute » qu’il décline, avec son ensemble Appassionato dirigé par Léo Doumène; en concerts d’initiation « Vous trouvez ça Classique« , les deux derniers de la saison à la Seine Musicale sont le 27 avril (dédié aux Noces de Figaro de Mozart) et le 8 juin (Boléro, de Ravel), la création d’une radio, d’un label discographique dont il présente les pépites le 30 avril à la Salle Gaveau et d’un podcast sur Radio Classique et même des playlists découvertes sur Spotify. Autant d’ invitations pour les frileux à « se laisser emporter dans les émotions du classique »

Nous souhaitons défricher le répertoire et offrir au public des œuvres inouïes, dans tous les sens du terme ; inouïes parce qu’elles sont exceptionnelles, inouïes parce qu’elles ont été oubliées.

Du Quatuor à l’ensemble de chambre

Ni dites pas à Mathieu Herzog que la musique classique est « has been », il est convaincu que les émotions qu’elle recèle sont nécessaires pour notre temps. Rien n’ arrête la dynamique de « révélations » du fils de l’ancien directeur du conservatoire de Boulogne, Alfred Herzog.

L’altiste du Quatuor Ébène s’est saisi de la baguette, fortuitement grâce un retard inopiné de Daniel Harding au festival de Verbier. L’expérience l’a tellement secoué, qu’il envisage d’emblée d’ajouter une nouvelle corde à son intense carrière. Pour sauter le pas, il demande conseil au chef Michael Tilson Thomas. Le grand pédagogue comme son mentor Léonard Bernstein lui donne trois conseils (« à suivre dans cet ordre » nous a-t-il confié) : « Avoir un orchestre, Observer les grands chefs en répétitions, Prendre des cours. »

‘Mettre la musique de chambre au cœur de l’orchestre’

Appassionato, ensemble chambriste et volontaire Photo Rémi Rière

Ni une ni deux, le musicien pressé d’en découdre avec les stéréotypes de la distinction bourdieusienne a créé en 2015  avec son complice l’harpiste Léo Doumène, l’orchestre de chambre « Appassionato ».
Avec une ambition, « mettre la musique de chambre au cœur de l’orchestre », forger un ensemble d’excellence « chambriste » privilégiant l’écoute entre les musiciens, construire une couleur et « ressentir les lignes » le dit joliment Herzog, pour « une respiration commune qui aide à changer fondamentalement l’interprétation, un ping pong musical »  A la clé, la création d’une identité et d’une approche renouvelée d’un répertoire qui permet de séduire un large public.

Au fil des années, nous cherchons à modeler un véritable « orchestre chambriste » pour trouver, à trente, quarante ou quatre-vingt musiciens, la même flexibilité interprétative et la même écoute profonde que celles pratiquées au quotidien à cordes.
Léo Doumène, préface de Amérique(s), 2021

Multiplier les correspondances émotionnelles

Les programmes enregistrés par le jeune orchestre témoignent de son projet : après « Les dernières symphonies » de Mozart (Naïve, 2018), passage obligé pour installer une identité, Appasionato a signé « Métamorphoses nocturnes » rapprochant Strauss, Respighi, et Schoenberg, avec la soprano Adèle Charvet, Naive 2021). Le chef s’assume comme un ardent défenseur de la tonalité et de sa puissance expressif.

Changement de continent, « Amérique (s) » associe Barber, Glass et Price.

« Mer(s )»  joue la carte française (1er enregistrement du label Apassionato, déc 2023) : avec aux cotés de deux chefs-d’œuvre comme La Mer de Claude Debussy et L’Apprenti sorcier de Paul Dukas, Journal de bord de Jean Cras, à la fois marin et compositeur les enregistrements sont rares.

Ancrer dans les enjeux sociétaux d’aujourd’hui

« Il est de notre ressort (je dirais même de notre devoir) de faire une place dans l’histoire de la musique et dans l’oreille et le cœur des auditeurs (…)
Les trois chefs d’œuvres qui composent Mer(s) mettent aux prises l’auditeur avec l’habitude beauté des océans. Et, par une sorte de transfert que seul l’art permet, la perfection musicale répond à la perfection du fonctionnement des écosystèmes marins (…)
Ce disque permet de placer des œuvres artistiques au carrefour de questionnements écologiques et citoyens. » insistent les initiateurs du label férue d’indépendance artistique. «Une nouvelle étape dans notre évolution qui amène de nouveaux questionnements, de nouvelles envies et surtout un progrès dans notre démarche artistiques. »
Mathieu Herzog, et Léo Doumène, préface Mer(s), 2023

Vous trouvez ça classique ?

Partager et rendre compte de cette excitation est la grande mission que s’est donnée le duo Herzog – Doumène et leurs complices avec la série de concerts d’initiations « Vous trouvez ça classique ? ». La recette est stimulante, inspirée de merveilleux mentors, de Bernstein à Michael Tilson Thomas en passant par Jean-François Zygel. Quelques explications éclairées mais précises confiées avec gourmandise communicative sur scène suffisent à baliser l’écoute, et lancer les musiciens… et l’attention!

Ce qui me fascine surtout, c’est que la tonalité vit par la concordance des sons mais également par le magnétisme des harmonies. Ce phénomène un peu complique de l’attraction de certains accords par d’autres est la base de la musique occidentale. Un accord tend à aller vers un autre, on peut jouer avec et surprendre l’auditeur, ou bien au contraire flatter son oreille en lui donnant ce qu’il espère et ressent.
Ce phénomène rend la musique dite savante particulièrement excitante car tous les rebondissements sont possibles (…).
Mathieu Herzog, préface de Amérique(s), 2021

Bonne nouvelle, cette initiative trouve son public, qui peut ensuite nourrir sa curiosité sur la radio Appassionato, le podcast sur Radio Classique et les playlists sur Spotify .  Vous trouvez toujours cela « classique » ?

Olivier Olgan

Le carnet à 4 mains, de Mathieu Herzog et de Léo Doumène

Mathieu Herzog

La 4ème symphonie de Mahler par Jakub Hrusa

Un des plus beaux enregistrements que je connaisse de cette œuvre et également un des plus beaux disques de ces dernières années. La prise de son est à noter également pour sa qualité fabuleuse.
Un disque plein de musique dans le vrai sens du terme  ! 

Insieme – Opera Duets (Sony)

Ce disque est hors norme; classique dans sa forme mais la rencontre de ces deux demis-dieux du chant est une chose rare, il y a un souffle unique dans ce disque. Je ne connais pas Kaufmann mais Ludovic Tezier est un ami proche et lorsque j’ai écouté ce disque je l’ai appelé immédiatement et sa réaction était celle d’un homme profondément touché et heureux que ce disque qu’il aime tant puisse plaire à d’autres. 

Killers of the flower moon, de Martin Scorcèse

Je n’ai malheureusement pas réussi à le voir en salle, je l’ai donc regardé dans le confort de mon canapé en me disant, je n’ai jamais 3h30 devant moi mais je regarderai en plusieurs fois. Finalement je n’ai pas pu décrocher tout en étant conscient de l’importance d’un timing large, d’être en face d’une fresque et donc de devoir avoir le temps de l’admirer, ce film est comme un sublime roman américain, il y a tout dedans, le suspense, les subîmes images, des acteurs fabuleux et  c’est captivant, tendre, terrible un film un vrai. 

Green book, avec Vigo Mortensen et Mahershala Ali.

J’ai trouvé ce film remarquable car il est tout ce que j’aime. Parler d’un sujet dur, difficile à aborder mais avec beauté et hauteur ! Je n’aime pas qu’on me fasse la morale mais j’adore qu’on m’oblige à réfléchir autrement. 

Léo Doumène, harpiste et directeur musical de Appassionato 

Les Oiseaux, de Tarjei Vesaas

Ce livre lumineux et bouleversant du Norvégien Vesaas raconte l’histoire de Mathis, qui habite avec sa sœur Hege dans une petite maison au bord d’un lac. Simple d’esprit, Mathis est perdu dans ses pensées et ses rêves. Emprunté dans ses interactions avec ses contemporains qui ne comprennent pas sa manière de s’exprimer, il témoigne en revanche d’une grande sensibilité pour les éléments qui l’entourent : la forêt, le lac, les oiseaux. Chef d’œuvre de Vesaas, ce livre compte parmi ceux auxquels on revient avec bonheur fréquemment. 

2666, de Roberto Bolaño

Bolaño est une comète dans l’histoire de la littérature mondiale : poète, romancier, nouvelliste, ce Chilien exilé à Barcelone, qui fut, entre autre, gardien de camping, a laissé une œuvre aussi profonde que mystérieuse, énigmatique et puissante. Livre-monde de plus de mille pages qui se lisent dans un seul souffle, impossible à résumer, 2666 a été un véritable choc quand je l’ai découvert. Bolaño y déploie ses talents de conteur et se montre fin observateur de la société qui l’entoure, il saisit la violence des rapports humains autant que la beauté quand elle surgit (rarement). Bolaño fait partie de ces écrivains fascinants qui sondent la nature humaine au plus profond. 

L’adaptation de 2666 par Julien Gosselin et le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur.

Il fallait faire preuve de démesure pour adapter 2666. Julien Gosselin, amateur de grandes formes, s’est lancé avec brio dans l’adaptation du roman de Bolaño. Créé au Festival d’Avignon en 2016, vu aux Ateliers Berthier lors de la tournée qui a suivi, ce spectacle de presque 12 heures était une expérience comme rarement j’en ai vécu au théâtre. Il est rare de se plonger dans une salle de spectacle pendant aussi longtemps, d’entrer en communion avec les acteurs au plateau (quelle performance de retenir tant de texte !) et les spectateurs qui vous entourent, pendant aussi longtemps. Cette expérience totale m’a profondément marqué.

Ivanov de Tchekhov à l’Odéon dans la mise en scène de Luc Bondy

Une des dernières mises en scène de Luc Bondy à l’Odéon dans une scénographie de Richard Peduzzi, avec Misha Lescot dans le rôle-titre. Je me rappelle le corps longiligne et le jeu très physique de cet acteur. Tout dans sa manière d’être en scène faisait sentir la décadence de la société russe telle que la dépeint Tchekhov. Ce spectacle magistral m’a fait ressentir également plus qu’aucune autre mise en scène avant elle l’absurde qui innerve tout le théâtre de Tchékhov et annonce Beckett. Cet Ivanov était un immense moment de théâtre.

Pour aller plus loin : Mathieu Herzog et Léo Doumène proposent aussi leurs playlists sur Spotify

Pour suivre Mathieu Herzog et Léo Doumène et Appassionato, orchestre et label

Pour suivre Mathieu Herzog

Pour suivre Appassionato

L’association ARVIVA – Arts Vivants, Arts Durables: « nous prenons acte des enjeux liés au dérèglement climatique et à la crise de la biodiversité. Nous nous engageons à changer nos pratiques pour transformer nos modèles« .

Les podcasts de « Vous trouvez ça classique ? » (Radio Classique)

Agenda d’été d’Appassionato dirigé par Mathieu Herzog

  • 27 avril, 19h Vous trouvez ça Classique ? consacré aux Noces de Figaro, Auditorium de la Seine Musicale
  • 30 avrilSoirée de présentation du label Appassionato, avec Gabriel Le Magadure, Frank Braley, le Quatuor Agate, Pauline Chenais, Charlotte Saluste-Bridoux… Salle Gaveau,
  • 7 mai, Alla zingarese : le violon tzigane, Brahms, Bartók, Ravel, avec la violoniste Manon Galy, Cathédrale des Invalides
  • 6 juin, Alexandre Tharaud et le 7e art,  Cosma, Legrand, Delerue, Williams, etc…, Théâtre des Louvrais, Pontoise
  • 8 juin, Vous trouvez Ça Classique ? Ravel, Boléro, Auditorium de la Seine Musicale, Boulogne-Billancourt
  • 18 juillet, Appassionato x Ballet Julien Lestel Bizet, Carmen, Festival de Glanum (Mathieu Herzog, directeur artistique) Site archéologique de Glanum, Saint-Rémy-de-Provence
  • 20 juillet, Récital Pretty Yende, Verdi, Donizetti, etc… Site archéologique de Glanum, Saint-Rémy-de-Provence
  • 24 juillet, « Petite fleur » avec Angélique Kidjo, Chansons françaises, américaines, africaines, Festival de Verbier, Suisse, avec Angélique Kidjo
  • 22 août, Berlioz, Harold en Italie – Les Nuits d’été – Ouverture du Corsaire, avec Marina Viotti, Festival Berlioz, La Côte Saint André

Discographie chez Naïve

  • Métamorphoses nocturnes (Live),
  • Mozart: Les trois dernières symphonies

Au label Appasionato

  • Amérique(s) Barber, Glass Price.
  • Mer(s), La Mer de Debussy, L’Apprenti Sorcier de Dukas et le Journal de Bord de Cras, Appassionato
  • Brahms, Quatuors, (intégrale) par le Quatuor Agate
  • Chausson, Concert, Lekeu, la Sonate pour piano et violon, avec Gabriel Le Magadure, Frank Braley et le quatuor Agate

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