Culture

Le carnet de lecture de Michel Quint, romancier

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 10 novembre 2022

On doit à Michel Quint plus de 60 romans, dont Effroyables jardins, best-seller traduit en 25 langues, adapté au cinéma par Jean Becker, mais aussi Billard à l’étage, Grand Prix de littérature policière en 1989. 
La Printanière, son dernier roman chez Serge Safran éditeur en lice pour le Renaudot et le Renaudot des Lycéens met une lumière légitime sur une plume discrète et unique. Le romancier a confié à Singulars son carnet de lecture où ce profond lecteur livre sa passion intime pour Alain-Fournier, Gustave Flaubert, Molière, Guillaume Apollinaire, et Bernhard Schlink.

Michel Quint est l’auteur d’une soixantaine de romans. La printanière vient de paraitre. Photo DR

Les Gilets jaunes ont été l’événement social le plus important depuis 68.
La première manif est arrivée un 17 novembre, jour de mon anniversaire.
Je trouvais important de parler de cette vague qui a soulevé la France.

Michel Quint, La Voix du Nord 9 09 22

La Printanière, un roman ancré dans un tissu social local puissant

L’histoire se déroule à Lille, ville de cœur de Michel Quint qui est né dans le Pas-de-Calais, au début des manifestations de gilets jaunes. Etienne, professeur de français à domicile, se fait agresser par un black block en voulant défendre un couple de retraités. Mal en point, il est sauvé par une jeune fille, visiblement boxeuse, qui disparait après. Etienne se met en tête de la retrouver pour la remercier en écumant les clubs de boxe de la région.

Un récit enraciné dans le Nord

À partir de ce point de départ, et sur fond de modes de vie enraciné dans le Nord, de Lille à la la frontière belge, Michel Quint dresse le portrait de quelques personnages solitaires, Michel le professeur qui ne s’aime pas et n’a pas envie d’un avenir. Mado est un déclic, elle aussi à la recherche d’une mère, .. . apparaissent aussi la mère de la jeune femme, Leïla du club de boxe, tous qui s’épauleront pour supporter le fardeau de vies grises sans rêve.
On retrouve cette énergie du désespoir, déjà brossée dans Effroyables jardins : « Mais attention : les gens avaient beau avoir des gris à l’âme, ils tâchaient tout de même de ne pas trop courber l’échine. » 

Etienne en recherchant Mado, c’est lui qu’il recherche

Avec pour fil rouge, les livres de Patrick Modiano.

« Il y a chez Modiano une quête discrète du passé, d’enquêtes pour mettre les pas dans des traces anciennes qui sont censé nous remettre dans le droit chemin aujourd’hui. Michel Quint rend hommage au romancier Prix Nobel de littérature. « Dans le Modiano, Rue des boutiques obscures, le père du narrateur devient le confident de John Gilbert la star du muet. Être à l’écoute d’un type qui se tait, tout Modiano est dans cet échange. Mon père parlait sans arrêt mais ne disait rien. Il aurait pu jouer dans des films muets. »

Avec une bande musicale qui teinte l’atmosphère de notes nostalgiques, La Printanière est un roman fin et délicat qui parle à défaut d’avenir, de l’amour, de l’amitié, de la filiation, de la recherche de ses origines.
Le parfum prégnant distillé par La Printanière colle autant aux doutes de notre époque qu’il laisse une trace puissante au lecteur.

Le Carnet de lecture de Michel Quint

Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes

« J’avais quinze ans », il donne son âge comme une clé et il est question d’une grande ombre sur les jours de François Seurel (dont le nom dit à la fois la solitude et la sororité, une fraternité profonde). Il est enfant d’instituteur, avec la blouse grise soigneusement boutonnée… Et nos rêves, les miens partent de là, de la rencontre avec cet ange païen, Augustin Meaulnes qui apporte l’aventure, qui pénètre dans le domaine mystérieux, la fête étrange, y rencontre Yvonne de Galais, l’aime… En rapporte l’ineffable des amours… Et puis naît la petite dont, Yvonne partie, Meaulnes introuvable, se charge Seurel avant que Meaulnes ne vienne la reprendre. Il y a tout de notre jeunesse dans ce roman, à jamais.

L’enfance bousculée, l’entrée aux âges adultes par une sorte de mystère initiatique, la révélation des amours vraies, et la réalité une fois la fête finie, les châteaux abandonnés et les bien-aimées disparues. Des lieux où, comme le dit Seurel dès la première page, nous ne reviendrons pas. Sauf à entrer dans le conte de fées en vrai, dans la magie, à passer au-delà du miroir.

 

Gustave Flaubert, Madame Bovary

Bonjour Emma. J’ai toujours eu envie de ça, de ton besoin de tendresse au point que j’aurais pu t’embrasser sans même que tu saches qui je suis, avec juste trois riens doux sur la beauté de ton regard, que j’aurais pu être ton Léon.
Ce roman d’une femme qui meurt de ses rêves romanesques est d’une actualité terrible. Elle croit épouser un médecin qui n’est qu’un officier de santé, croit toucher au grand monde à l’occasion d’un bal, est incapable d’accepter le banal et l’anodin de la province, la médiocrité de son mari.

Des déçues de leurs rêves, des qui tâchent de rajuster le monde à la taille de ces rêves, comme on reprend un vêtement trop étroit, des déçues du destin peuplent le monde et je les aime. Elle vivent à travers, comme on leur dit de prendre les modèles d’influenceuses, fragiles et offertes et si touchantes de demande d’amour. Quand Emma se donne à Rodolphe dans la campagne, le hobereau gigolo, il fume, répare le harnais de son cheval, elle n’éprouve rien, même troussée depuis peu. Mais une fois chez elle, elle monte au grenier et là, elle se dit, se répète, qu’elle a un amant. Et elle jouit. Enfin. Le reste est la faute à la fatalité.

 

Molière, Tartuffe

Il est habituel de lire cette pièce sous l’angle d’un Orgon, grand bourgeois, marié à Elmire, bien plus jeune que lui et foutûment sexy, piégé par Tartuffe, un capteur d’héritages, un faux dévot qu’il aurait invité à vivre chez lui par charité, presque comme une indulgence vive, et ce faux dévot aurait ensuite tenté de séduire Elmire. Une affaire d’imposture, comme le dit le sous-titre de Molière.

En 78, à Avignon, j’ai vu la mise en scène d’Antoine Vitez. Richard Fontana y était un Tartuffe jeune, moulé dans un justaucorps qui ne laissait rien à deviner de sa virilité. Jany Castaldi jouait Elmire, sur le souffle, au bord de consentir à la caresse. Il était évident qu’elle avait du mal à résister à cet étalon bien plus tentant que son barbon de mari. Mais elle tenait bon parce que c’est écrit dans la pièce.
Que nous disait Vitez ? Que l’affaire est ailleurs. Tartuffe est un alibi pour Orgon. Il est compromis dans la fronde (on le verra avec l’arrivée de monsieur Loyal, un huissier qui porte un nom assez déloyal et vient arrêter Orgon), et Tartuffe lui offre une virginité, un laissez-passer religieux : un type capable d’héberger un tel danger pour son couple au nom de la foi ne peut être coupable d’avoir conspiré contre le roi et son droit religieux de régale. Dès lors l’aveuglement d’Orgon vis-à-vis de Tartuffe devient lumineux. Il se sauve, se bricole une fuite, n’écoute pas sa servante Toinette, ni Elmire, qui se plaignent de Tartuffe. Il en souffre mais sa liberté est au prix des nichons de Toinette et du que fait là votre main d’Elmire.

 

Guillaume Apollinaire, Alcools

Pas mal des titres de mes romans sont volés à Apollinaire. Un des prochains le sera encore. J’ai commencé à lire ses vers au lycée. On avait dû étudier Le Pont Mirabeau. Et puis j’ai eu envie du reste. Je me suis rendu compte du pouvoir magique de sa poésie. Capable de transformer les horreurs de la guerre en vision érotique ou en feu d’artifice. Il écrit à Lou, sa maîtresse infidèle du temps des tranchées, que ses cheveux sont fauves « comme le feu d’un obus ».

Et puis l’énorme envie d’amour de cet homme et toute la douleur d’être déçu par beaucoup de ses aimées, justement par Lou, Louise de Coligny. Un adolescent un poil littéraire pleure ce destin gâché par la guerre, Annie Playden, celle dont les pétales sont les ongles de celle qu’il a tant aimée et laissée en Allemagne, un adolescent a envie du mois de  mai, le joli mai en barque sur le Rhin.
Parce qu’à la fin la barque s’éloigne.
Parce que les femmes regardent de loin, du haut de la montagne.
Parce que le poète s’empoisonne avec les yeux de l’aimée qui sont comme cette fleur-là, les colchiques du pré joli mais vénéneux.
Et qu’il ne peut faire autrement que boire l’eau de ces yeux.
Ma femme m’a offert en cadeau de mariage l’intégrale des œuvres d’Apollinaire. Je pense que c’est une preuve d’amour.

Bernhard Schlink, Le Liseur

Encore un roman d’initiation. Dont la clé est donnée dans le titre, le même en allemand : Der Vorleser. Un jeune homme fiévreux, Michael, est soigné par une dame plus âgée, Hanna, 35 ans. Ils deviennent amants, il lui lit des textes. Et puis un jour, alors qu’ils font une escapade, qu’elle dort encore, il lui laisse un mot pour dire sa sortie matinale. Quand il revient elle est d’une extrême violence avec lui. Plus tard, alors qu’ils ne se voient plus, qu’il a d’autres amours, il finit des études de droit, va devenir juge, il assiste au procès de cinq criminelles de guerre. Hanna, accusée d’avoir été bourreau dans un camp, est parmi elles. Il va la voir en prison, comprend qu’elle est analphabète, qu’elle n’a pu lire son message et qu’il a été, par ses lectures à haute voix, son lien avec la littérature. Et le début de sa rédemption. Qu’elle continue par l’apprentissage de l’écriture, de la lecture dans sa cellule. Quand elle les maîtrise  elle se suicide.

Ouvrage admirable qui dit l’importance de la culture pour endiguer les instincts violents, l’adhésion à des idées barbares comme le nazisme, qui dit aussi la difficulté de l’Allemagne à liquider son passé noir et que nul n’est le mal ou le bien incarné.

Pour suivre Michel Quint

La page Wikipédia de Michel Quint

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