Culture

Le carnet de lecture de Nathanaël Gouin, pianiste, Caprice

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 novembre 2023

Après « Liszt Macabre » et à « Bizet sans paroles », Nathanaël Gouin poursuit sa route originale avec imagination et grâce. Son « Caprice » (Mirare) rapproche en virtuose des pages de Bach, Brahms, Fauré, Rachmaninov et Ohana.  Ce programme au concept musical plutôt liquide s’affirme autant comme une revendication d’autonomie qu’une référence décomplexée à l’enfance, ou plus subtile, à une « forme de liberté affranchie de toute pesanteur ». On peut aussi découvrir cette variété des couleurs qui est la marque de son jeu en concerts, le 3 décembre, Clara Schumann & Brahms à l’Opéra de Clermont-Ferrand, et le 4 au Musée de la vie Romantique avec Eva Zavaro dans une Intégrale de la musique pour violon et piano de Brahms.

La maturité d’un grand

On reconnait la maturité d’un artiste par ses choix dès les premiers programmes et par la façon de les jouer au disque et au concert.
De l’audace, Nathanaël Gouin n’en manque pas. A peine une série de Premier Prix glanés (Concours Johannes Brahms à Pörtschach, Concours de duos de Suède ou encore le Concours de Musique de chambre de Lyon), son premier enregistrement démontre d’emblée que nous ouvrons l’oreille à un grand, qui sait allier difficultés techniques et répertoires moins visités.
Ce « Liszt Macabre » démontre sa solide appétence à la virtuosité, sans tomber dans l’esbrouffe.  Son jeu moiré révèle un Liszt ravisseur et fatal, sans état d’âme, constructeur de l’impossible. Particulièrement audacieux puisqu’il invite à n’attendre aucun plaisir. Sauf que c’est de vous qu’il attend au contraire, et même exige, une attention qui vous coutera.

Puis presque à l’opposé du spectre romantique, « Bizet sans Paroles » paru en septembre 2020 déploie un jeu d’une tendresse toute en légèreté impressionniste. Ce piano est sensible, ce piano est imaginatif, ludique ou fantasque, ce piano d’un poète qui s’assume met en lumières des pages méconnues du créateur de Carmen. Et c’est aussi la preuve d’une belle indépendance !

Avec « Caprice« , il gagne à notre sens de nouveaux galons, car il réussit à fusionner toutes les qualités démontrées, à la fois dans la pertinence et la liberté. Le programme est un labyrinthe, où de nouvelles facettes se révèlent au fil des partitions.  Il aime nous surprendre, nous emmener par l’oreille. A ceux qui, rares y trouvent leur chemin, des surprises sont tendues, de l’ordre de l’affect, de la tentation légitime de s’y abandonner.
Clairvoyant dans le livret qui accompagne le cd Mirare, le pianiste tire un fil d’Ariane pour mieux le suivre « dans l’esprit du Caprice, et s’explique avec précision sur les ressorts de ses motivations. Cette clarté est sans conteste, la preuve d’un magnifique passeur.  Extraits

Que veut dire « Caprice » pour vous ? Fantaisie, liberté, exubérance ? 

C’est un peu tout cela. Outre ce que le mot évoque sur le plan musical, j’aime cette référence à l’enfance et ce lien au désir. Ayant pratiqué le violon durant dix ans, la référence à Paganini me vient évidemment immédiatement à l’esprit. Dans le caprice, il y a une forme de liberté affranchie de toute pesanteur. Que tant de compositeurs se soient intéressés à ce genre en se détachant de la forme sonate démontre un goût sincère pour cette liberté. Chacun y marque son identité de façon profondément différente, depuis Bach jusqu’à Ohana.

La fantaisie, c’est autre chose car souvent plus dense, alors que dans le caprice il y a une notion de légèreté qui me séduit.

A partir de cette idée, j’ai pu composer un programme de musique à la fois allemande, russe et française, en gardant une forme de cohérence tout en choisissant des œuvres qui, bien que n’en portant pas toutes le titre, épousent l’esprit du caprice.

Est-ce obligatoirement lié à la notion de virtuosité ?

Pas forcément, notamment dans les Capriccios opus 76 de Johannes Brahms, où l’écriture est dense, profonde et peu démonstrative, bien que Clara Schumann ait trouvé « horriblement difficile » le premier d’entre eux, qui lui avait été offert en cadeau d’anniversaire.

C’est d’explorer toutes les formes que pouvait revêtir ce terme de caprice qui m’a intéressé. On pourrait d’ailleurs imaginer que dans certains cas, l’appellation n’ait pas été préconçue et qu’en s’apercevant de la liberté de leur œuvre les compositeurs aient choisi de la nommer ainsi.

La tendresse qu’exprime J.S Bach dans le Capriccio sur le départ de son frère bien-aimé est infiniment touchante. Œuvre de jeunesse composée entre 1704 et 1706, c’est une sorte de suite en six mouvements, autant de pittoresques tableaux explicitement sous-titrés pour indiquer à l’auditeur les scènes d’adieu entourant le départ de son frère Johann Jacob, depuis les cajoleries, les risques encourus et les lamentations des amis, jusqu’à une délicieuse fugue finale.

Quel lien voyez-vous entre les différentes œuvres ?

J’ai eu envie de bâtir un disque éclectique et mes goûts personnels ont bien entendu fortement influencé les choix. Le Caprice n°1 de Maurice Ohana par exemple a une signification particulière. Mon maître Jean-Claude Pennetier, qui a joué un rôle majeur dans mon parcours, m’a légué les Préludes de Maurice Ohana, qui lui sont dédiés et qu’il avait travaillés avec le compositeur. J’avais déjà étudié ses Trois Caprices, notamment le premier « Enterrar y callar » pour un concours, et j’ai toujours été fasciné par l’originalité si attachante de sa musique.

Quant à Charles-Valentin Alkan, qui est un peu le Liszt français, c’est un personnage que j’admire beaucoup notamment pour sa virtuosité qui a un sens et n’est pas gratuite. Son Festin d’Esope, publié en 1857, douzième et dernier volet de son cycle des 12 études dans les tons mineurs opus 39, m’accompagne depuis l’enfance et j’en apprécie autant l’humour que la profondeur. Il ne porte pas le titre de caprice mais en revêt le caractère. Par le raffinement de son esprit français, il représente pour moi l’apothéose de son art en préfigurant Satie, qui aurait pu d’ailleurs également figurer dans ce programme.

Autour du caprice, on peut imaginer une infinité d’associations, alors j’en ai choisi une qui me ressemble.

(extrait du livret de Caprice, Mirare, questions de Jean-Michel Molkhou).

 

#Olivier Olgan

Le Carnet de lecture de Nathanaël Gouin

Puccini, Turandot, par Herbert von Karajan (DG 1990)

Dans l’impatience d’écouter cet opéra mythique à l’opéra de Paris en novembre 2023, retourner aux basiques avec cette version mythique avec Katia Riciarelli et Placido Domingo pourtant n’ayant pas l’ambitus vocal du rôle de Calaf, reste un sommet incontournable du romantisme.

Malher, 6eme symphony, par Theodor Currentzis, 2018

La science du détail. L’équilibre parfait, les textures, le caractère de chaque motif poussé à son comble. L’art de l’enregistrement au service de la musique .

Rachmaninov, Lukas Geniusas (Alpha)

Sur le piano ayant appartenu à Rachmaninov, au sein même de sa maison historique en Italie, Geniusas signe un disque sublime où le son feutré semble pouvoir rugir de milles feux dès que la musique le demande, néanmoins avec une délicatesse extrême.

 

Patrick Declerck, Les naufragés 

Un livre bouleversant d’un psychanalyste français qui a choisi de vivre plusieurs mois dans la rue pour retranscrire la vie des personnes sans abris . Un témoignage bouleversant qui marque à jamais sur la chute de ces invisibles .

Alain Damasio, Les furtifs

Je me suis totalement laissé prendre par cette fresque dans un monde futuriste mais pas si lointain, où l’humain trouve ses limites dans le reflet de créatures impossibles à voir et attraper. Damasio invente une langue musicale et chaque lettre devient un dialecte au moyen d’accents – Brillant.

Le Tellier, L’anomalie

Ma peur de l’avion m’a d’abord mené à ce livre dont l’intrigue vient d’abord des turbulences violentes d’un avion qui vient scinder des personnes en les amenant à connaitre leur double parfait. Une prouesse d’écriture et une manière fine de nous interroger sur le clône, dystopie qui n’a plus rien d’impossible à notre époque.

Bunker Lettres de Magda Goebbels, mise en scène de Christian Siméon

Avec Julie Depardieu et Stephan Druet Toukaiev, mise en scène Johanna Boyé

Une pièce édifiante qui donne le vertige, autour de cette formidable aptitude d’un esprit pourtant instruit à adhérer au mal absolu.

Wim Wenders : Paris Texas

Le film road trip parfait, où tous les éléments du cinéma sont portés à leur paroxysme. J’ai adoré l’atmosphère et la mise en scène parfaite de ce cinéaste Allemand.

Klimov – Requiem pour un massacre

Un film très dur à voir, mais quel chef d’œuvre . Une scène inoubliable où le héros perds l’audition pendant 5 min avec une imitation de ce qui peut se tramer dans ce vertige post traumatique.

Park – Mademoiselle

Un film assez étonnant comme tous les films Coréens, où l’érotique côtoie le film d’horreur dans un scénario à ressorts. Mais quelle beauté de chaque plan, quelle densité et travail dans chaque plan .

Je me suis pris de passion pour le cinéma Coréen depuis quelques années, et le merveilleux « Parasites », de Bong Joon Ho.

Pour suivre Nathanaël Gouin

Agenda

  • 3 décembre, 11h, Clara Schumann, Trio pour violon, violoncelle et piano en sol mineur Opus 17, avec Lina Octeau (violon) & Octave Diaz (violoncelle), Johannes Brahms, Quatuor pour piano et cordes n° 1 en sol mineur Opus 25, avec Guillaume Chilemme (violon), Cédric Holweg (alto) et Takashi Kondo (violoncelle), Opéra-Théâtre, Clermont-Ferrand,
  • 4 décembre, Brahms, Intégrale de la musique pour violon et piano, avec Eva Zavaro, Musée de la Vie Romantique, Hotel Scheffer-Renan, 16, rue Chaptal, 75009 Paris

A écouter 

  • Caprice, Mirare, 2023 : Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Rhapsodie sur un thème de Paganini, opus 43, Johann Sebastian Bach (1685-1750), Caprice sur le départ de son frère bien-aimé, BWV 992, Johannes Brahms (1833-1897), Capriccio, opus 76 n°1, Variations sur un thème de Paganini, opus 35, livre 1,  Reynaldo Hahn (1874-1947), Mignouminek (œuvre inédite), Gabriel Fauré (1845-1924), Valse-Caprice n°2 en ré bémol majeur, opus 38, Maurice Ohana (1913-1992), Caprice n°1, Charles-Valentin Alkan (1813-1888), Le festin d’Ésope, opus 39 n°12
  • Bizet sans paroles, Mirare, 2020 : Chants du Rhin, Venise (paraphrase de Gouin, sur la romance de Nadir extrait des Pêcheurs de Perles ), Variations chromatiques, Bizet / Rachmaninov Menuet de l’Arlésienne,  Saint-Saëns / Bizet Concerto pour piano et orchestre n°2 op. 22 (Transcription pour piano seul)
  • Liszt Macabre, Mirare, 2017 : Mephisto-Walzer n°2, S.515 1881, Pensée des morts (Harmonies poétiques et religieuses), S.173 1853, Totentanz (transcription piano seul), S.525 1865, Funérailles (Harmonies poétiques et religieuses), S.173 1853, Csárdás macabre, S.224 1882, Gretchen (Eine Faust-Symphonie), S.513 1876

Pour aller plus loin

Nathanaël Gouin, captivant et poétique (radiofrance.fr)

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