Culture

Le carnet de lecture de Patrice Romedenne, journaliste et écrivain, Le saut vers la liberté

Auteur : Patricia de Figuieredo
Article publié le 23 novembre 2023

Pour son premier roman, le journaliste rédacteur en chef à France Télévisions Patrice Romedenne a choisi de mettre en lumière la vie de Conrad Schumman (1942 – 1998), l’homme qui, aux prémices de la construction du mur de Berlin, sauta le 15 août 1961 au-dessus des barbelés pour passer de Berlin-Est à Berlin-Ouest. Il fut pris en photo, ce qui le rendit immortel. Patrice Romedenne associe ainsi sa passion pour la photographie à celle de l’Histoire. « Le saut vers la liberté », paru aux éditions Plon, retrace la vie de l’inconnu le plus célèbre de la guerre froide.

« Une photo vaut parfois mille discours »

Patrice Romedenne est parti d’une photo iconique de l’histoire contemporaine : celle de ce vopo de 19 ans qui, sur un coup de tête, alors qu’il fait sa ronde, saute les barricades du mur de Berlin en construction. La photo a été prise le 15 août 1961 par Peter Leibing, photographe stagiaire de 20 ans qui, installé côté Ouest, observait depuis de longues heures le vopo Conrad Schumann, avait remarqué sa nervosité et l’avait trouvé suspecte.
Résultat : un cliché parfait où le vopo semble voler sur les barbelés, défier l’apesanteur. Il symbolise une liberté qu’il faut prendre et il fera le tour du monde. Pourquoi Schumann, a priori communiste convaincu, a-t-il sauté à cet instant ? Quelles seront les conséquences pour lui, pour sa famille ? C’est l’objet du livre.

« Après ma nomination, mon premier réflexe fut de me rendre à Check Point Charlie, au musée du Mur de la ville. »

Le journaliste connait bien Berlin où il a passé 4 ans, de 2000 à 20004, comme correspondant permanent de France 2. « Après ma nomination, mon premier réflexe fut de me rendre à Check Point Charlie, au musée du Mur de la ville. » Immergé dans ce musée, il tombe sur la photo qui réveille en lui des souvenirs : « Je l’avais vue dans des livres d’Histoire, elle m’avait marquée. Elle dégage une force qui m’a donné envie de m’intéresser à ses protagonistes. »

« Tout ce qui n’est pas vrai est vraisemblable.»

Patrice Romedenne, journaliste rédacteur en chef à France Télévisions, ancien correspondant à Berlin signe Le saut vers la liberté » ( Plon) Photo DR

L’idée reste en sommeil et des années plus tard, il choisit d’en faire un roman. Il reconstitue la vie de Conrad en la resituant dans le contexte historique de l’époque, travaillant sur des coupures de presse, des documents sur la vie quotidienne en ex RDA et sur certaines archives déclassifiées.

Tout ce qui relève de la chronologie historique et des événements politiques qui se sont enchainés est vrai. Les personnages majeurs ont existé. J’ai même rencontré l’un d’entre eux. Et ce qui n’est pas vrai est vraisemblable, c’est la magie du roman !

Il faut se remettre dans le contexte.
À l’époque, il y avait le camp occidental, le camp du pacte de Varsovie, et au milieu une ville coupée en deux où l’on pouvait encore passer de l’Est à l’Ouest. Quand tous les forces vives de l’Est l’ont compris et ont commencé à fuir, les autorités communistes ont durci les conditions de passage et cela a abouti à la construction du mur à l’été 61. La répression s’est faîte dans le sang.
Nul n’imaginait que ce mur deviendrait LE symbole géopolitique de la seconde moitié du XXè siècle. Berlin était une incongruité. Cette ville n’intéressait pas grand monde. Il est d’ailleurs révélateur que l’auteur de la photo, envoyé par une agence de presse de Hambourg, n’ait été qu’un petit stagiaire. Ca ne l’a pas empêché de faire la photo du siècle !
Patrice Romedenne

Le saut vers la Liberté

Patrice Romedenne nous fait vivre cette période bien particulière entre la grande histoire de la construction du mur et sa chute. On mesure le fossé qui s’était créé entre les deux Allemagnes, entre les Allemands eux-mêmes. La scène où Conrad revoit son père qui a obtenu une permission d’une journée est assez terrible : la tension et les non-dits ressortent entre les deux hommes. La peur des services secrets et des représailles est sous-jacente.

Le roman est construit en chapitres brefs qui donnent un rythme bien particulier au récit. Nous sommes plongés dans l’atmosphère de la ville, la chape de plomb qui commence à tomber sur le pays. Puis l’instantanéité de la décision de Conrad : il saute, cède à une pulsion. La photo fait de lui un symbole. À cet instant de gloire, a succédé une vie plutôt terne, Conrad laissant derrière lui sa famille, ses parents, son frère et sa sœur. Le mur tombé, le transfuge de retour dans son village découvre qu’il n’est pas le bienvenu, considéré comme un traître. Le roman est l’histoire de deux destins de deux hommes ordinaires, Conrad Schumann et Peter Leibing, le photographe, transcendés par l’Histoire.

« La photo de Peter Leibing est parfaite, or il est très difficile de faire une bonne photo »

Le saut vers la liberté » se dévore comme un roman d’espionnage, un roman policier. Il permet à son auteur de démontrer la force terrible que peut avoir une photographie. D’ailleurs, le camp occidental s’en servira pour dénoncer le communisme. A juste titre, son auteur, Peter Leibing recevra prix Overseas de la photo de l’année, qui s’inscrit dans les clichés iconiques de l’Histoire du XXe.

Parti sur sa lancée Patrice Romedenne a d’autres idées de romans : autour de la captivité et du football, autour de la folie des Khmers rouges ou encore autour du Maroc des années 70. Nul doute que sa passion pour la photographie aura encore sa place dans ses récits.

Patricia de Figueiredo

Le carnet de lecture de Patrice Romedenne

« KM 960 » par Valérie Fayolle (Plon)

Valérie Fayolle nous embarque dans un road-trip qui relie Paris à Nice en passant par les méandres du voyage intérieur où il est souvent question d’amour. Mais « KM 960 », c’est aussi un livre qui chante car ses émotions, la narratrice les traduit en chansons dont elle signe l’écriture et l’interprétation. On y accède via des QR codes. La marque d’un talent éclectique, Valérie Fayolle ayant aussi écrit une pièce de théâtre, « Le comble de la vanité », d’où il ressort qu’une famille sans cadavres dans le placard n’est pas une vraie famille. Elle y réussit le tour de force de nous faire rire sur le thème de la mort.

« Vous plaisantez, Monsieur Tanner » par Jean-Paul Dubois (Editions de l’Olivier)

Quiconque a fait ou fait faire des travaux de rénovation dans sa résidence secondaire se doit de lire ce livre : ça lui rappellera quelques souvenirs et le consolera de ses mésaventures. Car un chantier sans mésaventures n’est pas un chantier… Entre les plombiers, les carreleurs, les électriciens, les chauffagistes, les plombiers et les arnaqueurs en tous genres qui se détestent férocement mais s’entendent pour piller le proprio, vous n’êtes pas à l’abri d’une crise de fou-rire. Inspiré d’une histoire vraie. Celle de l’auteur, sans doute aussi la vôtre…

« Dans la tête de Zidane » par Sabine Callegari (Editions du Nouveau Monde)

Que s’est-il passé dans la tête de Zinedine Zidane, l’homme du coup de boule de la finale de la Coupe du monde de foot 2006 ? Lui seul le sait, et encore… Lui seul et Sabine Callegari… La psychanalyste, amatrice de football et admirative de l’artiste, s’est penchée sur son intimité, a exploré sa relation au père, à l’autorité, à l’injustice… Il en ressort un livre brillant à la lumière duquel se révèlent mille subtilités. Les amateurs de foot s’y retrouveront ; les autres aussi.

« Premiers sang » par Amélie Nothomb (Albin Michel)

Cette fois, c’est son père qu’Amélie Nothomb met en scène. De l’enfant chétif qui s’accommode avec émerveillement des rudesses de l’hiver belge dans un château semi-hanté au diplomate courageux qui se retrouve face à un peloton d’exécution, on traverse une vie honorable et utile, décrite avec autant de tendresse que d’humour. Amélie Nothomb jamais ne déçoit. On retrouve toujours, sous sa plume, ce sens de l’autodérision qui, déjà, faisait merveille dans « Stupeur et tremblements », le roman qui la révéla.

Et bien sûr tout Victor Hugo, tout Albert Camus et tout La Fontaine !

Pour suivre Patrice Romedenne

Patrice Romedenne, Le Saut vers la liberté, éditions Plon, 200 p., 19 €

Bibliographie

  • Et un, et deux et trois zéro, éditions Michel Lafon, 
  • La belle aventure, éditions Jean-Claude Gawsewitch, 
  • La sexualité, que d’histoires ! (en collaboration avec Emma Strack et Michel Cymes), Éditions du Chêne, 2011
  • Laurent (en collaboration avec Valérie Fignon et Michel Cymes), Grasset
  • Vivez mieux et plus longtemps (en collaboration avec Michel Cymes), Stock, 2016
  • Votre cerveau (en collaboration avec Michel Cymes), Stock, 2018
  • Chers hypocondriaques (en collaboration avec Michel Cymes), Stock, 2018 (paru dans Le Livre de Poche sous le titre « Rassurez-vous« )

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