Culture

Le carnet de lecture de Samuel Liégeon, claviériste, improvisateur et peintre

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 22 septembre 2023

Pourquoi choisir ? S’il pratique le piano et l’orgue, qui lui a valu sept premiers prix du CNSMP et d’être nommé à 24 ans organiste titulaire du grand orgue de Saint-Pierre de Chaillot à Paris où on peut souvent le trouver chaque dimanche à 11h ou 19h, Samuel Liegeon préfère se définir comme « claviériste » pour bien signifier qu’il n’entend pas renoncer à l’un ou à l’autre. De même, il mène une carrière de peintre qui le fait exposer régulièrement. Pas étonnant que le 35e festival de Laon (jusqu’au 8 octobre), inspiré par le 60ème anniversaire de la mort de Jean Cocteau, est invité ce « touche à tout » pour un Ciné-concert, où il  improvise le 26 septembre sur Chaplin et LLyod. Redonner sa légitimité à l’improvisation « savante » reste le véritable engagement de cet artiste inspiré.

Je ne suis jamais senti plus dans un instrument qu’un autre. Aujourd’hui à bientôt quarante ans, je commence à comprendre, et avoir et partager des éléments de réponses sur ma recherche.

Une énergie à la recherche d’un idéal

Samuel Liegeon au grand orgue de Saint-Pierre de Chaillot à Paris dont il est titulaire Photo Wlad Simitch

Quand on lui demande pourquoi le musicien ne choisit, ni entre le piano et l’orgue, ni entre la musique et la peinture, Samuel Liégeons répond qu’il exerce les deux activités pour « trouver un équilibre » pour ne pas être malheureux.
Le lauréat de cinq concours internationaux entre 2008 et 2012 (Haarlem, Chartres, Leipzig, Strasbourg, Muenster) précise  » l’improvisation musicale ne laisse aucune trace une fois que l’on lèvre ses mains du clavier, la peinture c’est tout le contraire, elle laisse des traces concrètes. A la différence de la musique où vous n’avez aucun regard, la peinture laisse des signes tangibles.  » Dans les deux cas de figure au sens propre et figure,  elles permettent de se faire traverser par une énergie dont la liberté et la maitrise est en soi la recherche d’un idéal.

Musique et Peinture sont deux modes d’expressions libres qui cohabitent et se nourrissent mutuellement, et permet de (se) tenir sur la distance.

Sortir du répertoire écrit

S’il se définit comme « claviériste » c’est que le piano et l’orgue sont deux mediums essentiels à son projet artistique, explorer l’improvisation. S’il a, comme beaucoup débuté par le piano, l’orgue c’est très rapidement imposé après. Pour une raison simple.

Le piano, c’est le répertoire, par cœur et de telle façon. L’orgue est davantage accepté comme un instrument d’émancipation. A l’orgue, le musicien a plus possibilité d’improviser en concert, ce qui est beaucoup moins reconnu pour le piano, sans se faire étiqueter ‘jazzman’ .

Samuel Liegeon improvise aussi en peinture Photo DR (1)

L’improvisation, une dynamique essentielle

C’est le XXe siècle qui a cristallisé cette espèce de spécialisation, obligeant les musiciens à se déterminer par une pratique, leur refusant la diversification, tout en marginalisant l’improvisation ‘savante’. Les classes fermées puis réouvertes en 2010 du CNSM, la frilosité des producteurs de salles lui font regretter que l’improvisation « savante » ne soit pas plus considérée à sa juste valeur. Pourtant ce ne fut pas toujours le cas dans l’histoire de la musique qui regorge des improvisations mythiques de grands musiciens, de Bach à Mozart, de Beethoven à Chopin,…

Si les choses ont un peu changé, il faut saluer au passage l’un de ses maîtres, qui a formé toute une génération de musiciens : « Jean François Zygel a remis l’improvisation au goût du jour… en utilisant notamment la forme indirecte du Ciné-concert, mais qui a, elle aussi, périclitée. »

Son Ciné-concert, dans le cadre du 35e festival de Laon où il improvise le 26 septembre sur Chaplin et LLyod s’inscrit clairement dans cette dynamique; à la réserve prêt que pour « coller » aux images et aux rythmes , il faut préparer des musiques de genre (danses, fracas, …). Le musicien revendique d’aller plus loin, de la remettre au goût du jour tout en la sortant de la pratique du jazz.

L’improvisation savante est une école de l’exigence. Il faut écouter toutes les musiques, élargir au maximum sa culture tout en développant ses réflexes digitaux. C’est aussi un aiguillon de la curiosité.

Keith Jarrett, le modèle ultime.

N’oublions pas que la discographie de Keith Jarrett se partage entre concerts d’improvisations, souvent mythiques (Köln Concert, Paris Concert) et enregistrements savants, de Bach à Gurdieff, de Haendel à Mozart, de Chostakovitch à Part (tous chez ECM) « Il est un modèle extraordinaire, la référence absolue, mais qui a réussi en partie à balayer les obstacles parce qu’il avait l’étiquette jazz. »

Malgré l’exemple de Jarrett, le classique n’est pas encore prêt pour se lancer dans la reconnaissance de l’improvisation, sans tomber dans le ‘phénomène de foire’ capable de jouer des prouesses techniques à la manière de’

C’est bien autre chose que revendique le musicien, faire vire la musique tel qu’on la ressent et vie. Nourrie de ses expériences et de son imagination. On comprend dés lors qu’à 40 ans, ayant trouvé un équilibre intérieur, le plus difficile reste à faire. Être en harmonie avec ce que l’on fait et le partager.

Il est temps de répondre à la dynamique libre de Liégeon pour entendre ses improvisations libres en concert. Nous espérons que cet appel sera entendu.

#Olivier Olgan

Le carnet de lecture de Samuel Liégeon

 Concernant les disques, le premier qui m’a véritablement marqué, c’était un disque de Keith Jarrett, le « Paris Concert » qu’on m’a offert quand j’avais 12 ans… Une révélation. Pour la première fois, j’entendais quelqu’un improviser une musique pendant une heure et je me suis dit que c’est ça que je voulais faire plus tard. Souhait presque exaucé puisque 10 ans plus tard, j’étais le premier étudiant du conservatoire national supérieur de musique de Paris à obtenir le Master d’improvisation au piano et à l’orgue.

Après plus que des enregistrements (il y en a tellement !) ce sont certains compositeurs qui m’ont profondément marqué dans ma vie d’artiste. Difficile de citer un interprète,  il y a autant d’interprétations que d’artistes.

Le premier est Jean-Sébastien Bach pour sa puissance, sa rigueur, son humilité et sa force créatrice. Il ne se passe pas un jour sans que je ne se passe pas un jour sans que je joue une pièce de Bach ! C’est devenu d’ailleurs un réflexe quand je m’installe au piano pour travailler, je commence toujours par jouer un prélude et fugue (tous les jours un différent) du Clavier Bien Tempéré pour me « chauffer les doigts »…

Debussy pour sa liberté extraordinaire de parole et son exploration de la couleur, je ne m’en lasse pas d’explorer sa musique même après autant d’années ! Difficile de retenir une pièces de L’Ile Joyeuse, aux Reflets dans l’eau…

https://youtu.be/Ko2_WjP4id4

J’ai également une certaine affinité avec des compositeurs de la renaissance – en ce moment j’écoute de Johannes Ockeghem la Missa Prolationum

mais aussi Perotin et Perotin de l’école de Notre Dame où est née la musique polyphonique,

du baroque, j’aimerais citer Gaëtan Jarry l’ensemble Marguerite Louise, en résidence à Versailles dont j’ai présidé l’association quelques années, leur travail pour le répertoire baroque français est immense.

et du 20e siècle. Ce sont des époques oui il s’est passé tellement de choses artistiquement ! 

Concernant la peinture c’est un petit peu la même chose curieusement. J’ai une grande affinité pour la renaissance et le XXe siècle. « Le jardin des délices » de Jerome Bosch reste sans doute l’œuvre qui me marque le plus.

Mon deuxième choc pictural a été la rencontre avec l’œuvre de Pollock

puis Soulages.

Là aussi on sent une force créatrice particulière qui a presque remis en question (dans le rapport à l’art) le jeune homme que j’étais. C’était comme une claque en pleine figure. J’entrouvrais un espace de liberté fabuleux qui me fascinait et qui me terrorisait aussi.

Plus récemment, et plus je progresse dans mon travail et plus je suis impressionné par Cézanne et Monet mais il m’a fallu du temps.

Le choc arrive plus tard avec ces artistes… 

Et si j’ai un rêve, c’est celui de rencontrer Fabienne Verdier, dont le travail me fascine depuis longtemps

Concernant la littérature, je n’ai pas d’ouvrages précis à indiquer mais plutôt l’œuvre de certains auteurs qui m’ont marqué. D’une manière générale, je suis très sensible à la poésie, beaucoup plus que le reste car il émane de ce genre littéraire, une rythmique, une musique tout à fait particulière.

C’est le cas de Victor Hugo (Je suis né à Besançon comme lui !) pour la force de certains textes (« Le dernier jour d’un condamné » que j’ai relu dernièrement),

Charles Baudelaire et particulièrement « L’invitation au voyage » (pour la petite histoire, nous avons fait graver avec ma femme à l’intérieur de nos alliances, la célèbre phrase « là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté).

Et également Proust, que j’ai redécouvert récemment à l’occasion des célébrations du centenaire de sa disparition et auxquelles j’ai participé. Là aussi le rythme des mots et la manière de construire le discours sur un temps long m’ont beaucoup impressionné. Je me suis aperçu que, plus jeune, j’étais passé complètement à côté de cet auteur… 

Pour suivre Samuel Liegeon

Agenda

  • Chaque dimanche, à 11h et à 19h, quand il n’est pas en concert, Samuel Liegeon tient l’orgue de l’église Saint Pierre de Chaillot, 31 Av. Marceau, 75016 Paris où il a installé une petite galerie pour ses toiles.
  • 26 septembre, 20h, Ciné-oncert, Accompagnement improvisé sur Charlie Chaplin Caught in a cabaret (1914) et Harold Lloyd Safety last  (1923), Conservatoire du Pays de Laon dans le cadre du 35e festival de Laon 

Pour sa 35e édition, le Festival de Laon s’inspire jusqu’au 8 octobre 2023du 60ème anniversaire de la mort de Jean Cocteau, en 1963, pour nourrir une programmation de 12 concerts, avec une création, le 1er octobre, « Le Coq et l’Arlequin, Cocteau et la musique de tous les jours ». avec Julie Depardieu, comédienne, Lidija et Sanja Bizjak piano à 4 mains. Sans oublier de nombreux autres orchestres et solistes : Orchestre des Siècles, Orchestre National de Metz, Orchestre National de Lille, Orchestre de Picardie, Le Concert de la Loge (Julien Chauvin), Les Frivolités parisiennes, Alice Sara Ott, Pascal Contet, Alexandre Gattet, Lidija et Sanja Bizjak, Romain Leleu Sextet, Trio Paul Lay, …

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