Culture

Le carnet de lecture de Véronique Iaciu, Festival du Périgord Noir

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 21 juillet 2022

Si le Festival du Périgord Noir fête ses 40 ans du 28 juillet au 19 août 2022, Véronique Iaciu en assure la direction artistique depuis 30 années avec des convictions intactes : créer le désir, bousculer les lignes et les étiquettes, prendre des risques pour révéler des territoires patrimoniaux (la Dordogne) et musicaux, et surtout des talents. C’est aussi la vocation de l’Académie baroque internationale dont le concert de clôture avec La Ressurezione d’Haendel vaut manifeste.

Créer un festival, c’est créer une envie.

Femme, soeur et fille de violoniste, Véronique Iaciu assure la direction artistique du Festival du Périgord Noir depuis 30 ans Photo DR

« C’est donner à un public la possibilité de découvrir « autre chose », rappelle Véronique Iaciu, directrice artistique du festival du Périgord noir : de la création de pages du répertoire créées de façon différente, à une atmosphère de concert, un happening aussi comme cette année un hommage à Michel Legrand avec l’intervention d’une pastelliste, une randonnée littéraire autour du Prix littéraire des musiciens 2022, …. Notre engagement est d’étonner, d’être créatif ! et d’être audacieux pour des personnalités encore peu connues, comme la  rencontre avec Florencia Di Concilio (Prix Michel Legrand 2021), compositrice de la musique du film d’animation « Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary » de Rémi Chayé. »
La femme, sœur et fille de violoniste aurait pu citer bien d’autres pépites de son programme de plus de 35  rendez vous en tous genres, elle en assume les conquêtes et les risques :  » Peu importe notre déception si le public répond peu à l’inconnu, l’important est de créé pour celui qui est présent le désir d’aller voir plus loin. »

Jamais en manque d’idées

Et pour tenir sa promesse, Véronique Iaciu est prête à tous les défis : pour les 40 ans, elle est sortie volontairement de sa zone de confort. L’invitation en grande formation de l’Orchestre Appassionato dirigé par Mathieu Herzog, l’a obligé les 3 et 4 août à basculer la place du public et de la scène dans l’Église de Saint-Léon-sur-Vézère, le lieu référent du Festival.

L’autre ambition du Festival est de faire rencontrer et travailler ensemble des musiciens qui ne se connaissaient pas comme la fratrie Moreau (Edgar, Raphaëlle et David) avec le Quatuor Tchalik (le 6 aout) ou des parallèles stimulants comme le 16 avec le spectacle musical d’Olivier Baumont « Il est impossible d’être jeune et tout à fait sage » autour de la figure d’Henri d’Effiat de Cinq-Mars (1620- 1642), dernier favori de Louis XIII, décapité à 22 ans pour avoir conspiré contre Richelieu, suivi Raphael Imbert quartet ! …
« Tout est toujours possible sans perdre son âme » revendique Véronique Iaciu en couvrant tout le spectre des musiques, n’ayant jamais peur de bousculer son public, et les musiciens.

Tout ce qui peut enfermer n’est pas bon

Plutôt que de parler du baroque d’hier, ce qui intéresse Véronique Iaciu est de parler de celui d’aujourd’hui,  notamment de l’ Académie Baroque Internationale du festival. Il constitue un vivier de jeunes talents, à faire éclore, reconnaitre « véritable vocation d’un Festival » insiste la directrice artistique. « Elle est animée par  une bande de trentenaires qui ont à la fois une réflexion sur la partition mais surtout une pédagogie formidable : Johannes Pramsohler enseigne le violon à la fois physiquement sur le corps, les notions d’espace et d’interprétation mais pas seulement, semble vivre le baroque au quotidien, comme d’ailleurs Iñaki Encina Oyón le directeur de l’Académie, tous ont ont une vision complète mais une fabuleuse capacité de transmettre quelque soit les niveaux des classes de conservatoire de Dordogne. La musique doit transcender, ne plus rester seulement dans l’interprétation, mais emporter.  Dans l’univers du baroque nous avons vraiment des musiciens qui savent faire même s’ils existent aussi dans la musique classique ! »

La recherche du répertoire reste intacte, jamais close, comme par exemple la gambiste Lucile Boulanger qui rapproche  et tisse des liens entre des transcriptions de Bach et avec des sonates de Carl Friedrich Abel , ce que personne n’avait fait avant elle. Même volonté de découvertes pour Johannes Pramsohler qui a enregistré les premiers concertos pour violon en France par des compositeurs plutôt rares comme Leclair, Corrette, Exaudet, Quentin ou Auber et dans son propre label Audax !

Il y a 20 ans à part les grands (de Minkowski à Herreweghe) il était difficile de produire des baroqueux tout simplement parce qu’ils n’avaient pas une bonne pratique instrumentale. Ces carences se sont évaporées grâce un enseignement très professionnel, reste un enthousiasme formidable.

Résurrection permanente

Aucun hasard si l’Académie présente cette année l’oratorio de Haendel, La Resurrezione, œuvre exigeante mais qui aux yeux de Véronique Iaciu, est aussi un véritable manifeste, pour projeter le Festival dans l’avenir, avec toujours de multiples projets comme ses parcours culturels sonores géolocalisés et l’obsession des traces tangibles à l’année dans sa région et son patrimoine.

Le carnet de lecture de Véronique Iaciu

Solo Bach/Abel, par Lucile Boulanger (cd Alpha). J’ai toujours été en admiration devant cette artiste, venue au Festival, aux multiples talents (comédienne, musicienne) sachant immédiatement rentrer en correspondance avec son auditoire et créer un climat propre à l’écoute. Beau choix d’enregistrement que ce mélange Bach/Abel. De l’intelligence musicale à l’état pur.

Michel Legrand – Dédication, d’Hervé Sellin. Un amour inconditionnel de la musique de Michel Legrand rencontré au Festival de Montreux voilà très longtemps avec Quincy Jones ! Bien sûr le gâteau de Peau d’Âne a bercé mon enfance (même si j’ai essayé la recette qui est épouvantable !!!) et par la suite beaucoup de jolies mélodies qui évoquent pour moi l’insouciance de la jeunesse. Le prix Michel Legrand (composition) initié par Macha Méril-Legrand en 2021 m’a permis de découvrir le talent et travail d’une compositrice uruguayenne vivant à Paris Florencia Di Concilio que j’ai donc invité au Festival cette année pour découvrir son travail dans le film d’animation Calamity Jane de Rémi Chayé. Également cet été dans le cadre de la saison, une soirée spéciale avec des artistes de légende comme le pianiste Hervé Sellin.

Leclair, Corrette, Aubert, … Concertos, par Johannes Pramsohler, avec l’Ensemble Diderot (CD plébiscité par nos festivaliers en 2021). Johannes Pramsohler, découvert à l’Académie du Festival voici de nombreuses années, m’a toujours ébloui par son talent et son intelligence musicale. Etant moi-même musicienne et femme d’un mari violon solo à l’ONL, le violon est bien pour moi un instrument magique ! La capacité de Johannes de découverte de partitions originales sous son label Audax Records toujours renouvelées est extraordinaire et sa grande maîtrise de son instrument dans un répertoire baroque est impressionnante ! sans oublier son extrême gentillesse…contente que le public français enfin le découvre vraiment !

Simon Hantai, Sans titre, 1984 (Exposition du centenaire, Fondation LVMH 22) Photo OOlgan

Simon Hantaï, L’exposition du centenaire (Fondation LVMH) organisée en collaboration avec la famille Hantaï, rassemblant plus de 130 œuvres de l’artiste dont beaucoup jamais exposées, pour la plupart de grands formats et centrée sur les années 1957-2000.
Une passion pour le travail de cet artiste. Un intérêt particulier car les arts plastiques sont mon premier domaine de compétence après la musique. Je suis encore aujourd’hui consultante en art contemporain pour des entreprises (espaces de réception dans les compagnies, lobby, etc.) et je visite donc beaucoup d’expositions d’artistes. L’œuvre picturale d’Hantai est riche et foisonnante et très honnête intellectuellement. C’est important cette éthique dans l’art, ce professionnalisme et j’ai eu l’occasion aussi d’accueillir son frère au Festival Pierre Hantai.

Joaquin Sorolla y Bastida (Fondation Madrid). Un vrai coup de cœur lors de ma dernière visite à Madrid dans la Fondation qui héberge son œuvre. Encore une fois un lien très fort en terme de matérialité dans cette peinture d’extérieur d’un peintre post-impressioniste solaire pour des scènes de genre d’un grand lyrisme (grands aplats de couleur blanche des scènes de plage)… Proche de la musique d’un Debussy (1862 – 1918)… 

Métamorphoses d’un mariage, de Sandor Marai. Une vraie découverte d’un auteur hongrois (1900- 1989) né sous l’empire austro-hongrois proche pour moi de l’écriture d’un Stefan Zweig, et qui a connu un destin incroyable abandonnant son pays en 1948 et qui connaîtra 41 années d’exil en poursuivant son travail d’écrivain et de dénonciateur du communisme. Il se suicidera à San Diego en 1989 huit mois seulement avant la fin de la République populaire de Hongrie ! Mon mari est roumain et il est arrivé en tant que réfugié politique en France en 1980 donc cette période du bloc de l’est et de ses écrivains résonne en moi.

La guerre n’a pas un visage de femme, de Svetlana Alexievitch. Lors de la conférence de presse du 8 octobre 2015, jour de la remise du prix Nobel, elle déclare : « Le monde russe est bon : son humanité ainsi que tout ce que le monde a toujours vénéré jusqu’à présent : sa littérature, ses ballets, sa grande musique. Ce qui n’est pas aimé, c’est le monde de Beria, Staline, Poutine et Serguei Choigou. » Tout est dit par cette femme biélorusse la première femme russe à recevoir le Prix Nobel de littérature en 2015 et j’admire son regard sur les femmes en période de conflit armé. Très émouvant. 

Nous aurons d’ailleurs et malgré le conflit ukrainien, un pianiste russe dans notre saison musicale 2022 Dmitry Maaslev. 

Le cinéma est un pilier de la programmation du Festival du Périgord Noir

Borgen, avec Sidse Babett Knudsen. Encore une femme extraordinaire, actrice danoise formidable dans le film « La fille de Brest », sur le scandale du Médiator. Cette série (je suis fan de série comme également celle de Peaky Blinders avec Cillian Murphy) sur une première femme en tête d’un gouvernement a été un vrai délice.  Fan de beaucoup de séries danoises où on peut retrouver des acteurs danois magiques comme Mads Mikkelsen.

Some like it hot, de Billy Wilder (1959). Le must absolu, les soirs de cafard…tout est parfait dans cette comédie : le duo Tony Curtis/ Jack Lemmon à son apogée de drôlerie avec des dialogues somptueux et bien sûr la star Marylin tout ceci dans le Chicago des années 1929. Rien à jeter! 

https://youtu.be/HZNw624UAJY

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, de Remi Chaye. Un très joli moment de cinéma d’animation pour tous les publics sur la jeunesse de cette légende de l’Ouest. Une manière aussi de présenter une histoire de fille loin des standards Disney : on le diffusera au Festival cet été avec la présence de la compositrice de film Florencia di Concilio.

Rois et reine, d’Arnaud Desplechin. Un régal cinématographique, un rapport spécial à Arnaud qui était dans mon Lycée à Roubaix et dont je suis la carrière avec délectation. Ce film est certainement un des plus aboutis de sa carrière.

Pour suivre le 40e Festival du Périgord Noir

du 28 juillet au 19 août 2022, le Festival du Périgord Noir fête ses 40 ans, en itinérance dans le département de la Dordogne, dans la région historique du Périgord,

  • jeudi 4 août , la soirée du concert anniversaire des 40 ans du Festival : Mathieu Herzogà la direction, l’Orchestre Appassionato (composé de 18 musiciens), Jeanne Gérard, soprano, Gérard Caussé, alto, et Pierre Génisson, clarinette,

du 8 au 19 août 2022, l’Académie baroque internationale du Festival du Périgord Noir, dirigée par Inaki Encina Oyon au village de Saint-Amand-de-Coly, en Dordogne clôt leur formation avec l’oratorio « La Resurrezione » HWV 47 de Georg Friedrich Haendel le 19 à l’Abbaye de Saint-Amand-de-Coly.

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