Culture

Le Carnet de Lecture de Xavier Phillips, violoncelliste, improvisateur, Lausanne Soloists, Double Celli

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 juin 2023

Soliste et pédagogue, chef d’ensemble et improvisateur de jazz, Xavier Phillips démultiplie les possibilités fabuleuses de son violoncelle. Celui qui a eu entre autres Rostropovitch comme mentor ne croit pas aux écoles nationales, mais à « l’école du son, cette dimension qui forge l’unique identité du musicien ». Il forge la sienne dans la diversité de ses rencontres : le 1er juillet, Eglise de Luzarches où il promeut des compositrices méconnues pour le  Festival « Un temps pour elles », le 21 juillet avec Double Celli, Terres Vibrante en Ardèche, et l’ensemble Lausanne Soloists (27, Nice Classic live, 28, Musicales du Lubéron, et 30 juillet,18h, Festival Puplinge). Rencontre avec un musicien généreux qui fait jouer toutes les cordes de son art.

Xavier Phillips est un musicien rare.

Xavier Phillips violoncelliste aux multiples enthousiasmes Photo William Beaucardet pour La Dolce Volta

Pas seulement parce qu’il arrive en trottinette mécanique avec son violoncelle en bandoulière, pas seulement parce qu’il a eu l’amitié et la bienveillance de Rostropovitch pour le conseiller, lui offrir son instrument, et ouvrir sa carrière, ou parce qu’il est un des rares musiciens classiques à pratiquer le jazz, …, c’est avant tout un humaniste d’enthousiasmes. Si notre rencontre a à peine suffi à les aborder tous, elle laisse une irréductible envie de vivre comme lui tous les possibles qu’offre la musique.

Après le concours, Rostropovitch m’a proposé spontanément de venir lui jouer quelque chose de temps en temps. Donc dès que j’avais un concerto nouveau à monter, j’allais recueillir ses lumières. Avec lui, j’ai travaillé tous les plus grands concertos de violoncelle: ceux de Dvorak, Prokofiev, Chostakovitch, Schumann…

En une heure de leçon, il m’apprenait des choses essentielles. Parce qu’il avait cette énergie incroyable, cette volonté de dire la musique. Il la rendait accessible par son intelligence, sa finesse et sa façon de « donner à voir » ce qu’il ressentait.
Xavier Phillips, à propos de Rostropovitch, dont il imite la voix rugueuse avec gourmandise

La découverte bien sûr

Il s’enthousiasme pour cet élan qui cherche à lever la chappe de plomb qui pèse sur les compositrices. « Si on veut les faire connaitre, il faut d’abord les jouer. Et c’est notre rôle quels que soient les obstacles. »  Et c’est sans surprise qu’il se retrouve à jouer sur les portraits de compositrices que croque avec talent La Boite à pépites d’Héloise Luzzati, violoncelliste comme lui. S’il reconnait, avec ses complices du Quatuor Dutilleux (Guillaume Chilemme, violon, Matthieu Handtschoewercker, violon, David Gaillard, alto, Thomas Duran, violoncelle), qu’il n’est pas toujours facile de rentrer dans une partition exigeante (avec une édition comportant quelques coquilles) comme celle du Quintette de Maria Bach, qu’ils jouent le 1er février à l’Eglise de Luzarches, il est toutefoirs convaincu qu’à force de s’imprégner et d’essayer de dompter cette musique, ils arrivent à en projeter le meilleur. « Avec le travail, on s’aperçoit que c’est beau. Quand on s’en donne la peine, tout sonne bien« .
Sans oublier les deux autres révélations, Rita Strohl, et Claire-Mélanie Sinnhuber.

D’un point de vue moral, mon job est de défendre toutes les musiques. Si j’ai une musique à défendre, ce n’est pas à moi de juger de sa qualité.
Un bon musicien est capable de rendre toute musique intéressante. A plus forte raison, quand c’est vraiment intéressant et que ces compositrices qui avaient du succès à l’époque, méritent de sortir de l’ombre d’une histoire de l’art qui les a évincées.

Le vertige du « paradoxe de l’interprète »

Mettre en avant la partition tout en y investissant toute son identité, est au cœur de l’enseignement de ce pédagogue éclairant. Il ne fait que de rendre à son tour la bienveillance dont il a pu bénéficier  grâce aux conseils de Jacqueline Heuclin, de Philippe Muller et « de la vision universelle du monde » de Rostropovitch qui le prit sous son aile après l’avoir repéré au Concours Rostropovitch 1990 où il obtient le 3ème Prix. Depuis 2013, celui qui se revendique de ce mélange de plusieurs traditions est professeur à la Haute Ecole de Musique (HEMU) de Sion, mais il ne cache pas sa gourmandise d’être le tout nouveau directeur artistique, après Renaud Capuçon de l’ensemble de chambre Lausanne Soloists.

Xavier Phillips devient le chef de l’ensemble de chambre Lausanne Soloists après Renaud Capuçon Photo DR

Le nouveau défi des Lausanne Soloists

Ce qui l’intéresse, c’est évidemment le projet pédagogique et fédérateur qu’il doit développer, quitte à devenir aussi agent pour trouver des concerts au pied levé. Grâce à l’aide de Patrick Canac du Musicales du Lubéron, quatre dates sont fixées : « C’est un ensemble de cordes d’étudiants de l’HEMU de Lausanne intégrant également ceux de l’HEMU de Sion où j’enseigne, qui sera censé  évoluer chaque année, pour en faire une véritable rampe « professionnalisante » avec les armes nécessaires pour affronter le monde musical. »
Cette « peau neuve » en termes d’effectifs renouvelés – qui se regénérera chaque année – s’appuie sur deux petites tournées par an (hiver et été) indispensables pour la cohésion et la régularité, malgré les contraintes de calendrier et de ressources.

Prendre la direction du (grand) Sud

Pour la première tournée cet été, la diversité et l’originalité du programme condensent à elles seules la curiosité pour « trouver des choses intéressantes » et la volonté assumée de sortir de sentiers battus de Xavier Phillips, autour du Sud des grands explorateurs : Vivaldi (Concerto pour violoncelle en sol majeur, RV 415), Boccherini (Concerto pour violoncelle en si bémol majeur, G 482) en alternance avec Alicia Terzian (Trois pièces pour cordes), Nino Rota (Concerto per archi), et Piazzolla (Las Cuatro Estaciones Porteñas). Cette partition est transcrite pour cordes « sans sirop, ni mélange, très âprement » par Olivier Calmel, compositeur avec lequel le violoncelliste joue du jazz.

Le jazz, autre passion et prise de risques

Avant la tournée du Lausanne Soloists, Xavier Phillips retrouve le Double Celli, formation originale animée par les compositions d’Olivier Calmel. Avec modestie, « je pratique le jazz … c’est beaucoup dire : je fais bien ce que je peux », le violoncelliste confie son immense admiration pour ces musiciens qui ne comptent pas leurs sessions, pour souvent de faibles cachets et qui « le mettent au pied du mur. C’est le jeu. »

L’improvisation ne s’improvise pas.
Le seul mérite que je peux avoir, c’est de me précipiter dans la marmite.
Au fur et à mesure, il y a des déclics incluant la capacité de se relâcher, de se laisser aller, imagine-toi que c’est possible. Les musiciens de jazz se braquent sur la partition écrite autant que nous pour l’improvisation. On essaye de garder cette sympathique hygiène, et ce grand moment de liberté.

A son actif, déjà deux disques dont Métamorphoses en 2021. « Cela fait partie de ma vie, même si c’est épisodique. »  D’ailleurs, il confie souvent à ses étudiants son expérience de ses débuts au jazz pour démystifier l’appréhension du tract, du « et si jamais », pour apprivoiser le saut vers l’inconnu.

L’improvisation m’a fait faire beaucoup de progrès du point de vue rythmique. Il faut avoir le time. Cela m’a ouvert aussi de jouer avec la surprise pour capter l’imagination. Cette dimension, consistant à partir de l’inconnu, a beaucoup avancé ma compréhension des conventions de la musique écrite. Il faut avoir un regard perpétuellement neuf sur la musique.
Rostropovitch ne cessait de me dire que la musique ne se joue jamais deux fois de la même façon si l’on est constamment dans le temps présent.

Rien ne se perd, tout participe à construire l’identité musicale

Jouer les oreilles ouvertes.
Ce qui est passionnant en écoutant Xavier Phillips, c’est l’éthique de l’honnêteté qu’il exige pour lui-même, qu’il apprend à ses étudiants, qu’il partage avec ses collègues quelles que soient les musiques, en répétitions, sur scène, mais aussi tout simplement dans la vie.

Ce qui fait la qualité vibrante de la musique, c’est que l’on soit à l’écoute et dans l’instant. Il n’y a pas de sécurité absolue, elle n’existe pas en musique. Ceux qui cherchent la sécurité ne sont pas des musiciens.
Être sur scène, c’est dangereux. Et on peut y perdre des plumes ! On joue sa vie d’artiste.

Être dans la spontanéité, sans chichi, dans la terre

Le temps nous manque dans l’entretien pour développer ses amitiés au long cours, avec son instrument, ce Matteo Gofriller de 1710, et ses partenaires qui prennent tous les risques pour du nouveau à travers des disques importants : Anne Gastinel, sa concurrente du Concours Rostropovitch pour Offenbach, François-Frédéric Guy pour Brahms et Beethoven, Cédric Tiberghien pour Fauré et Alexandre Gasparov pour une transcription des Saisons de Tchaïkovski, tous deux à venir.
Mais toutes les facettes de cette vie très pleine appellent tout simplement à écouter ce musicien qui recherche le souffle, et à le faire partager.

La musique de chambre a cette exigence-là, merveilleuse : il s’agit d’être prévenant les uns envers les autres, d’être heureux non pas seulement de jouer sa phrase mais de faire en sorte que les autres jouent bien la leur également.
Jouer dans l’écoute perpétuelle de l’autre.
Xavier Phillips

#Olivier Olgan

Le carnet de lecture de Xavier Phillips

Khatchaturian, Concerto pour violon et orchestre, David Oistrakh (violon), Aram Khatchaturian (direction)

Même si je suis violoncelliste, et de toute mon âme, la sonorité qui m’a le plus inspiré est celle d’un violoniste : David Oistrakh. Puissante, généreuse et toujours empreinte d’une grande pudeur et d’une inaltérable beauté, la voix de ce violoniste mythique m’a accompagné durant toute mon enfance, mon adolescence et ma vie d’adulte.
Comment choisir entre les enregistrements des concertos de Prokofiev, de Chostakovitch, de Brahms ou encore des sonates de Beethoven avec Lev Oborin, des mélodies et sonates de Prokofiev avec Frida Bauer…pour ne mentionner que ceux-ci?
Peut-être en ne citant que ce concerto de Khatchaturian qui parle, chante et hurle parfois à mes racines arméniennes: il m’est toujours difficile, pour ne pas dire impossible, de retenir mes larmes dans le crescendo gigantesque et tragique du 2e mouvement ainsi que dans le finale où la grâce et la virtuosité d’Oistrakh s’expriment de la plus aérienne des façons.

Henri Dutilleux, Tout un monde lointain, Mstislav Rostropovich (violoncelle) Orchestre de Paris, Serge Baudo (direction)

Mstislav Rostropovich fut mon idole ( il l’est toujours) et mon mentor pendant près de 17 années. J’ai appris de lui tant de choses. Son énergie incroyable et son amour pour les gens m’ont inspiré à tout jamais.
La difficulté de choisir parmi la liste pléthorique de ses enregistrements est aussi grande que pour Oistrakh, c’est pourquoi j’ai porté mon choix sur une de mes œuvres préférées du répertoire: le « Tout un monde lointain » d’Henri Dutilleux.
Je me souviens des très longues heures passées dans la petite chambre très sombre que j’habitais alors, face au pupitre où était posée la partition de cette œuvre sublime que je travaillais inlassablement.
Mes seules pauses étaient consacrées à l’écoute de cet enregistrement, non pour imiter- je n’ai jamais fait cela- mais pour savoir si je me rapprochais du but et aussi pour mieux me familiariser avec ce langage nouveau pour moi, dont Rostropovitch maitrisait si bien l’intense beauté malgré sa complexité.

Offenbach, duos pour violoncelle (la dolce volta) Violoncelles: Anne Gastinel, Xavier Phillips

Ce disque est le premier que j’ai enregistré chez « La Dolce Volta ». Je me souviens encore de la conversation avec Michaël Adda, son créateur, et de lui me disant: tu ne désires pas faire un disque un peu plus « centré sur toi » pour une première apparition sous mon label ?

Et moi, de lui répondre: j’ai envie d’un moment festif et d’amitié et j’ai toujours souhaité graver ces duos, véritables moments d’équilibrisme au violoncelle et d’humour…mais avec la bonne personne!
Oui, mais qui?
Et cela m’est venu comme une évidence: ce serait Anne Gastinel.
Cela semblait pourtant incongru…
Nous nous connaissions peu et ne nous côtoyions jamais: elle était lyonnaise et j’étais parisien. Nous avions été adversaires lors du concours Rostropovitch de 1990 et le jury d’alors, présidé par « Slava » n’était pas parvenu à nous départager.
Nous semblions avoir peu de choses en commun…hormis l’essentiel: une passion pour notre instrument, une très grande exigence musicale et instrumentale et une incapacité quasi viscérale à « tirer la couverture à soi », attitude pourtant assez coutumière des protagonistes dans ce genre de duos.
Je fis donc ma demande à Anne et, après quelques mois d’hésitation, celle-ci accepta.
Quelques années ont passé depuis cet enregistrement et nous nous amusons toujours autant à jouer ces duos, synonymes d’amitié, de respect et de joie partagée entre gens qui se reconnaissent et s’apprécient de plus en plus.

« Corps et âme »(Body and Soul), de Franck Conroy

Il est difficile pour un écrivain, ou pour un cinéaste, de parler de musique de manière convaincante…surtout quand c’est un musicien qui lit ou regarde: on remarque immédiatement les petits détails inexacts, les incongruités voire les aberrations dans la vision de ce monde si particulier qu’est la musique, de la part d’une personne qui ne connait pas réellement celui-ci de l’intérieur… Il faut préciser toutefois que Franck Conroy n’était pas seulement écrivain mais aussi pianiste de jazz.
Ceci explique cela: je n’ai jamais lu un roman sur la musique qui m’ait plus enthousiasmé, plus inspiré et plus ému que « corps et âme » qui raconte la passion autodidacte d’un jeune garçon New-Yorkais pour le piano. Tout les poncifs sont évités dans ce récit où l’émotion parle et nous saisit d’un bout à l’autre de l’histoire.

https://youtu.be/AUzOSzfFUfk

« Si c’est un homme », de Primo Levi

Impossible de ne pas être touché dans sa chair par le témoignage bouleversant de Primo Levi concernant la folie meurtrière du nazisme et les camps d’extermination. Comment peut-on faire cela comment l’idée même d’un projet aussi
ignoble peut-elle germer dans l’esprit d’êtres humains?
Le souvenir le plus fort que j’ai de ce livre, outre les passages insoutenables et les descriptions dont on imagine bien la puissance macabre, est le ton de Primo Levi: toujours empreint d’une humanité incroyable. Il ne pardonne pas. On ne peut pardonner l’impardonnable.
Mais dans sa façon de relater ces choses indicibles, avec lesquelles il est impossible de vivre, que dis-je, de survivre, à tel point  qu’il mit fins à ses jours, Primo Levi se montre tel un être humain dont rien ni personne, malgré toutes les abjectes tentatives, ne parviendra à annihiler la pensée.
Bouleversant et indispensable.

  • Lausanne Soloists
  • Double Celli, avec Clément Petit  (violoncelle), Olivier Calmel (piano & compositions), Johan Renard (violon), Frédéric Eymard (alto), Antoine Banville (batterie & percussions)

Agenda

 

Discographie sélective

  • Brahms, Trio, op.114 et Sonatas, op.120, avec le pianiste François-Frédéric Guy et l’altiste Miguel Da Silva (Alpha, 2021)
  • Jacques Offenbach, 6 duos pour deux violoncelles, avec Anne Gastinel (La Dolce Volta, 2019)
  • Beethoven, intégrale de la musique pour violoncelle et piano, avec le pianiste François-Frédéric Guy (Aparté/Evidence, 2015)
  • Henri Dutilleux, Tout un monde lointain (Concerto pour violoncelle), avec le Seattle Symphony Orchestra (dir. Ludovic Morlot, 2014)
  • Maurice Ravel, « Impressions », avec Emmanuel Strosser et Jean-Marc Phillips Varjabedian. (WEA- Lontano).
  • Chostakovitch, 1er Concerto pour violoncelle, avec Les Dissonances.

  • A paraitre l’automne 2023, Gabriel Fauré, avec le pianiste Cédric Tiberghien (La Dolce Volta).

Pour suivre Xavier Phillips

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