Culture

Le carnet de lecture d’Emmanuel Villaume, chef du PKF - Prague Philharmonia et du Dallas Opera

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 31 mars 2023

Directeur musical du Dallas Opera depuis avril 2013, le chef Emmanuel Villaume tient aussi depuis 2015 les rênes de l’Orchestre PKF – Prague Philharmonia qu’il dirige les 6, 7 et 8 avril 2023 par le Festival de Pâques à Colmar, à l’initiative du violoncelliste Marc Coppey. Singulars a interviewé celui qui se définit comme « californien et texan, parisien et praguois ». Son expérience de direction artistique et d’orchestre des deux cotés de l’Atlantique, équilibrée entre répertoire lyrique et symphonique, constitue un précieux témoignage de la responsabilité des artistes pour l’avenir de la musique classique.

Entre deux continents

Emmanuel Villaume, directeur artistique du PKF Prague Philhar et Dallas Opera Photo MAFRA Tomáš Krist

Si le natif de Strasbourg (en 1964) est rare en France depuis avoir quitté son poste Dramaturge de l’Opéra National du Rhin à Strasbourg, Emmanuel Villaume poursuit une magnifique carrière des deux côtés de l’Atlantique.
Directeur artistique et chef d’orchestre de l’Orchestre philharmonique slovaque et de l’Orchestre philharmonique national slovène (2009-2016), et directeur musical du prestigieux Festival de Spoleto, aux États-Unis (2001 à 2010), il se partage désormais entre l’Opéra de Dallas depuis avril 2013 et les rênes de l’Orchestre PKF – Prague Philharmonia, depuis 2015. Avec une exigence permanente, soutenir les musiciens à s’écouter et faire confiance au public.

Il faut du temps pour créer une relation de respect à travers une progression à travers plusieurs années.
Si la confiance est instaurée, le public vous suit sur des territoires insoupçonnés de lui.
Emmanuel Villaume

Vous vous définissez comme « californien et texan, parisien et praguois », que vous procure ces trois concerts en France ?

Il est très heureux de revenir en France pour diriger le Prague Philharmonia, orchestre que je dirige depuis une décennie avec lequel j’ai pu développer mon propre parcours artistique, et un certaine forme d’ approfondissement de ma nature artistique et musicale. En même temps que le développement de l’orchestre. Je suis très fier de les présenter en résidence au festival de Pâques de Colmar.

Même si je regrette la suspicion par rapport aux artistes expatriés qui sont pourtant nés dans le lieu même. On m’avait dit faite votre carrière à l’étranger, et quand vous reviendrez plus tard ce sera plus facile. Ce plus tard c’est maintenant. J’ai fait un enregistrement récent avec l’Orchestre de Bordeaux qui s’est très bien passé. Je suis en discussion avec l’Opéra de Paris pour le début de saison 2024.     

Comment définissez-vous votre personnalité artistique ?

Si c’est difficile de le dire pour soi-même, ma carrière j’ai cherché un équilibre, entre la force expressive du moment, le caractère dramatique de la musique , voir parfois théâtrale, sa discursivité clivante et un respect, et un amour de la compréhension de la forme, de l’architecture et du sens intellectuel des œuvres musicales. Même si c’est un peu raccourci, c’est un équilibre entre romantique et spontanée de la musique vivante et la recherche poétique intellectuelle et architecturale qui peut y avoir dans une partition en elle-même.
Au début de ma carrière,  j’étais beaucoup plus porté par l’énergie dans le mouvement, la narration, l’émotion et la communication avec le public et les musiciens dans le moment. (Cela m’a d’ailleurs été reproché).
Aujourd’hui, je suis de plus en plus intéresse par l’équilibre des formes, l’alliance  des couleurs, la vérité poétique, plutôt au niveau de la compréhension des formes et des structures.

On ne peut avoir être un bon musicien sans avoir toujours le sens de l’équilibre
entre ses deux versants de l’analyse et l’interprétation musicale.

Cet équilibre se retrouve aussi dans vos « deux » vies entre un orchestre symphonique et une maison d’opéra ?

Pour moi, les chefs intéressants – et il y a très peu d’exception voir aucune – sont à la fois à l’aise dans le lyrique et dans le symphonique, à l’Opéra dans la fausse, sur scène dans la salle de concert. Cet équilibre très important pour aller en profondeur dans les partitions.
Le Mozart écrit des symphonies est le même qui glisse des blagues salaces dans ses opéras, ce sont les mêmes pulsations humaines qui s’expriment. Avoir une vision à la naphtaline de ses symphonies, c’est être complétement de la plaque de l’essence vitale de ces œuvres-là.

De la même façon dans ses œuvres lyriques, où l’on est en apparence dans la farce ou le divertissement, Mozart a le souci de la forme, de l’équilibre et de la pureté orchestrale, et de l’architecture musicale dans le sens le plus noble et le plus construit du terme.
Quand Mahler écrit ses symphonies, il les écrit en compréhension et avec tout son savoir des opéras passés (Mozart, Mahler) et présents (Strauss, Schoenberg). Difficile de le jouer sans connaitre ces répertoires et avoir un sens des enjeux vitaux qui sont exprimés de manière émotionnelle et dans un geste exprimé de façon dramatique.

Quand j’explore une symphonie avec le public, il est très important d’avoir le sens de l’expression, du développement de la musique dans le mouvement, avec ce qu’il a peut présenter de fragile, des résonnances affectives théâtrales. Quand je donne une œuvre lyrique, il est très important pour moi de porter une grande attention à la texture orchestrale, aux équilibres et au développement général de la forme.

Comment adaptez vous les orchestres aux lectures historiquement informées ?

Les instruments d’aujourd’hui sont très différents du temps de Mozart. Pour ma part, je n’ai ni les connaissances, ni le parcours de l’utilisation des instruments d’époque.  Il faut avoir le sens du son et du phrasé qui prennent en compte les possibilités techniques de l’époque mais qui les traduit et les révèlent à travers les instruments que l’on a à notre disposition aujourd’hui.

L’Orchestre de Prague est une formation qui a grande connaissance de la période classique (Mozart, Haydn, Beethoven). A l’origine, ce fut un orchestre dit « de chambre » mais nous jouons sur des instruments modernes, en essayant encore une fois de comprendre les différences avec les possibilités techniques des instruments d’époque, pour arriver à une naissance du texte qui n’est pas littérale mais qui est tout de même informée, et qui permet de traduire quelques chose de son et du génie de chaque compositeur.

Le plus important, est l’esprit de chambre de l’orchestre, il fait de la musique dans une dimension plus resserrée avec un rapport constant, de respiration et d’écoute de chaque musicien avec ses collègues, avec une attention extrême au détail. On n’est pas dans une soupe symphonique où la somme des erreurs collectives va définir une certaine moyenne du tempo, de la couleur et de la dynamique. On est dans une responsabilité individuelle et collective en constante « dialectique » entre les musiciens.
Cette culture de l’écoute, de détails et de l’échange est très intéressante aussi dans des pages symphoniques aux effectifs plus larges. Une symphonie de Dvorak jouée avec cet esprit 
« de chambre » à tout d’un coup une verve et une intensité et des couleurs que l’on n’a pas autrement dans un sens de la forme plus générique.

Qu’osez-vous maintenant que vous ne faisiez pas avant ?

Le rapport d’un Directeur musical avec son orchestre peut s’épuiser avec le temps. Au bout d’une décennie, on est tombé dans une certaine routine, comme dans un couple, on a plus grand-chose à dire de nouveau. Sauf quand il y a eu une évolution réciproque et un chemin parcouru ensemble. Je ne suis plus le même chef, qu’il y a dix ans, et ce ne sont plus les musiciens qu’il y a dix ans.

Ma construction musicale s’est faite coude à coude avec le développement de l’orchestre. J’ai un nouveau chemin à parcourir ensemble ; déplacer le répertoire, vers la musique contemporaine, ou le répertoire tchèque.

Vous qui êtes entre deux modèles américains (sur fonds privés) et européen (mixte) la séduction du public devient une exigence ?

Il faut faire confiance à l’intelligence du public. Pour réussir, il faut du temps pour créer une relation d’intérêt et de respect à travers une programmation qui se fait sur plusieurs années. Si la confiance est instaurée, le public vous suit vers des titres qui sont moins – à priori sur le papier – porteurs. Si vous avez d’emblée une programmation ésotérique – et parfois très personnelle – et que n’avez personne dans votre salle, vous avez perdu.  

Il faut de manière authentique, de manière juste, établir ce rapport de confiance. Il y a une forme d’intégrité et de justesse dans l’interprétation et dans la façon dont on va monter ses œuvres en leur donnant toute notre attention, un équilibre entre cette exigence artistique   et la nécessité d’instituer un rapport de confiance avec le public.

A travers les années, ce chemin ensemble marche, même si c’est la source de nuits blanches dans mes deux institutions !

Quand vous jouez Tosca, Das Rheingold, Beethoven ou Malher, il faut les donner le même intégrité, la même énergie, la même vitalité, le même sens de la nouveauté que si on choisit une œuvre contemporaine ou sortie de derrière les bibliothèques.
On est là pour dépoussiérer, sinon c’est mépriser le public

Emmanuel Villaume, directeur artistique du PKF Prague Philhar et Dallas Opera Photo DR

Toutes les institutions musicales vont sortir de la zone de confort

Si je n’ai pas des salles pleines, j’ai un vrai problème de budget, de crédibilité à Dallas, comme à Prague. Ce n’est pas (encore) le cas de beaucoup de salles européennes, mais c’est l’avenir qui se profile pour tout le monde. Mais cela convoque ma position autant de créateur que de gestionnaire, les deux sont dans un rapport de complétude, et d’interactions qui semble assez juste. Les commandes comme le grand répertoire, il faut prendre du temps pour remplir la salle, avec un travail avec le public et une exploration collective. Pour les aider à sortir des chemins battus qui sont les leurs.

Toute œuvre, de la plus rabattue à la plus exigeante, a toujours quelque chose à dire au quotidien de chacun, qui peut lui parler, de lui et du monde.
Notre travail est de permettre l’accès à cette œuvre, aplanir les lacunes et combler les trous..

Propos recueillis le 28 mars par téléphone par Olivier Olgan

Le carnet de lecture d’Emmanuel Villaume

Mendelssohn,  Scottish symphony,  dirigée live par Charles Munch.

A la tête de l’Orchestre Symphonique de Boston, Munch offre une vision de cœur, déjanté fausse, mais o combien provocatrice ! 

Strauss, Frau Ohne Schatten, par Karl Böhm, Wiener Staatsoiper, 1955

https://www.youtube.com/watch?v=zLt64I6DKog

Debussy, Pelleas et Mélisande, par Claudio Abbado

Dvorak,  7ème symphonie par Karel Ancerl

Saint John Perse, Amers (Gallimard)

Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes (Philippe Rey)

Pour suivre Emmanuel Villaume

Ses orchestres

Le site du Festival de Pâques à Colmar, du 31 mars au 17 avril

  • 6, 7 et 8 avril, Prague Philharmonia sous la direction d’ Emmanuel Villaume
  • 8 avril, Orchestre symphonique de Mulhouse sous la direction d’Augustin Dumay.

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