Culture
Le carnet de lecture d’Estelle Béréau, soprano & Guilhem Terrail, contre-ténor,
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 29 avril 2022
A la scène comme à la ville, la soprano Estelle Béréau et le contre-ténor Guilhem Terrail ont associé leurs voix. La fusion de leurs timbres dans l’enregistrement 1900 (Artie record) dédié aux Mélodies françaises de Debussy à Roussel avec notamment six duos fascinants de Charles-Marie Widor donne une aura supplémentaire aux textes des plus grands poètes français (Victor Hugo, Baudelaire, Verlaine…). Une invitation au voyage et à s’affranchir des routes balisées pleinement réussie.
Rapprocher les voix
Le plus difficile quand vos registres de voix sont si différents est de trouver un programme si possible original qui permet de les fusionner avec pertinence. Malgré leurs engagements multiples, Estelle Béréau, et Guilhem Terrail chanteurs unis dans la vie depuis leur rencontre en 2014 sur une scène d’opéra, cherchaient le répertoire qui pourrait le mieux exprimer leur riche personnalité.
La profondeur de la mélodie française – pourtant peu représentée dans les saisons des grandes institutions – leur réserve des pépites.
D’autant qu’avant Philippe Jaroussky (Opium, en 2009, suivi de Green en 2015), la mélodie française était peu investie par la volupté aigue du contre-ténor. Il est vrai que les falsettiste ne se hasardent que rarement dans un genre où l’on privilégie les voix plus pleines et plus puissantes, au risque de brouiller la voluptueuse délicatesse.
Le pianiste Paul Montag rejoint l’aventure avec l’étroite connivence d’un complice de musique de chambre. D’autant que les compositeurs français Chausson, Debussy, Duparc, Roussel, ou Viardot presque tous pianistes, font de la partie de piano le ressort dramatique, à l’égal de la partie vocale.
1900, ou l’effervescence créative de l’exposition universelle
La découverte de six duos que Charles-Marie Widor destinait à un soprano et à un contralto les poussent à concocter un programme avec d’autres duos d’autres grands compositeurs du début du 20ème siècle, comme Rêverie de Pauline Viardot avec comme fil fédérateur les textes des plus grands poètes français (Hugo, Baudelaire, Verlaine…).
Chacun y démontre individuellement la ductibilité et l’entendue de leur voix dans un répertoire où se libère un lyrisme enchanteur quasi opératique.
Le cycle des Ariettes oubliées de Claude Debussy sur des poèmes de Verlaine, La force mélodique d’Henri Duparc ou Adieux d’Albert Roussel conviennent parfaitement aux accents profonds parfois moirés d’Estelle Béréau qui apporte son élan et sa singularité, cherchant la coloration, les plus appropriées. Ici la ligne et la longueur du souffle prévalent. La voix cherche moins à faire valoir sa dextérité qu’à scander la parole.
Loin des clichés de la préciosité attachée à tort à ce répertoire, Guilhem Terrail s’empare de Temps des Lilas d’Ernest Chausson et de quatre mélodies d’Henri Duparc. Ce qui va surprendre, c’est l’évidence qui s’installe, la simplicité de l’ approche, sa sincérité et même tout contre ténor qu’il soit – une puissance voilé qui évitent tout exotisme. Le tour de force de Terrail est musical, il nous entraine dans une ballade se jouant de demie- teintes…
Clé de voute d’un programme où la tenue du chant est essentielle, où la voix doit savoir jouer sur l’indéfinissable frontière entre musique et verbe, le duo s’épanouit dans les mélodies de Widor – soutenu par le piano de Paul Montag – avec une aisance exquise ou quelque chose d’indéfinissable s’impose, un « port de tête » qui fait la magie de ce voyage. Les entrelacs des registres libèrent une délicatesse et une facilité d’empathie qui entrainent l’oreille.
Notre duo signe une invitation au voyage pleinement réussie qui s’affranchit des routes balisées et en appellent d’autres.
Le carnet d’écoute d’Estelle Béréau et de Guilhem Terrail
Estelle Béréau
Puccini, Tosca par Sir Colin Davis. Mon entrée dans l’opéra, j’étais complètement subjuguée par la puissance et l’intensité de cette histoire, notamment l’air de Scarpia « Tre sbirri » que j’écoutais en boucle.
Récital Callas à Paris. La divina ! Elle reste pour moi l’idéal et le symbole de la chanteuse d’opéra, qui refuse de choisir entre la voix et le théâtre.
Polo & Pan, Caravelle. La musique électro m’accompagne depuis longtemps, j’apprécie particulièrement le monde coloré et chatoyant de Polo&Pan, qui met en joie et m’apporte énergie et concentration
Francis Poulenc, Journal de mes mélodies. J’ai toujours été très attirée par la mélodie française, elle me suit depuis mes premiers cours de chant. Ce livre de Poulenc est un petit bijou qui nous invite dans l’intimité du compositeur et qui m’a beaucoup apporté.
Anna Magdalena Bach Ein Leben in Dokumenten und Bildern de Maria Hübner et Hanz-Joachim Schulze. Le personnage d’Anna Magdalena m’a toujours fascinée. Il était évident pour moi que pour écrire autant de musique sublime J. S Bach devait avoir une sacrée femme à ses côtés ! J’ai d’abord lu La petite chronique d’Anna Magdalena Bach, sorte de roman à l’eau de rose très éloigné de la réalité. J’ai alors décidé de me pencher sur qui elle était vraiment et j’ai trouvé un livre uniquement en allemand grâce auquel j’ai pu découvrir qui était cette femme. La réalité historique était bien plus sombre et j’en ai fait un récital accompagné au clavecin à la Péniche Opéra avec mes textes qui racontaient son histoire entrelacés de la musique du célèbre recueil Le Petit livre d’Anna-Magdalena Bach.
Guilhem Terrail
Bach. Motets, Cantates pour alto (Herreweghe, avec Andreas Scholl). J’ai été bercé toute mon enfance par le disque des motets, que j’ai écouté des centaines de fois. La production vocale de Bach est d’une telle perfection, qu’il est impossible d’en être rassasié ! J’ajoute le disque des cantates pour alto, Andreas Scholl y est sublime, et la cantate 170 est un chef-d’œuvre.
Chopin, Ballades, par Krystian Zimerman. Mon éducation musicale a commencé avec le piano, et Chopin a toujours été pour moi la quintessence de cet instrument. Zimerman joue cette musique avec une telle autorité qu’il paraît incarner le maître, on se prend à douter qu’une autre interprétation soit possible.
Jacob Collier, In my room. Jacob Collier est un musicien complet, multi instrumentiste, chanteur, arrangeur, compositeur qui s’inspire de tous les styles et d’une imagination sans borne. Quel talent !
Charles Rosen. Le style classique. Ce livre m’a ouvert les yeux sur l’importance de la structure interne de la musique pour l’expressivité et la dramaturgie musicale. Un classique indispensable.
Jerome Hines. Great singers on great singing. Hines était une basse, qui a fait une immense carrière (1941-2001), essentiellement au Met de New York. Passionné de technique vocale, il a interrogé ses collègues, tous les plus grands chanteurs de l’époque (Pavarotti, Sutherland, Ponselle, Horne…) sur leur vision de la voix et leur expérience personnelle. Il a compilé ces entretiens dans ce livre.
Pour suivre Estelle Béréau et Guilhem Terrail
Le site d’Estelle Béréau
Prochaines dates :
Bach. Messe en Si, BWV 232, Dir. Jean-Marie Puissant, ensemble Allegri, Choeur Variatio (8 & 11 mai), Choeur Nicolas de Grigny (7 & 12 mai)
Tarifs (prévente/jour du concert) : Carré Or 35€/40€, Normal 25€/30€, Réduit 10€. – Réservations : Tél. : 0680420244.
- Samedi 7 mai, 20h30, Chapelle saint Joseph, 177 rue des Capucins, 51100 Reims
- Dimanche 8 mai, 17h, La Coupole, 107 rue Jean François Millet, 77380 Combs La Ville
- Mercredi 11 mai, 20h30, Église St Roch, 296 rue St Honoré, 75001 Paris
- Jeudi 12 mai, 20h30, Chapelle saint Joseph, 177 rue des Capucins, 51100 Reims
- 4 juin, 17h, Estelle Béréau – Guilhem Terrail, Abbaye Royale de Chaalis, Antoine Morinière, guitare (Entrée libre)
- 30 juin, 20h, Max Bruch, Odysseus, Chœur de l’université Paris 1, Grand amphithéâtre de La Sorbonne Paris, Panthéon Sorbonne
A écouter : 1900. Mélodies françaises et duos – Artie’s records, 2021
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